Réfugié en France, le groupe de « cabaret freak » ukrainien se produira jeudi en ouverture du 38Festival international de musique actuelle de Victoriaville

(Paris) Ce n’est pas parce qu’elles ont fui l’Ukraine qu’elles ont cessé de se battre. Au contraire. Pour les Dakh Daughters, l’exil est désormais synonyme de résistance. La preuve sur scène jeudi, en ouverture du 38Festival international de musique actuelle de Victoriaville (FIMAV).

Il y a plus de deux mois, maintenant, que les six musiciennes ont quitté Kyiv. Accompagnées de leurs enfants, de leurs mères et de leurs belles-mères, elles se sont réfugiées à Vire, en Normandie, dans un petit théâtre qui leur a offert le gîte, tandis que leurs pères, leurs frères et leurs maris sont demeurés en Ukraine pour faire la guerre.

Situation dramatique, comme pour des millions d’autres familles ukrainiennes qui ont quitté le pays en catastrophe.

On ne sent pourtant aucun découragement chez les deux membres de ce groupe musical atypique que l’on rencontre cet après-midi-là dans un café parisien sans charme. Plus guerrières que victimes, Ganna Nikitina et Ruslana Khazipova serrent les poings, lèvent l’index, maudissent Vladimir Poutine et jurent qu’un jour, elles rentreront à la maison.

Certes, il y a de l’inquiétude. Elles admettent consulter leur téléphone « cent fois par jour » pour avoir des informations. Mais les nouvelles sont rarement bonnes. Quatre jours avant notre entrevue, elles ont appris comme tout le monde les atrocités commises par l’armée russe à Boutcha et en sont visiblement secouées.

Mais pas question de pleurer sur leur sort. Il y a chez elles un feu qui brûle, celui de l’optimisme et du désir de justice. Un feu que rien, apparemment, ne pourra éteindre.

« Nous sommes un peuple digne... La résistance est dans notre code génétique », lance tout bonnement Ruslana, la batteuse du groupe, sous son petit chignon, ses lunettes hip et son manteau de designer ukrainien.

PHOTO TETIANA VALYSENKO, FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUES

Les Dakh Daughters

Se battre à l’extérieur

On imagine à peine les tiraillements et les cas de conscience quand est venu le temps de s’exiler. Quitter son pays en temps de crise est une chose déchirante, surtout quand on laisse derrière soi une partie de sa famille...

Mais après deux semaines d’hésitation, à sentir monter la peur et à peser le pour et le contre, il est devenu clair pour les Dakh Daughters que la meilleure façon de participer à l’effort de guerre serait de se produire sur les scènes étrangères. Dont acte.

« Nous avons une voix. Et si nous avons une possibilité de dire au monde toutes les horreurs qui ont lieu dans notre pays, nous devons le faire », lance Ganna, la guitariste.

Ruslana va plus loin. Pour elle, les Dakh Daughters ne sont rien de moins que des combattantes culturelles appelées à se battre sur le « front artistique ». Elles ne manipulent pas les armes comme leurs compagnons, mais compensent par des chansons explosives et des performances blindées dévouées à la cause ukrainienne. « Les soldats protègent notre pays de l’intérieur. Nous le protégeons de l’extérieur », résume-t-elle.

Cet engagement n’a rien de neuf. Nées en 2012 de la cuisse de l’emblématique Théâtre Dakh à Kyiv, les Dakh Daughters ont toujours eu la fibre militante.

Mais leur formule, unique, s’est radicalisée au fil du temps et des évènements. D’abord pendant la révolution pro-européenne de 2013, puis avec l’invasion russe de l’Ukraine.

PHOTO JEAN-CHRISTOPHE LAURENCE, LA PRESSE

Ganna Nikitina et Ruslana Khazipova, des Dakh Daughters

« Comment faire autrement ? demande Ruslana. Si tu veux changer quelque chose avec ton art, c’est impossible de ne pas être politique. »

Leurs chansons puisent dans le terroir ukrainien, ce qui est en soi une prise de position. Les textes, réadaptés à la sauce contemporaine ou empruntés à divers poètes, parlent de démocratie, de liberté, d’amour et de haine ou de l’avenir d’une nation en quête d’émancipation. Les musiques s’inspirent du folk local, mais aussi du jazz, de l’avant-garde, du rock.

Concerts éclatés

Quant à leurs concerts live, situés à mi-chemin entre musique et théâtre, ils sont souvent décrits comme des « cabarets freak » où se mélangent le Berlin des années 1930, l’esprit punk des Sex Pistols, l’ancien, le nouveau, les coups de gueule et les visages fardés de blanc. « On ne sait pas où est la frontière. On est ouvertes à toutes les nouvelles possibilités, à toutes les nouvelles portes », résume Ruslana.

On verra bien ce que ça donne jeudi au FIMAV, pour ce spectacle déjà reporté l’an dernier à cause de la pandémie. Les deux musiciennes annoncent une version adaptée de leur concept, avec montages sonores et vidéos d’art se référant explicitement à l’actualité.. Nul doute que leur message portera haut et fort.

Et ensuite ? Ensuite, les Dakh Daughters amorceront une tournée des États-Unis, avant de retourner en Europe, où leur calendrier est rempli jusqu’à 2023.

À plus long terme, en revanche, c’est encore l’inconnu. Tant que cette guerre durera, les Dakh Daughters continueront de mener leur guerre « de l’extérieur ».

« On est habituées à être sur la route. Mais c’est la première fois que nous allons en tournée en tant que réfugiées, dit Ganna. Normalement, on sait toujours quand on va rentrer à la maison. Mais cette fois-ci, on ne sait pas. C’est horrible... »

Consultez le site du Festival international de musique actuelle de Victoriaville