De loin le plus grand groupe de métal québécois de tous les temps, Voivod connaît depuis près d’une décennie un nouvel âge d’or créatif, qui se poursuit sur son nouvel et 15album, Synchro Anarchy. Le batteur Michel « Away » Langevin raconte les innombrables obstacles dont sa bande a dû triompher au cours des 40 dernières années.

« Pour ce qui est de la tournée, j’aimerais qu’on puisse donner le plus de concerts possible avant de s’arrêter. Mais composer de nouvelles chansons sans Piggy… » C’est ainsi que Michel « Away » Langevin, en entrevue avec La Presse en juin 2009, évaluait les chances que Voivod poursuive son chemin. Le groupe né à Jonquière en 1982 lançait alors Infini, le second de deux albums mettant en valeur les dernières contributions de Denis « Piggy » D’Amour, l’architecte sonore du quatuor, mort en 2005 d’un cancer du côlon, à l’âge de 45 ans.

Mais, contre toute attente, Voivod, revigoré par l’enthousiasme de ses fans, s’engageait dans un nouvel âge d’or avec les albums Target Earth (2013), puis The Wake (2018), qui recevait le Juno (son premier !) de l’Album heavy metal de l’année en 2019, et qui menait la formation sur les scènes du Japon, de l’Europe, de la Scandinavie et des États-Unis (ainsi que sur celle du Festival de jazz).

« On ne savait vraiment pas si on allait reprendre la route. En 2008, quand on a accepté une offre de Heavy Montreal, on était super nerveux, on craignait que ce soit un sacrilège de jouer sans Denis D’Amour », se rappelle aujourd’hui Michel, 58 ans, de sa voix douce caractéristique. « Mais dès qu’on a commencé à composer avec Dan Mongrain [guitariste], on a compris que ça se pouvait de garder l’âme de Voivod intacte. »

PHOTO YVES GRÉGOIRE, STAGIAIRE, L’ITINÉRAIRE

Michel « Away » Langevin, l’été dernier

Un demi-sourire, plein de chagrin et de lumière, traverse son visage. « Snake [Denis Bélanger, chanteur] pense que c’est Piggy qui nous a envoyé Dan pour qu’on puisse continuer de propager la musique de Voivod. »

Prog et punk

Voivod peut non seulement continuer de propager sa musique, mais le groupe (complété depuis 2014 par Dominic Laroche à la basse) renouait aussi sur ses trois plus récents disques – le tout nouveau Synchro Anarchy inclus – avec les rythmes à la fois hyperactifs ou expansifs, ainsi qu’avec les accords inusités, limite dissonants, de ses mythiques albums Dimension Hatröss (1988) et Nothingface (1989).

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D’abord et avant tout héritières des Judas Priest et Iron Maiden de la nouvelle vague de heavy metal britannique, les pièces complexes et cataclysmiques de Voivod ont toujours aussi été tendues entre deux pôles en apparence irréconciliables, celui du rock progressif et du punk. Un grand écart à nouveau au cœur de Synchro Anarchy, dont les désorientantes fresques se retournent constamment sur elles-mêmes, pour repartir dans une nouvelle et imprévisible direction.

Le rock progressif, c’était tellement populaire au Québec, c’était comme dans notre ADN. Je sais que pour beaucoup de monde, si t’étais Pink Floyd, tu ne pouvais pas être Sex Pistols, mais moi, à la polyvalente, je me suis toujours promené d’une gang à l’autre.

Michel « Away » Langevin

La collection de vinyles de Denis D’Amour contenait quant à elle tant du speed métal que du krautrock, du Bartók, de la musique concrète et des trames sonores de films. « Denis nous a ouvert plein de voies et on continue aujourd’hui d’élargir toutes ces avenues-là », observe celui qui se réjouit que le public soit plus que jamais au rendez-vous, alors que Voivod crée sans doute la musique la plus complexe et exigeante de sa carrière.

Avec son bagage qui emprunte tant au jazz qu’au death metal technique, Daniel Mongrain avait tous les outils nécessaires pour savoir approfondir les explorations lancées par son prédécesseur. Michel raconte : « Un jour, j’avais demandé à Denis comment il était parvenu à trouver tous ces accords étranges et il m’avait répondu qu’il avait tout simplement joué à la guitare les accords d’orgue de Keith Emerson [du supergroupe Emerson, Lake & Palmer]. C’est comme ça qu’il avait découvert la majorité de ses accords. »

Présent futuriste

Créé en pleine pandémie, à l’aide de logiciels permettant d’échanger des fichiers (avant de les jouer sur de vrais tambours, Michel Langevin a programmé toutes ses partitions de batterie sur un ordinateur), Synchro Anarchy décrit comme bien des albums de Voivod un monde anxiogène, au bord de l’apocalypse.

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« Avant, nos paroles tentaient de prédire ce qui allait se passer, c’était de la science-fiction. Mais maintenant, la science-fiction nous a rattrapés », souligne Away au sujet notamment de Paranormalium, qui dénonce le règne de l’opinion sur les réseaux sociaux, et de Planet Eaters, dans laquelle les Terriens se poussent vers Mars.

Le nouvel album est plus ancré dans le présent, mais faut dire que notre présent est vraiment futuriste.

Michel « Away » Langevin

Comme la planète, Voivod aura, presque miraculeusement, survécu à toutes les catastrophes, dont un grave accident de la route en Allemagne en 1998, ainsi qu’à de nombreux mouvements de personnel. Bien que Denis Bélanger compte lui aussi parmi les fondateurs de Voivod, le chanteur aura fait défection, de 1994 à 2002. Michel Langevin en est donc le seul membre qui a été de toutes ses incarnations. Ce qui le rend à la fois triste et fier.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Denis « Snake » Bélanger, au festival Heavy Montreal en 2014

« Des gens m’ont souvent dit : “T’es fou de continuer.” Maintenant, je me rends compte que je n’étais pas fou », confie l’archiviste de Voivod, qui travaille à plusieurs projets de remise en valeur de son catalogue, qui prendront forme en 2022 et 2023, afin de souligner les 40 ans d’une carrière au cours de laquelle, allez comprendre, ces légendes vivantes n’ont jamais remporté de Félix.

Denis D’Amour passait jadis un coup de fil quotidien à son ami Michel, afin de parler de leurs projets et de la vie. « Après son départ, j’ai continué d’attendre son coup de téléphone pendant des mois. À un moment donné, ça s’est dissipé. Mais la pensée est encore quotidienne vis-à-vis Denis. On est encore en dialogue. Quand je suis fier de Voivod, on dirait que je le sens, quelque part, fier de nous. »

L'album sera disponible à partir du 11 février.

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