Parce que le nouvel Arcade Fire s’intitule WE, et que le groupe phare du Montréal musical du début des années 2000 y fait l’éloge de l’authenticité des vraies relations humaines, nos journalistes Émilie Côté et Dominic Tardif ont dialogué autour de cinq questions que soulève ce sixième album très attendu.

Q. Après Reflektor (2013), un double album puisant dans le dance rock et dans l’héritage haïtien de Régine Chassagne, et Everything Now (2017), le disque le moins bien accueilli de sa carrière, Arcade Fire semblait mûr pour un retour au son de ses débuts. Est-ce bien ce que WE propose ?

Émilie : J’ignore pourquoi plusieurs critiques parlent de retour aux sources. C’est peut-être le cas sur les deux extraits dévoilés, où il y a du violon, mais pas sur les autres chansons où on retrouve des claviers et des arrangements électro. L’ombre de Giorgio Moroder plane même sur Age of Anxiety (Rabbit Hole) ! En fait, WE s’avère éclectique et fait une sorte de synthèse de tous les albums d’Arcade Fire, bien que ce soit le plus court du lot.

Dominic : Là où on peut parler de retour aux sources, c’est dans cette grandiloquence avec laquelle le groupe renoue, après avoir flirté maladroitement avec le second degré sur Everything Now. Win et Régine brillent quand ils font tout en leur pouvoir pour que leurs refrains procurent des frissons, quitte à parfois frôler le ridicule ou la surenchère, et je me réjouis qu’ils se soient enfin souvenus que l’on vient à eux pour leur maximalisme. Si tu me permets d’être quétaine un instant : j’aime lorsqu’une chanson d’Arcade Fire me rappelle que le temps qui nous est imparti sur cette Terre est un cadeau. Voilà, c’est dit.

Q. Les critiques adressées à Everything Now tenaient dans une certaine mesure au regard au mieux usé, au pire réactionnaire, qu’Arcade Fire posait sur les effets délétères de la technologie et des réseaux sociaux. Qu’est-ce que la formation a à nous dire cette fois sur l’état du monde ?

Dominic : Tous les portraits d’Arcade Fire parus dans les dernières semaines évoquent le cycle promotionnel catastrophique d’Everything Now, avec ses faux comptes Twitter et ses fausses critiques négatives, qui aurait refroidi les fans. Mais je suis convaincu que nous aurions tous été prêts à pardonner ces maladresses si les (bonnes) chansons avaient été au rendez-vous. La première moitié de WE parle à nouveau de l’aliénation que provoque la technologie, mais avec ce qui ressemble à de l’humour. Je souris chaque fois que Win lance : We unsubscribe, fuck season 5 ! Et je suis particulièrement interpellé – interpellé comme dans « J’ai des émotions » – par toutes ces chansons dans lesquelles Win et Régine se jurent qu’ils ne s’abandonneront jamais.

Émilie : C’est peut-être parce que j’étais en congé de maternité et que j’ai peu suivi le cycle de promotion d’Everything Now, mais je trouve que les gens ont été trop durs envers l’album. Il y avait quand même plusieurs bonnes tounes, non ? Mais c’est vrai qu’on ne retrouvait pas l’émotivité brute et les thèmes propres à Arcade Fire qui reviennent en force sur WE : l’enfance, l’au-delà, l’amour de nos proches et les quêtes humbles du quotidien.

Q. Où se situe WE par rapport au reste de la discographie du groupe ?

Dominic : Tu sais, Émilie, toute l’affection que j’ai pour toi, mais Everything Now n’est rien de moins qu’un album gênant. WE représente pour moi le premier jalon de la phase 3 d’Arcade Fire, après trois disques impeccables, et deux autres au mieux inégaux. WE est à l’œuvre d’Arcade Fire ce qu’All That You Can’t Leave Behind est à celle de U2 : l’album grâce auquel on se remémore pourquoi on a tant aimé leur musique, du fan service, dans ce que ça peut avoir de plus noble.

