Près de neuf années se sont écoulées entre la sortie de Racine carrée, deuxième album de Stromae, et Multitude, à paraître le 4 mars. Dire qu’il a eu besoin d’une pause est un euphémisme. L’artiste belge a fait un burnout, traversé une dépression, et il a même songé au suicide. Il revient à la musique et à la scène dans un esprit « un peu plus serein », raconte-t-il à La Presse, et inspiré par la vie « plus ou moins normale » qu’il s’est construite depuis la naissance de son fils en 2018.

Stromae était un peu rouillé quand La Presse lui a parlé au début du mois de décembre. Il n’avait accordé à ce moment-là qu’une seule autre entrevue au sujet de son nouveau disque, Multitude, à paraître le 4 mars, et manquait de recul au sujet de ses nouvelles chansons. Il se demandait s’il était à côté de la plaque, craignait de se planter, mais disait aussi ressentir beaucoup moins de pression qu’à la sortie de Racine carrée, au printemps 2013.

Paul Van Haver, de son vrai nom, se rappelle que, à l’époque, il avait encore tout à prouver. En particulier qu’il n’était pas le chanteur d’un seul tube – Alors on danse, le morceau qui l’a fait connaître. « J’ai eu un succès qui a été extraordinaire avec mon deuxième album, alors c’est un peu différent », observe le chanteur belge de 36 ans, lors d’un entretien en vidéoconférence à partir d’un salon attenant à son studio bruxellois.

Extraordinaire, le succès de Racine carrée l’a été. Propulsé par l’entraînante Papaoutai et la pathétique Formidable, ce disque l’a hissé au sommet de la pop francophone. Il a vendu plus de 2 millions de disques, fait plus de 200 concerts et revendique près 11 millions d’auditeurs mensuels sur la plateforme Spotify – presque deux fois plus qu’Angèle et cinq fois plus que Zaz.

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Stromae lors d’un concert au Centre Bell de Montréal en 2014

Une vie « normale »

On a lu l’histoire par bribes au cours des dernières années : Stromae, épuisé, malade, dépressif, a voulu prendre une pause de sa carrière. Un passage sombre qu’il évoque dans Invaincu, chanson combative qui ouvre son disque, et L’enfer, morceau où il aborde de front la question du suicide, dont il a chanté un extrait dans un journal télévisé français au mois de janvier.

Il s’est d’abord arrêté trois mois en 2015. « Ça m’a vraiment aidé, c’est le principe de remonter vite à vélo. J’ai annulé des dates, rappelle-t-il, mais j’ai fini ma tournée quand même. » Une fois les concerts terminés, il a amorcé une vraie pause, afin de retrouver « une vie normale ». « Quand je dis une vie normale, ça veut dire une vie plus ou moins normale », reconnaît-il, sachant que sa célébrité seule fait qu’il n’a plus une vie comme les autres.

J’ai eu la chance d’avoir un enfant, alors ça cadre. Ça m’a sorti de ma croyance que c’était dans la douleur que naissaient les bonnes choses. Les bonnes choses peuvent aussi sortir dans le quotidien en travaillant de 9 h à 5 h, comme font la plupart des gens. Il ne faut pas forcément avoir une vie déglinguée pour être un artiste.

Stromae

Renouer avec la musique a été un peu difficile au début, raconte Stromae. « Je me suis fait ma petite vie », dit-il, évoquant une vie de studio qui ressemble à une vie de bureau avec ses pauses café et ses sorties pour le lunch. Il agit dans l’ombre, collabore entre autres avec Orelsan, Bigflo et Oli et même Coldplay (Arabesque, sur l’album Everyday Life).

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Orelsan et Stromae

Danser autrement

Multitude marque un changement dans la trajectoire musicale de Stromae. Il s’éloigne en effet de la pop électro et dansante de ses deux premiers disques pour aller vers des musiques toujours rythmées, mais aux influences plus multiples, justement. « Je me rends compte que j’avais un peu fait le tour, dit-il en parlant de la pop dansante. Je ne vais pas faire que des albums électros. Ça ne me fait plus autant danser qu’avant, en fait. »

PHOTO BERTRAND GUAY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Stromae lors d’une prestation aux Victoires de la musique, en France, le 11 février dernier

Ce qui lui vient en premier lorsqu’il compose, ce sont les rythmes. « Petit, je tapais sur des casseroles dans la cuisine », se rappelle-t-il. Il a d’ailleurs suivi des cours de batterie plus tard, mais a abandonné parce qu’apprendre la musique de manière trop scolaire, avec le solfège et tout, ce n’était pas pour lui.

Ce qui me branche finalement, c’est la recherche de groove. C’est une chose que j’adore. Si j’avais à être prof de quelque chose, je serais professeur de groove !

Stromae

Et le groove, l’artiste belge le prend là où il le trouve. Il emprunte des rythmes brésiliens sur Fils de joie (où on entend aussi un quatuor à cordes et même du clavecin !) ou puise dans la riche grammaire rythmique africaine sur Solassitude, par exemple. Ce n’est toutefois pas juste une question de pulsation. Ses emprunts à la rumba congolaise (Mon amour) ou latino-américaine (Santé, C’est que du bonheur) participent aussi au mouvement de Multitude.

Propos grave

En s’éloignant de l’électro, Stromae met aussi en valeur la gravité de son propos, qu’il parle de dépression et de suicide (L’enfer) ou observe la vie de ces travailleurs qu’on considère peu (Santé). Ce n’est pas d’hier que ses textes abordent des thèmes durs : Alors on danse est loin d’être une chanson légère. Ici, c’est seulement plus évident, même si le principal intéressé assure que ce n’était pas volontaire.

« Ce paradoxe entre musique entraînante et paroles plus sombres, c’est une chose que je n’ai pas envie de perdre, assure-t-il au contraire. J’aime bien ce grand écart. Je n’ai pas voulu mettre plus l’attention sur les textes cette fois-ci. De mon point de vue, c’est juste un autre style de musique. »

La marche sera-t-elle difficile à gravir pour ses fans ? On le saura bientôt. Après quelques concerts d’échauffement ces derniers jours, Stromae a déjà une grande tournée de festivals devant lui. Ça commence à Coachella en avril et ça reprend en juin en France. Sa présence est plus qu’attendue : les places pour sa prestation au Paléo Festival de Nyon, en Suisse, au mois de juillet, se sont vendues en un éclair… « Ça donne un peu le vertige, reconnaît Stromae, mais ça va aller. »

Stromae sera en concert à Montréal les 25, 26 et 27 novembre au Centre Bell et le 11 décembre au Centre Vidéotron de Québec

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Offert à partir du 4 mars