Un village atteint d’un mystérieux mal est guéri par une plante aux vertus magiques découverte dans les bois par une enfant. Ce conte anichinabé mis en musique par la compositrice d’origine odawa Barbara Croall figure au programme d’un concert de l’Orchestre symphonique de Laval présenté devant public le 5 mai et offert sur le web à partir de ce mercredi.

Les organisations musicales font désormais des pieds et des mains pour donner plus de place aux femmes et aux Afro-Américains dans leur programmation, mais les œuvres composées par des Autochtones sont encore bien rares, en tout cas en ce qui concerne le Québec. Bardée de tous les diplômes et prix imaginables, jouée dans plusieurs pays d’Europe et d’Amérique, Barbara Croall semble faire figure d’exception.

« De nombreux musiciens autochtones jouent des instruments traditionnels ou classiques, mais peu sont connus, explique la musicienne par courriel. Cela est toutefois en train de changer. Certains musiciens issus des Premières Nations sont présentement en train de renouveler la manière de jouer et de composer pour les instruments d’origine européenne. »

Mais comment se permettre l’achat d’un instrument et la rémunération d’un professeur quand tout manque (eau potable, logements sains, etc.) ? « Avoir accès à des instruments et à des professeurs n’est pas chose aisée » dans les milieux de vie autochtones, concède la compositrice qui vient de l’île Manitoulin, sur le lac Huron, en Ontario.

Je n’ai pas grandi dans un milieu privilégié. Mes parents ne pouvaient se permettre qu’un vieux piano droit en mauvais état.

Barbara Croall, compositrice d’origine odawa

« J’ai dû payer moi-même mes cours de musique à partir du secondaire en travaillant entre autres dans des fermes. Les bourses ont également aidé », raconte Mme Croall, qui a ensuite eu comme mentors des figures majeures de la musique contemporaine européenne comme Helmut Lachenmann et Tristan Murail.

La musique, véhicule de guérison

Elle-même fille d’une survivante des pensionnats autochtones et descendante de chefs ayant signé des traités avec les autorités coloniales, elle estime qu’« apprendre un instrument de musique est non seulement un véhicule d’expression créative, mais également de guérison ».

Cet aspect curatif figure au centre du conte Makizin Waawaaskonenh (Le sabot de la vierge), dont elle a écrit la musique et le texte en 2017 pour le National Academy Orchestra de Boris Brott.

Cheminant pour aller voir sa grand-mère, la jeune Nangoonse (Petite étoile) cueille ce que les Anichinabés appellent « fleur de mocassin » (plus communément appelée « sabot de la vierge »), une fleur de la famille des orchidées poussant dans l’est de l’Amérique du Nord. Elle est alors en mesure de guérir tout un village atteint d’une maladie dévastatrice.

« En 2017, je n’avais aucune idée que cette histoire serait liée quelques années plus tard à une situation vécue par toute la population mondiale », confie Barbara Croall.

Je me rappelle que des anciens nous disaient, lors de cérémonies il y a plusieurs années, qu’une grande maladie viendrait et qu’il fallait être prêt. Je n’ai jamais pensé que cela arriverait si tôt.

Barbara Croall, compositrice d’origine odawa

La démarche artistique de la compositrice témoigne de cet aspect divinatoire central dans les cultures autochtones. Reconnaissant avoir été beaucoup influencée par la musique française du XXe siècle, notamment par Messiaen, elle nourrit également son inspiration par son contact avec la nature (« en particulier les chants d’oiseaux, le son du vent, des grenouilles, de l’eau, etc. », détaille-t-elle), mais aussi lors de cérémonies de jeûne durant plusieurs jours pendant lesquelles elle « entend certaines chansons dans [s]es rêves et consulte les aînés afin de les honorer ».

L’importance de la nature

Le conte comme tel est nourri à la fois par des récits circulant dans les communautés anichinabées, mais aussi par l’imagination de la musicienne. « Cette histoire m’a été inspirée par des souvenirs d’enfance, précise Mme Croall. Elle parle des fleurs qui chantent pour nous et de l’amour inconditionnel. Le sabot de la vierge est important dans le savoir médical des femmes anishinaabées. Chaque plante médicinale a sa propre histoire. »

Ce lien avec la nature reste essentiel pour les Autochtones. « Une roche n’est pas une chose. C’est un être. Même chose pour les eaux, les vents, les plantes, les insectes, les oiseaux, et ainsi de suite. Peut-être que l’humanité a besoin d’un retour à la nature, au lieu de la dominer, de l’exploiter… Si nous ne prenons pas soin de Shkagmigkwe (la Mère Terre), nous ne survivrons pas », avertit-elle.

Le concert, dirigé par le chef Alain Trudel à la salle André-Mathieu, comprend, en plus du conte, la suite Pulcinella de Stravinsky et la Suite on English Folktunes A Time There Was de Britten. Il sera sur le site osl.ca jusqu’au 8 juin.