Émilie : Ce qui est gênant, mon cher Dominic, est de comparer Arcade Fire à U2. Reflektor est pour toi un disque inégal ? Je ne suis pas d’accord. Il fallait bien que les membres d’Arcade Fire sortent de leur phase « la revanche des nerds » ; ils sont dans la quarantaine, après tout. Sur WE, j’aime comment Arcade Fire s’inscrit avec humilité dans un héritage musical. End of the Empire I-IV, qui fait presque neuf minutes, est une sorte d’hommage à John Lennon et David Bowie. Nigel Godrich (associé à Radiohead) cosigne la réalisation. Peter Gabriel chante sur Unconditional II (Race and Religion), qui sonne très new wave. C’est comme si Arcade Fire nous rappelait, en ces temps troubles, que la musique adoucit les mœurs, et qu’il faut saluer ce que nos prédécesseurs ont fait avant nous.

PHOTO AMY HARRIS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Régine Chassagne, d’Arcade Fire, au festival Coachella

Q. Quelle chanson avez-vous le plus hâte de hurler, bras dessus, bras dessous avec des étrangers, cet été à Osheaga ?

Dominic : J’ai déjà hâte de vivre en spectacle le moment, autour de 4 min 15, où Age of Anxiety I décolle et s’envole vers le ciel. La mélodie du petit motif de clavier m’a l’air d’avoir été composée spécialement pour être reprise par des dizaines de milliers de voix. Et parce que j’ai toujours eu un faible pour les chansons de la sous-estimée Régine, Unconditional II (Race and Religion) m’émeut beaucoup. Quelle déclaration d’amour ! Même Unconditional I (Lookout Kid), qui me fait penser aux Lumineers (je l’entends évidemment comme un reproche), a fini par m’avoir. Un père qui donne des conseils à son fils : mon cœur de papa ne sait plus résister à pareil déluge de bons sentiments.

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Émilie : Moi, j’ai hâte de lever le poing en l’air quand Win largue un « 1-2-3-4 » au moment où The Lightning I, II passe en cinquième vitesse. Et sans vouloir être trop nostalgique, j’ai hâte de ravoir 25 ans au son des premières notes de Rebellion (Lies) à Osheaga, le 29 juillet.

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Q. Quelle place Arcade Fire occupe-t-il maintenant sur l’échiquier mondial du rock ? Et, au fait, s’agit-il toujours d’un groupe montréalais ?

Dominic : On entend le métro de Montréal sur l’album, en tout cas ! Plus montréalais que ça, tu t’appelles Beau Dommage, non ? Je serais sinon étonné qu’Arcade Fire rallie beaucoup de nouveaux disciples avec cet album-là. Mais le groupe consolide sa place au panthéon des artistes importants de notre époque.

Émilie : Montréalais ou pas ? Je trouve ce débat un peu vaseux… Arcade Fire est un groupe formé à Montréal et plusieurs de ses membres y vivent toujours. Chose certaine, Arcade Fire est pour moi la source de nombreux souvenirs montréalais. Les premiers shows à la Sala Rossa, à la Fédération ukrainienne, à l’aréna Maurice-Richard… La fois où Régine Chassagne a lancé un « Merci, Montréal ! » en français au gala des Grammy quand Arcade Fire a remporté contre toute attente le prix de l’album de l’année pour The Suburbs. La fois où j’ai attendu 10 heures pour voir le spectacle surprise du groupe à la Salsathèque pour la sortie de Reflektor. Mon boss de l’époque m’avait par ailleurs traitée de groupie !

Dominic : Accepterais-tu d’attendre 10 heures si le groupe présentait un spectacle surprise à Montréal cette semaine ?

Émilie : J’attendrais même 10 heures juste pour une entrevue. Et toi ?

Dominic : Comme le chantent Win et Régine : A life without pain would be boring.

WE

Indie rock

WE

Arcade Fire

Columbia

8/10

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  • DISCOGRAPHIE D’ARCADE FIRE
    Funeral (2004) Neon Bible (2007) The Suburbs (2010) Reflektor (2013) Everything Now (2017) WE (2022)