La musique instrumentale est devenue presque inséparable de la musique populaire. La dernière preuve : Ludmilla, nouvel album d’Ingrid St-Pierre, dans lequel elle retrace des souvenirs d’enfance dans « les grands ciels » sans paroles. Ou presque. Entrevue.

Le lac Témiscouata. Les fruits qui marquent le passage des saisons. Et Les grands ciels, titre de la dernière chanson de son nouvel album instrumental qui paraît ce vendredi.

Ce qu’Ingrid St-Pierre retient et se remémore de son enfance, elle en fait de la musique… sans paroles. « Pour moi, Ludmilla n’est pas un album instrumental. C’est de la musique à l’image dans ma tête ! », précise-t-elle.

« Je voulais éclaircir et immortaliser des souvenirs. Avoir des enfants te replonge dans l’enfance. Et il faut faire certains deuils. Je ne peux pas donner l’enfance que j’ai eue dans le bois et devant le lac à Cabano. »

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Ludmilla s’accompagne néanmoins de quelques mots. À commencer par son titre, qui fait allusion à la ballerine Ludmilla Chiriaeff, désignée personnage historique du Québec pas plus tard que mardi dernier. « Ma mère peint des ballerines », explique tout d’abord Ingrid St-Pierre.

Autre souvenir important : la maison de sa grand-mère. « C’était mon repaire tranquille. À l’étage, il y avait une chambre bleue où il y avait une poupée que j’appelais Lumina. »

C’était à défaut de prononcer correctement Ludmilla comme le faisait sa grand-mère, que le public connaît déjà très bien grâce à la ballade Ficelles – celle qui a fait pleurer Gregory Charles dimanche dernier à Star Académie –, où Ingrid St-Pierre se désole du fil de la mémoire qui s’embrouille avec la maladie d’Alzheimer. La mort de sa grand-maman lui a ensuite inspiré la chanson L’enneigée.

La mémoire

La mémoire est encore au cœur de Ludmilla, mais Ingrid St-Pierre a constaté qu’elle pouvait dévoiler plus d’intimité sans écrire de paroles.

J’ai ressenti une grande liberté et je me suis permis de me livrer davantage.

Ingrid St-Pierre

Elle a notamment puisé dans les nombreux enregistrements qu’elle a accumulés dans son téléphone au fil des années, si bien qu’on entend son fils lui dire qu’il l’aime « d’amour » sur Je te collectionne, ainsi que sa belle-mère qui chante une berceuse en vietnamien à sa fille Namiko.

La pièce Les émerveilleurs est un hommage aux gens qui enjolivent le quotidien de leur entourage dans l’ombre, dont la mère d’Ingrid St-Pïerre, qui trace des cœurs dans la neige quand elle fait de la course à pied alors que Cabano est encore endormi.

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Aller à l’essentiel

Ingrid St-Pierre aurait pu faire un album essentiellement au piano en solo, mais elle a écarté cette direction avec le réalisateur Philippe Brault. Sur Dire au revoir, on entend les cordes d’un banjo sur de l’harmonium indien. Ici et là, il y a de doux effluves électros.

Ingrid St-Pierre voulait éviter toute mélodie prévisible, et le travail d’épuration devait avoir le dessus sur l’habillage. « Je ne voulais surtout pas un son trop poli, sirupeux ou fleur bleue », précise-t-elle.

Par souci de cohésion, Ingrid St-Pierre a écarté des chansons, dont rien de moins qu’un Agnus Dei. Jeune, elle a demandé à apprendre le latin, raconte-t-elle. « Ma mère et moi, on adorait les chants latins et grégoriens. »

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On retrouve néanmoins sur l’album une pièce qui a pour titre Petite chorale. Et pourquoi est-ce plutôt Cténophore (soit un organisme marin qui s’apparente à une méduse) qui ouvre l’album ? « Je suis une fille d’eau, expose Ingrid St-Pierre. J’ai grandi devant le lac Témiscouata, l’un des plus profonds du Québec. C’est emblématique de mon enfance. C’était naturel de commencer l’album avec cette chanson-là. »

Quant à la finale, elle s’intitule Les grands ciels. « Voir loin, ça me manque », confie Ingrid St-Pierre.

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L’été prochain, elle le passera néanmoins avec ses petits chez sa mère à Cabano. Avant, elle prendra part à la tournée en hommage à Georges Brassens avec Valérie Blais, Luc De Larochellière, Michel Rivard et Saratoga. Sa tournée à elle suivra en 2023.

Avant son album Petite plage, paru en 2019, Ingrid St-Pierre a vécu une période d’épuisement durant laquelle elle portait « une ceinture noire » de culpabilité en tant que mère.

Le doute va toujours m’habiter. Mais j’en fais un moteur et non un frein comme cela a été longtemps dans ma vie.

Ingrid St-Pierre

« J’ai été ma pire ennemie. Je suis devenue beaucoup plus douce et j’ai trouvé un équilibre. […] En même temps, les gens qui ne doutent pas m’effraient », ajoute-t-elle.

De ces propos, on peut comprendre qu’Ingrid St-Pierre est un être de lumière et d’une grande sensibilité, notamment par rapport au temps qui passe. « Je suis émue par les débuts et les fins », reconnaît-elle.

Avec Ludmilla, elle n’a pas eu besoin de mots pour nouer une fois de plus des ficelles à travers des souvenirs qu’elle ne veut pas voir s’étioler. Mais elle invite les gens à trouver leurs propres mots et à nouer leurs propres ficelles.