En 1992, malgré le succès retentissant de ses deux plus récents albums, Mario Pelchat nourrit peu de foi en l’avenir. Une faillite survenue un an auparavant et un feuilleton judiciaire l’opposant à ses anciens agents minent son moral.

« Je leur faisais une confiance aveugle et je n’aurais jamais dû », se souvient-il. Éprouvé par le tapage médiatique que provoquent ces évènements, le chanteur doute que sa carrière puisse un jour s’en remettre.

Ses nouveaux agents, Rocky et Suzanne Colello, contactent néanmoins Sony Musique. « Et contrairement à mes appréhensions, Sony s’est dit : “Après une épreuve aussi difficile, ce gars-là peut juste rebondir. S’il a les bonnes chansons, ça devrait marcher”. »

Une seule chanson suffira, la preuve que ça nous arrive quand on y croit, mais aussi, parfois, quand on n’y croit plus vraiment. Avec Pleurs dans la pluie, Mario Pelchat révélait en mars 1993 un refrain auquel il ne pourrait plus jamais échapper, 5 minutes et 47 secondes de bruits d’averse, de brouillard de larmes, de tonnerre de batterie et de suaves enjolivures vocales.

Mais avant de figurer en français sur son album Pelchat dans une adaptation signée Eddy Marnay, la puissante ballade avait été enregistrée en 1989 dans sa version originale, Tears in the Rain, par l’Américaine Robin Beck. Le ver d’oreille compte parmi les rares collaborations de deux abonnés des palmarès : Desmond Child (I Was Made for Lovin’You, Livin’on a Prayer, Livin’ la Vida Loca) et Diane Warren (Nothing’s Gonna Stop Us Now, Because You Loved Me, I Don’t Want to Miss a Thing).

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUE

L’album Pelchat, paru en 1993

À l’occasion de la tournée soulignant ses 40 ans de musique, Mario Pelchat raconte l’étrange destin de sa chanson phare, avec les auteurs-compositeurs Desmond Child et Diane Warren, le réalisateur Aldo Nova, l’ancien directeur artistique de Sony Vito Luprano et le choriste Alain Couture.

La tension essentielle

Mario Pelchat : « Durant cette période-là où tout allait mal, je me souviens d’avoir rencontré René Angélil. Céline était à Dolbeau pour un spectacle et je m’y trouvais pour l’été. René m’avait dit : “N’oublie jamais que ce sont les chansons qui font les carrières.” »

Desmond Child : « Je vous jure qu’avant que vous m’appeliez, je n’avais aucune idée qu’il existait une version française de Tears in the Rain. Mais je suis enchanté. J’ai toujours cru en cette chanson. Ce n’est pas pour rien que je l’ai enregistrée avec Robin Beck, puis avec Jennifer Rush [en 1995]. »

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Desmond Child

Mario Pelchat : « Il ne savait pas qu’il y avait une version française ? Ben voyons donc ! »

Desmond Child : « Quand j’ai entendu la chanson Don’t Lose Any Sleep [de John Waite, en 1987], j’ai tout de suite demandé : qui a écrit ça ? Il faut que je la rencontre, nous sommes des âmes sœurs. C’était Diane Warren. Je l’ai appelée et appelée et elle ignorait toujours mes appels. Quand You Give Love a Bad Name [de Bon Jovi, que Desmond Child a cosignée] a atteint le numéro un, le jour même, elle m’a téléphoné : “Je suis désolée de ne pas avoir répondu à tes appels avant. Bienvenue dans le club des numéros 1.” On a tout de suite eu une immense chimie. »

Diane Warren : « Vous savez, ça fait plus de 30 ans, tout ça. Je ne me souviens pas de ce que j’ai fait il y a deux semaines, alors je ne me souviens certainement pas du moment où on a écrit cette chanson. Ce dont je me souviens, c’est que je l’adorais. Ça aurait dû être un plus gros succès. »

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Diane Warren

Desmond Child : « Je ne me souviens plus exactement qui a trouvé le titre, mais bon, disons que c’était moi ! [Rires] Mon mentor, Bob Crewe [qui a pondu plusieurs tubes pour The Four Seasons] m’a toujours dit : “Une bonne chanson contient de l’ironie.” C’est ce que j’ai fait avec You Give Love a Bad Name, I Hate Myself for Loving You, Heaven’s on Fire, Tears in the Rain. Il faut créer une tension en opposant des contraires : les larmes, qui coulent une à une, et la pluie, qui est infinie. Cette tension est essentielle à toute forme d’art. »

Diane Warren : « C’est fort possible que ce soit Desmond qui ait trouvé le titre. S’il le dit, je le crois. On faisait ressortir le meilleur de l’autre. Je suis contente d’apprendre que ç’a été un succès quelque part dans le monde. »

Écoutez la version originale Tears in the Rain

La bonne chanson

Aldo Nova : « Je ne devrais peut-être pas dire ça, mais Mario, avant cet album-là, il faisait des chansons pour les matantes. Vito voulait changer le son de Mario, pour qu’il rejoigne plus de monde. »

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Aldo Nova

Vito Luprano : « Je voulais rentrer vraiment fort dans le marché québécois et j’avais besoin d’une bonne chanson. La bonne chanson, c’était Pleurs dans la pluie. »

Mario Pelchat : « Moi, à ce moment-là, je n’avais aucune idée que ça existait en anglais. Pas du tout. Céline démarrait sa carrière anglophone. Il y avait plein d’auteurs-compositeurs qui créaient pour elle, auxquels Vito avait accès. Quand il m’a dit : “J’ai une chanson écrite pour toi”, pourquoi j’aurais mis ça en doute ? »

