L’artiste Jean-Robert Drouillard sculpte sa carrière d’auteur-compositeur-interprète en dilettante, occupé sinon à faire chanter le bois, le plâtre ou l’aluminium.

Qu’il crée sous son vrai nom comme artiste visuel ou sous l’alias musical Juste Robert, l’intention reste la même, celle d’enluminer son clan : amical, familial, faunique.

« Dans mon esprit, je vois ce disque-là comme une suite de nouvelles, d’autofictions. »

Ce « disque-là », c’est Ta théorie sur la lumière, troisième album long, qui succède à un EP publié le 13 mars 2020, le jour même où Québec déclarait l’état d’urgence sanitaire.

Nos vies allaient changer, mais la sienne ? Il est gêné de le dire, gêné du privilège. « Mon épouse est céramiste-potière, moi, je suis sculpteur : on peut bien être confinés deux mois, ose le chanteur de Québec au bout du fil. On continue calmement, dans la douceur et la beauté, de produire nos affaires et d’être de bonne humeur. »

Ses 10 nouvelles pièces à haute teneur folk sont ainsi dénuées de nostalgie, de réflexions anxiogènes ou, autre ressort populaire, d’injonctions à la danse pour déjouer la morosité.

La plupart des textes ont été écrits pendant la pandémie, mais on dirait que ça m’a fait un effet inverse, comme si je me mettais à regarder de manière calme, douce, pour mettre le doigt sur la beauté des choses simples.

Juste Robert

Devant ces « choses simples », on a souvent l’impression que Juste Robert peint des chansons, des toiles tantôt hyperréalistes, avec force détails (Le moineau), tantôt impressionnistes, avec leurs reflets de lumière. « Il y a ta femme dans sa chemise blanche / et le soleil le soleil par la fenêtre / trace des formes géométriques / sur le plancher de la chambre / des années lumières juste là. »

Chez Juste, la création est presque toujours affaire de meute, de famille. C’est d’ailleurs sa chère Hélène qui lui a légué sa « théorie sur la lumière », devenue chanson-titre : « Tu ouvres les rideaux pour faire entrer le soleil. »

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Entre deux strophes amoureuses, le chanteur aborde l’attentat de la grande mosquée de Québec. « Il y a eu une fusillade à Sainte-Foy / un fou dans une mosquée a tiré / j’ai gardé ça pour moi / on s’en est pas parlé / la haine tu comprends pas ça toi. »

Juste Robert assure qu’il n’avait pas pensé que la sortie du disque coïnciderait avec le cinquième anniversaire du drame, « qui a profondément marqué » le cœur de Québec, et le sien.

« Des fois, il y a des chansons qui viennent au monde sans que ce soit forcé, sans savoir d’où elles viennent. Quand je l’ai présentée à du monde, certains disaient : “Oh shit, vas-tu là pour vrai ? Tu vas vraiment qualifier cette personne-là de fou ?” Je suis revenu au début, début, début, à la base, en me disant : “Je m’en câlisse. De toute façon, il n’y a à peu près personne qui écoute ça, du Juste Robert.” » Bon bon bon…

Tout juste engagé

À l’écriture, Jean-Robert Drouillard a notamment été épaulé par la copine de son fils – « une fille de 24, 25 ans qui a étudié la création littéraire à Concordia » sur Le gris des fées – ainsi que par le musicien-poète Stéphane Robitaille, qui a signé La lettre et fait couler un peu d’encre sur Le moineau, Le chien et Sous le bruit des hélicos, récit de mariage sur fond de répression policière.

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« J’ai habité 20 ans à 150 pieds d’un endroit à Québec qui s’appelle l’îlot Fleurie, raconte Juste Robert. Je suis toujours resté habité par le Sommet des Amériques, qui a été très violent. Dans les 25 autres chansons que j’ai enregistrées avant, il n’y avait pas de traces d’une poésie engagée. »

Cette toune niaisait dans mes affaires depuis un bout de temps. C’est comme mon petit côté engagé qui ressort, qui veut parler de fascisme. Je ne suis pas Richard Desjardins, mais je voulais assumer ce côté-là.

Juste Robert, à propos de Sous le bruit des hélicos

Du côté de la réalisation, le chanteur du quartier Saint-Sauveur a fait équipe avec son presque voisin Benoît Villeneuve, alias Shampouing, notamment guitariste de Tire le coyote. En 2019, le musicien avait mis sa patte sur quelques pièces de Mon mammifère préféré, deuxième album de Juste Robert adopté par la critique.

Après près d’un an de « préprod à distance », l’album a été enregistré en septembre dernier dans le studio de Shampouing à Kinnear’s Mills, « au milieu des vallons » dans l’arrière-pays de Chaudière-Appalaches.

Du folk, donc, mais aussi quelques envolées plus électriques, comme sur Le silence et la lenteur ou Le chien. « Sur une scène, le bruit, le rock, j’adore ça, mais ma vraie personnalité, ce qui sort de moi, quand j’écoute mon cœur, c’est doux, c’est lent », note Drouillard.

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Musicalement, il a renoué avec l’équipe de l’EP Ta constellation : Frédérick Desroches (piano et claviers), Yves Marquis (basse) et Kenton Mail (batterie et percussions). Se sont ici greffés le trompettiste Benoit Paradis et le « vieux chum » guitariste Claude Fradette. En guise de velours, les voix d’Émilie Clepper et d’Ariane Roy ont aussi été sollicitées.

Parlant de voix, Jean-Robert Drouillard a trimé pour mater son accent qui, fait curieux, subsistait uniquement dans son chant. Pourquoi vouloir réprimer cette couleur, jumelage de palettes franco-ontarienne et gaspésienne ? « Ça m’agaçait, dit-il simplement. J’ai essayé d’être plus mature dans ma voix et dans ma prononciation pour m’assurer que chaque mot se rende. Ça m’énerve de me faire dire perpétuellement qu’on ne comprend pas tout ce que je chante. »

Et ce qu’il chante mérite d’être compris. Au-delà du clan, au-delà de la famille. « Malgré mon âge [52 ans] et le fait que ce soit un troisième disque, Juste Robert, c’est toujours considéré comme un projet de musique émergente », se résigne-t-il.

Émergente comme la lumière du soleil qui s’échappe lentement des rideaux. À qui veut l’entendre et s’y baigner.

Lancement au Grand Théâtre de Québec reporté au 29 mai 2022 à 20 h

Ta théorie sur la lumière

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