Près de neuf ans après la sortie de Racine carrée, qui enchaînait les succès, Stromae nous revient avec l’album Multitude, sorti vendredi, en plein début de tournée. Alors ? Nos journalistes Marissa Groguhé et Alexandre Vigneault ne lui réservent pas le même accueil. Voici leurs points de vue.

Stromae frappe encore

Les tournures de phrases ne sont jamais compliquées, pourtant elles sont toujours percutantes. Les jeux de mots sont savoureux. La part instrumentale est tout simplement fabuleuse. Nul doute : Stromae est de retour et il frappe avec Multitude un coup de maître (de plus).

On connaît chez Stromae cette façon de poser la lourdeur de ses textes sur des rythmes ondoyants. Ainsi, on pouvait toujours, avec les deux précédents albums du Belge, danser un peu alors que les mots nous tiraient des larmes. Avec Multitude, souvent, on pleure et c’est tout. La gravité des thèmes n’est pas atténuée par l’enrobage, Stromae nous impose de faire complètement face à ce qu’il nous raconte de sa plume fantastique.

Cette esthétique diffère de son précédent travail. Mais qu’il parle de dépression, de paternité, de relations amoureuses, de prostitution ou de féminisme, le musicien nous captive. On boit ses paroles, on est ébloui par ses mélodies.

Les titres Mauvaise journée et Bonne journée, travaillés avec Orelsan, se suivent et se répondent de brillante façon. Après quelques écoutes, on réalise que des morceaux comme Fils de joie, L’enfer, Santé ou Invaincu élèvent la qualité de ce disque à un niveau que certaines autres pièces n’égalent pas tout à fait.

Là où Stromae ne se trompe jamais toutefois, c’est en ce qui a trait à ses productions. L’accompagnement instrumental qu’il a réalisé est moins électro, moins dansant, mais il est incisif, varié, chargé de savoureux détails et reliefs. L’auteur-compositeur-interprète ouvre la porte à une multitude ( !) de thématiques, mais aussi de saveurs musicales.

Les influences tantôt afro-pop, tantôt caribéennes, l’exploitation d’instruments comme la vielle chinoise, le charango ou la flûte perse, font de cet album une constante surprise. Une trentaine de minutes parfaitement dosées, qu’on écoutera volontiers en boucle.

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Multitude

Pop

Multitude

Stromae

Polydor/Universal

8/10

Grave groove

L’élan dansant de Stromae contrebalançait jusqu’ici la lourdeur de ses textes. On dansait sur Papaoutai et Alors on danse comme on le faisait sur Le monde est à pleurer de Jean Leloup, c’est-à-dire en entendant sans vraiment écouter ces paroles pas légères du tout, en faisant fi du ton désenchanté ou de la détresse qu’on sentait derrière les mots. Ce n’était pas vraiment du déni : on était plutôt les victimes consentantes de manipulations savamment orchestrées.

Multitude joue encore de ce contraste entre groove et gravité. Avec moins de bonheur, toutefois. Stromae a moins le goût de danser. Du moins pas sur des rythmes euro pop. Il pige un peu partout, notamment en Amérique latine, les pulsations et les sonorités sur lesquelles il pose ses observations crues sur les relations amoureuses, les inégalités sociales, les préjugés et la détresse psychologique.

L’enfer, chanson plutôt douce où il évoque le suicide, est un véritable tour de force : à la fois hyper directe et sensible. Trop souvent, par contre, Stromae propose des textes très carrés, sans grande poésie, que ses musiques pourtant habiles, et parfois même foisonnantes d’inventivité, n’arrivent pas à faire lever.

Le maestro Stromae aurait-il perdu sa touche magique ? Pas complètement, bien entendu, mais assurément une partie de sa grâce. Son intention de mettre en lumière ceux qu’on méprise ou qu’on ne regarde pas est noble, mais c’est trop appuyé et finit par faire bien-pensant. Multitude, dans ses moins bons moments, frise même le pompeux jusqu’à devenir agaçant. Ici, malheureusement, le grave l’emporte sur le groove.

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Multitude

Pop

Multitude

Stromae

Polydor/Universal

5/10