Ce n’est pas tous les jours qu’on peut entendre une des deux passions de Bach interprétées en concert à Montréal. Raison de plus pour se précipiter vers la Passion selon saint Matthieu que donnait mercredi soir l’Orchestre symphonique de Montréal sous la direction du vétéran de la musique baroque Paul McCreesh. Le résultat est pour le moins étonnant, avec de gros plus et de gros moins.

Certains auront peut-être, comme nous, fait connaissance avec le chef britannique grâce à ses enregistrements chez Archiv, souvent primés. L’aura du musicien est-elle cependant surfaite ? Il y a quelques mois, sa Passion selon saint Matthieu est arrivée dernière lors d’une écoute en aveugle à la vénérable Tribune des critiques de disques de France Musique. Qu’en serait-il avec l’OSM, dont ce répertoire est loin d’être le pain quotidien ?

La première partie de l’oratorio, donnée devant une Maison symphonique à moitié pleine, n’augurait rien de bon. Le chef est apparu crispé dès son entrée sur scène, paraissant vouloir être ailleurs.

Le monumental chœur d’ouverture, auquel participaient tant le Chœur de l’OSM (principalement des professionnels) et une quarantaine de Petits Chanteurs du Mont-Royal (dans la corbeille d’arrière-scène), était trop dansant — plus une question d’articulations que de vitesse —, exempt du drame inhérent au texte et à la musique, qui décrivent les plaintes face à l’Agneau pascal immolé.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

La vue d’ensemble de l’orchestre de l’OSM, avec les chœurs

Aucune souplesse dans les phrasés, pulsation trop métronomique, retards harmoniques qui passent comme si de rien n’était… Le complexe chœur « O Mensch, bewein dein Sünde groß » en fin de première partie, qui fait intervenir toutes les forces présentes (y compris les grandes orgues Casavant), tombe complètement à plat. Les entrées manquent de consistance. Le cœur n’y est décidément pas.

Une pause bénéfique

Mais après la pause nous revient un Paul McCreesh totalement différent. Ce n’est pas la première fois que nous sommes témoins de ce phénomène : un artiste amorphe en début de concert paraît transfiguré après être allé prendre une gorgée d’eau ou avoir discuté avec des collègues pendant l’entracte.

L’énergie d’un artiste de scène est quelque chose d’étrange, qui vient naturellement à certains (Yannick Nézet-Séguin et Bernard Labadie, par exemple), mais plus difficilement pour d’autres, qui doivent batailler davantage pour atteindre cet état de grâce presque surnaturel, qui seule peut faire advenir la magie.

Le chef britannique nous apparaît donc tout autre, allant même jusqu’à quitter son lutrin pour aller diriger successivement chacune des deux moitiés de l’orchestre formant les orchestres I et II demandés par Bach. Le geste est soudain plus fluide, plus ample, plus humain.

Nous sommes encore loin de la prise de risque, de l’invention dans l’instant caractéristique des plus grands, mais nous avons quand même devant nous un grand musicien, qui prend plaisir à ce qu’il fait.

Les tempos sont généralement justes et permettent de laisser couler la musique sans volontarisme excessif. Les chorals suivent toujours le rythme du verbe, se parant de couleurs idoines. Le tout dernier, après la mort de Jésus, est touchant d’affliction. Et le grand chœur final atteint la cible avec une intensité de chaque instant.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

L’Allemand Julian Prégardien fait, comme son père Christoph, un évangéliste d’exception.

Des performances inégales

Et les chanteurs dans tout ça ? On va du transcendant au très passable. L’Allemand Julian Prégardien fait, comme son père Christoph, un évangéliste d’exception. C’est presque un rôle que joue le ténor, chantant sans partition et conférant à chaque phrase, chaque mot l’inflexion juste. Un remarquable diseur, doublé d’une voix sonore et magnifiquement timbrée.

Matthew Brook, qui devait au départ ne chanter que Jésus, a ajouté les différents airs de basse initialement confiés à son collègue Philippe Sly, qui a déclaré forfait. On écouterait pendant des heures ce musicien-né, dont la souple voix donne noblesse et caractère à tout ce qu’il chante.

Malgré un apport plus succinct, Geoffroy Salvas fait un sans-faute dans les autres personnages de basse avec une voix ronde et puissante et une présence lumineuse.

La soprano allemande Marie-Sophie Pollak, qui avait déjà chanté dans l’Oratorio de Noēl de Bach avec l’OSM il y a trois ans, possède une belle voix, petite en volume, mais bien projetée, qui montre toutefois quelques limites dans l’aigu.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

Debout, côte à côte, la mezzo-soprano Caitlin Hulcup et la soprano allemande Marie-Sophie Pollak

Le ténor Werner Güra et la mezzo-soprano Caitlin Hulcup ont cependant été beaucoup plus décevants. Le premier fut un splendide chanteur il y a une ou deux décennies, mais sa voix s’est empâtée. Les aigus, pris par-dessous pour la plupart, sont le plus souvent laborieux.

La seconde possède une voix chaude, mais dont l’émission pharyngée entraîne un déficit de projection, sans compter un désagréable trémolo et une intonation aux trois quarts décalée. Son « Können Tränen meiner Wangen » n’était rien de moins que pénible.

Les chœurs, exceptionnellement préparés par Jean-Sébastien Vallée, ont été efficaces, malgré un certain manque de lumière dans l’aigu et un choix de choristes solistes parfois discutable.