Elle est belle, la tristesse qui s’est emparée du Québec à l’annonce du décès de Michel Louvain, parce qu’elle est sincère, et parce qu’elle nous sort de nos spleens de confinés. Ce n’est pas la tristesse grave dévolue à un monument, mais la peine d’avoir perdu pratiquement un membre de la famille que tout le monde aimait. Vous savez, celui qui n’a jamais fait de scandale ni provoqué de chicane, et qui avait une attention pour chacun ?

C’est arrivé si vite, et il semblait encore tellement en forme, quand on l’a vu aux Enfants de la télé, toujours aussi reconnaissant devant les hommages. J’ai versé une larme en le voyant ému quand Mélissa Bédard lui a chanté Un certain sourire, qui lui rappelait sa mère. Même après des décennies de showbiz, il ne tenait rien pour acquis, ce qui est rare dans ce milieu, et ce qui explique la longévité de sa carrière et l’affection du public.

PHOTO RÉAL ST-JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Louvain en août 1968

J’avais l’impression, comme Fernand Gignac autrefois, qu’il était là de tout temps. Ma mère l’avait suivi à Jeunesse d’aujourd’hui, trouvant que Michel Louvain s’adressait plus à ses grands-mères, qui l’adoraient. Disons qu’il y avait moins de chicane devant la télé avec les mamans quand Michel Louvain était au programme. Le casting du chanteur de charme n’est pas ce qu’il y a de plus recherché chez la gent masculine, encore moins depuis que le yéyé et le rock sont arrivés, mais c’est ce que Michel Louvain incarnait à merveille. J’ai tout compris, à cause d’un regard, à l’adolescence, quand j’ai vu une photo du jeune chanteur à ses débuts, stupéfaite par sa spectaculaire beauté plastique, qu’il a d’ailleurs conservée toute sa vie. Les filles pouvaient bien se pâmer devant lui.

« Tu ne m’avais jamais dit que Michel Louvain était un pétard ! ai-je dit à ma mère.

— Mon genre, c’était plus Donald Lautrec. »

Michel Louvain est venu une fois en spectacle au CHSLD où travaillait ma mère, qui le pleure depuis mercredi. Les dames étaient fébriles, il fallait toutes les maquiller, les coiffer et, bien sûr, les habiller en bleu. « À chacune d’elles, il disait dans l’oreille : “Vous êtes la plus belle de la soirée”, se souvient-elle, et chacune le croyait. En les démaquillant et en les bordant après dans leur lit, il ne fallait pas laver la joue où il les avait embrassées. »

C’était ça, le charme, que personne ne voulait rompre, Michel Louvain le premier. Charme qui n’a pas été rompu lorsqu’on a lu dans le communiqué annonçant son décès qu’il laissait dans le deuil son conjoint depuis 25 ans, Mario Théberge, qui n’accorde pas d’entrevue, d’après ce que l’on comprend. Mais on m’a dit que je pouvais écrire que Michel Louvain et Mario Théberge s’étaient unis civilement, ce que j’ai trouvé infiniment beau, comme l’était le chanteur de charme.

Car ce n’est pas vrai que le Québec a toujours été gentil avec Michel Louvain, il ne faut pas se mettre la tête dans le sable. Dans les années 1970 et 1980, il était la cible de blagues douteuses. Je n’ose imaginer les sous-entendus qu’on a pu lui infliger sans qu’il bronche ou craque, et le stress que cela a dû entraîner. La peur, peut-être, alors que personne ne serait tombé des nues. J’ai connu dans ma vie beaucoup d’hommes et de femmes de cette génération qui n’ont jamais pu prononcer les mots qui auraient pu les libérer, peut-être parce qu’ils les rapprochaient trop des insultes. Avec eux, il fallait se contenter de savoir qu’ils savaient qu’on savait sans le dire, et j’ai toujours respecté cette pudeur.

Il faut avoir la couenne dure dans ce métier, et Michel l’avait, tout en étant un tendre d’une grande élégance. Le temps passant, cela aurait été une faute de goût et une indélicatesse de lui en parler, de rompre le charme, justement, qu’il a entretenu avec soin toute sa vie, au détriment peut-être de sa liberté. Tout le contraire d’un autre Michel, Michel Girouard, qui nous a quittés aussi dernièrement, et qui aura lui aussi marqué le Québec à sa façon.

C’est qu’il fallait aussi protéger le rêve de nos mères et grands-mères qui étaient ses fans, à l’égard desquelles il a été le plus dévoué des artistes, et on ne pouvait que lui en être reconnaissant. J’ai une pensée pour toutes ses groupies qui sont en deuil en pleine pandémie. Je crois qu’il a offert à ses admiratrices, comme on peut le voir dans le superbe documentaire Les dames en bleu de Claude Demers, l’incarnation d’un homme qui n’existait pas au Québec dans ce temps-là et peut-être même encore aujourd’hui. Chic, attentionné et doux, jamais décevant, et qui ne pouvait leur faire aucun mal. Il n’a jamais trahi son armée de dames en bleu, qui le lui rendaient bien.

Tout ça a fini par faire de lui un intouchable. Plus personne n’aurait toléré de méchanceté envers Michel Louvain. Ça vaut la peine de vieillir et de s’accrocher, car le Québec a fini par se rattraper avec son célèbre crooner. Je l’ai interviewé une fois, alors qu’il avait 78 ans, et que les hommages n’arrêtaient pas de pleuvoir. Le Félix Hommage en 2014, l’album Ils chantent Louvain et le show au Centre Bell qui l’accompagnait, sa tournée Les années bonheur avec Renée Martel et Chantal Pary, le documentaire Les dames en bleu, les collaborations avec des jeunes comme le groupe The Lost Fingers, son interprétation de Gangnam Style au Festival Juste pour rire, devenue virale, qui nous avait tous jetés par terre… « Il m’arrive tellement de belles choses, je suis comme un petit gars à ses débuts, m’avait-il confié. Ça va trop vite, et des fois, je dors mal, mais c’est ça le métier ! »

Savoir qu’il est parti en se sachant aimé et respecté, en privé comme en public, est la seule consolation qu’il nous reste. Et quand la radio jouera ces airs-là bien à lui, on se souviendra de notre côté d’avoir vraiment aimé Michel Louvain. Avec un certain sourire.