La pièce d’ouverture de Toute beauté n’est pas perdue, huitième album studio de Vincent Vallières, devait d’abord s’appeler Heille André, Heille Gasse ou autre Heille accolé à un nom propre. Le narrateur, nostalgique, y interpellait un ami. C’était avant qu’une affiche de Gérald Godin se transforme en miroir. Sous la photo, « T’en souviens-tu, Godin ? », titre d’un texte dans lequel le défunt député-poète soliloque, s’autogifle.

Avec l’éclairage de son directeur artistique, Martin Léon, Vincent Vallières a peu à peu compris qu’il avait en fait adressé sa chanson à… lui-même. « Vallières, le kid en colère, la sueur de ton grand-père, la voix de ton mentor, l’entends-tu encore ? », chante-t-il sur ce qui est devenu Heille Vallières.

« C’est quoi, là, maintenant, ta capacité d’émerveillement ? De te remettre en question, d’aller au bout de ton affaire ? », réfléchit tout haut l’auteur-compositeur lors d’une entrevue Zoom, entre deux gorgées de café.

0:00
 
0:00
 

C’est à dessein que la pièce précède les autres.

Il fallait que j’engage le dialogue avec moi-même avant d’engager le dialogue avec n’importe qui d’autre. Je me regarde dans le miroir, pis après, le disque peut commencer.

Vincent Vallières

Au fil des 11 pièces aux allures de palais des glaces, le chanteur de 42 ans prend radicalement parti pour… les nuances. « On est dans une époque où on dirait qu’il faut choisir son camp et vite, dit Vallières. C’est blanc ou c’est noir. Il faut que tu réagisses dans les 24 heures. J’ai fait comme : "Heille, man, t’es pas comme ça." »

0:00
 
0:00
 

Cette volonté d’explorer les zones d’ombre et les angles morts se répercute dans des mélodies douces-amères, des images poétiques à colorier et des personnages esquissés d’un trait léger. Dans Elle n’entend plus battre son cœur, par exemple, le chanteur présente une femme éteinte, prise en étau entre « une job à Revenu Canada » et un « mari tout le temps parti ». Sauf qu’il y a ce couplet : « Quand je la vois passer à l’ombre, du grand saule au coin de la rue, elle me sourit une seconde, toute beauté n’est pas perdue. » C’est ce dernier vers, lumineux, qui coiffe la pochette.

Le choix de la « nuance » semble presque audacieux en cette période pandémique et clivée. Au printemps 2020, alors que tout le Québec voyait rouge, le chanteur s’est enfermé dans son loft montréalais avec son coréalisateur, André Papanicolaou. « Dans le respect des règles sanitaires », tient à préciser le chanteur. Une bulle où il faisait bon jammer, bien sûr, mais surtout bidouiller et peaufiner avec la patience de l’artisan.

« Quand je faisais ça, c’est là que je me disais : « C’est quelque chose de tangible, c’est quelque chose qui marche. » Je me disais : "Criss que je suis chanceux d’avoir ça, dans la vie. La musique, c’est un exutoire fantastique." »

Vingt fois sur le métier…

Vincent Vallières explique s’être ouvert aux vertus de la lenteur et du détail grâce à des influences comme le romancier Jacques Poulin, l’anthropologue Serge Bouchard ou encore le chantre national Gilles Vigneault. « Dans un atelier, il y a quatre ans, M. Vigneault nous avait fait comprendre : "Personne ne vous attend vraiment." Si tu ne fais pas d’album, la réalité, c’est que tout le monde s’en câlisse. La terre va continuer de spinner. Il nous invitait à prendre notre temps. »

Ce que le temps a engendré ? Une explosion de guitares Fender et Gibson, des pistes de clavier mellotron – pensez Bowie, Wilco ou les Beatles façon Strawberry Fields Forever – et quelques nappes de piano. Armé de sa J-45, Vallières a gratté les cordes comme jamais.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Vincent Vallières

Je fais partie d’un sillon folk-rock très ancré dans l’Amérique. C’est ça que je fais, c’est ça que je sais bien faire. La question, après, c’est : "C’est-tu fresh ? C’est-tu vivant ou c’est juste une mauvaise version d’une chanson que tu as écrite il y a cinq ans ?" Avec Papanicolaou, j’avais cette confiance-là pour essayer des affaires.

Vincent Vallières

Une fois que le duo trouvait satisfaction, c’était au tour du directeur artistique Martin Léon de donner son imprimatur, non sans avoir « élagué des tracks pour garder les lignes les plus fortes ».

0:00
 
0:00
 

Parmi les histoires plus frontales, La somme, récit initiatique où s’enchaînent les deuils, les premiers émois et les espoirs politiques. Pour l’épauler dans ses récits, Vallières a aussi fait appel à des femmes. Ingrid St-Pierre pose sa voix douce et lumineuse sur On dansera sous la pluie. Encore une fois, au travers des nuages, un pied-de-vent apparaît. « On ira jouer demain au bord de l’eau, et si c’est l’orage Marie, on dansera sous la pluie. »

Marjo a quant à elle été convoquée sur la seule pièce dénuée de guitares, Tout n’est pas pour toujours, un poignant duo piano-voix à mille lieues de la maquette originelle. « On s’est dit : « Ce serait le fun que ce soit une femme d’une autre génération, une femme qui porte une histoire, qui donnerait un poids différent au fait de dire que Tout n’est pas pour toujours. » Je lui ai envoyé la toune, et le lendemain, elle m’a écrit : « Oui, ça me tente, je vais la faire avec toi. » »

0:00
 
0:00
 

Les auditeurs pourront en apprendre plus sur cette rencontre et sur d’autres instants du disque grâce au moyen métrage Toute beauté n’est pas perdue – Dans la bulle de Vincent Vallières, qui sera diffusé le 9 avril à titre de lancement virtuel.

« Le cinéaste Adrian Villagomez nous a suivis dans une partie du processus de création et on a filmé les tounes avec lui. C’est une captation live, mais avec une vraie signature. Je suis très fier de ce projet-là, vraiment. Je ne suis pas gêné de dire que ce sont des artisans de calibre international. »

S’il fallait qu’un jour la mémoire vienne à flancher sous le poids des années, voilà qui pourrait devenir un souvenir précieux quand se posera la question : « T’en souviens-tu, Vallières ? »

L’album Toute beauté n’est pas perdue sera offert à partir du 9 avril. Le moyen métrage sera diffusé à 20 h en guise de lancement.

Consultez le site du lancement virtuel

Consultez le site de Vincent Vallières