La salle Wilfrid-Pelletier était presque pleine samedi soir pour la première de La flûte enchantée de Mozart à l’Opéra de Montréal, dans une mise en scène berlinoise haute en couleur. La Presse y était.

L’Opéra de Montréal a préféré, durant la pandémie, se concentrer sur la webdiffusion de productions antérieures et sur des spectacles à petit déploiement de l’Atelier lyrique, contrairement à d’autres institutions plus audacieuses comme l’Opéra de Québec ou plusieurs maisons européennes.

Pour son retour au « grand » opéra, après plus de deux ans, l’organisme avait gardé dans ses cartons le projet qui devait initialement être présenté en mai 2020, une mise en scène créée il y a dix ans pour l’Opéra comique de Berlin par la compagnie britannique 1927, dont la marque de commerce consiste à marier cinéma d’animation et acteurs grandeur nature.

Qui dit « 1927 » dit cinéma muet, expressionniste, notamment. C’est là que nous amène le collectif, avec un univers gothique déjanté projeté sur un écran blanc, unique dispositif scénique de la soirée, si ce n’est les petits cagibis vitrés placés de part et d’autre de ce dernier, où apparaissent les chœurs. De cet écran sortent, tantôt en haut, tantôt en bas, les différents protagonistes de l’opéra, qui n’évoluent qu’en deux dimensions.

Cette superposition de « vraies » personnes sur un fond animé n’est pas sans faire penser aux chefs-d’œuvre des années 1950-1960 du cinéaste tchèque Karel Zeman. Comme chez ce dernier, les chanteurs de La flûte ne sont pas que superposés sur l’écran, mais interagissent avec l’environnement pictural. On pense à Papageno, invariablement suivi de son chat noir, ou aux trois Dames, qui s’amusent à crever les cœurs volants que chacune laisse échapper à la vue d’un Tamino évanoui.

Vient évidemment le danger de l’exagération, du trop-plein. Tamino qui tente constamment d’esquiver les pattes de l’immense araignée figurant la Reine de la nuit pendant le premier air de cette dernière, c’est peut-être trop. Car il y a aussi un texte qui est dit, et ce texte compte.

Lorsque Mozart impose un texte parlé, la mise en scène résume le tout avec des intertitres en allemand (traduits dans les surtitres) pendant qu’on entend des extraits des Fantaisies pour piano du même compositeur. Certains mots allemands présents dans l’animation restent toutefois inaccessibles aux non-germanophones, comme lorsque la bande de Sarastro essaie – en vain – d’injecter de la « Tugend » (vertu) et de la « Weisheit » (sagesse) par intraveineuse au rustre Papageno.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Richard Sveda dans Papagano

Le spectacle comporte toutefois des trouvailles intéressantes, notamment en transportant Tamino dans le ventre du monstre du début de l’opéra (alors qu’il ne fait normalement que s’évanouir à sa vue) ou en plaquant la Reine de la nuit sur une carte de tarot représentant la Mort. Excellente idée aussi de faire descendre Tamino sous terre dans une cage de mineurs avec les deux hommes armés au second acte.

Musique et voix

Le cinéma des années 1920 se matérialise aussi avec la poussière sur la pellicule, mais également avec Papageno habillé en Buster Keaton jaune moutarde, avec Monostatos déguisé en Nosferatu et avec la symbolique industrielle (de nombreuses roues dentées) de Métropolis ou Les temps modernes.

Il y a peut-être toutefois un danger d’éparpillement, de manque d’unité, quand on tombe dans la bande dessinée des années 1950 ou chez Tim Burton. Mais d’autres considéreront peut-être cet éclectisme comme une force.

Ah oui, mais il y a la musique aussi. Aucun des chanteurs, dont plusieurs ont chanté cette production plusieurs dizaines de fois, ne ressort tellement du lot, que ce soit positivement ou négativement, si ce n’est la Pamina de Kim-Lillian Strebel, une voix trop dramatique pour ce rôle, ce qui nous donne des aigus pas trop subtils.

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Kim-Lillian Strebel sur scène samedi soir

Dans Papageno, le baryton Richard Sveda n’a peut-être pas la voix la plus égale ni le plus beau legato, mais on n’en demande pas plus pour interpréter cet oiseleur béotien. Le Sarastro de Christian Zaremba charme avec sa voix aux couleurs slaves, et Anna Siminska a toutes les notes et la puissance de la Reine de la nuit.

Andrea Núñez, Kirsten LeBlanc et Florence Bourget font trois Dames efficaces et Elizabeth Polese est une parfaite Papagena, mais le ténor John Robert Lindsey manque un peu de projection en Monostatos.

Et Tamino ? Le ténor Sascha Emanuel Kramer, qui a été renvoyé juste avant la générale, a été remplacé in extremis par Brian Wallin, qui a donc dû s’adapter rapidement à cette production très particulière. Mais on n’y voit que du feu, si ce n’est de son premier air, dont les aigus manquaient d’appui.

Dans la fosse, à la tête de l’Orchestre Métropolitain, le chef Christopher Allen a livré un Mozart ardent, plein d’invention.

L’opéra sera présenté de nouveau les 10, 12, 15 et 17 mai.

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