Vito Luprano : « Ce n’est pas parce qu’une chanson est déjà sortie qu’elle ne peut pas avoir une nouvelle vie. J’ai toujours eu une oreille pour ça. Diane m’avait envoyé plusieurs chansons pour Céline et je ne trouvais pas que celle-là était bonne pour elle, mais c’était parfait pour Mario. »

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Vito Luprano

Mario Pelchat : « J’ai écouté la chanson et j’ai trouvé ça magnifique. À ce moment-là, j’étais justement en rupture, ça venait de se passer. Nathalie, dans ma tête, c’était la femme de ma vie. Je trouvais ça ben, ben difficile. “C’est un soir de pluie, on se quitte”, c’était ça que je vivais. »

Une cachotterie payante

Aldo Nova : « J’avais pas mal étudié Mario pour essayer de lui enlever son vibrato accentué. Ç’a été dur. Je n’ai pas enlevé le Mario dans Mario, mais je l’ai rendu plus moderne. Cet album-là sonne world class. »

Mario Pelchat : « Aldo était très rassurant, mais il ne passait pas par quatre chemins pour me demander ce dont il avait envie. C’était parfois un peu dur, mais ça m’a permis d’avancer. Mais quand il parle de vibrato, il parle de notes soutenues. Il ne parle pas des Wo, Ouh, Oh que les gens font quand ils m’imitent. Ça, c’est des fioritures. Céline faisait tellement de belles fioritures que tout le monde voulait en faire. C’était l’époque. »

Alain Couture : « Aldo est très intense. Il me faisait travailler, ça n’avait aucun sens. C’était l’heure du souper, ça faisait six heures que j’étais dans un petit cubicule à empiler des voix et il ne voulait pas me laisser sortir. Quand il avait une idée dans la tête, ça lui arrivait de travailler sans dormir pendant deux, trois jours. »

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Alain Couture (à droite), avec son collègue du Mercedez Band, Réjean Lachance, en 2006

Aldo Nova : « Les gens pensent qu’on entend de la pluie au début parce que la chanson s’appelle Pleurs dans la pluie, mais c’est parce qu’il y a un buzz électrique dans mon vocodeur. J’aimais la prise que j’avais enregistrée, donc je me suis dit : je vais mettre de la pluie, ça va couvrir le buzz. »

Mario Pelchat : « Des années plus tard, je suis aux Francos, la chanson a été un gros hit. Je donne une entrevue à un journaliste libanais et il me demande : “Pourquoi avez-vous choisi de reprendre la chanson Tears in the Rain de Robin Beck ?” Et là, je fais rapidement le lien, ça ne prend pas la tête à Papineau pour traduire. J’ai répondu que oui, j’aimais beaucoup la chanson, mais à l’intérieur, je fulminais. »

Vito Luprano : « Je n’avais pas dit à Mario qu’il y avait une autre version, parce que si tu dis à un artiste que quelqu’un a déjà enregistré la chanson et que ça n’a pas marché, tout de suite, il va se mettre dans la tête que ça ne marchera pas pour lui non plus. »

Mario Pelchat : « Je dois reconnaître le flair que Vito a eu, mais j’aurais aimé ne pas l’apprendre de quelqu’un d’autre. Cet album-là, c’est presque en totalité des reprises, mais on m’avait dit que c’était des chansons écrites pour moi. Ça fait un petit velours de penser que Diane Warren, Desmond Child ou Michael Bolton, qui était venu me voir en spectacle pas longtemps avant, ont écrit pour toi. En réalité, ils ne savaient pas du tout que je chantais leurs chansons. »

Vito Luprano : « D’un côté, c’est plate que je ne le lui aie pas dit, mais imagine s’il était passé à côté d’un hit comme ça. »

La bonne constellation

Mario Pelchat : « À un moment donné, je me suis tanné de Pleurs dans la pluie. Je prenais goût à l’écriture et il y avait plus de moi dans mes nouvelles chansons. Je n’ai pas eu le choix de la mettre de côté. Maintenant, quand je la fais, c’est évident que ça fait plaisir aux gens, dès que la chanson commence. Il y a toute une génération qui était enfant quand elle est sortie. Je vois souvent passer sur Facebook des vidéos de jeunes qui font le party et qui chantent Pleurs dans la pluie. C’est assez capoté. »

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Mario Pelchat sur scène en 2019

Alain Couture : « Il y a une richesse dans la voix de Mario : il a des belles graves, mais en même temps, il est capable d’aller haut. Mais il a surtout beaucoup d’émotion. C’est ce que je dis quand je donne des cours : tu as beau chanter parfaitement, si tu ne mets pas d’émotion, le monde ne t’aimera pas. Il faut que tu ailles les chercher. Ce n’est pas donné à tout le monde. Mario, il a ça. »

Desmond Child : « Un succès, c’est comme une constellation. Il faut que tu aies le bon artiste, la bonne chanson, le bon réalisateur, il faut que la compagnie de disques fasse assez de promotion. Il y a aussi le timing de la sortie, les invitations à la télé. Il y a tellement d’éléments qui doivent s’aligner. Et quand ça s’aligne, tu regardes dans le ciel et tu ne vois pas chacune des étoiles. Tu ne vois qu’une seule grande traînée lumineuse. »

Mario Pelchat doit reprendre sa tournée les 15 et 16 avril au Théâtre St-Denis.

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