Avec son masque et sa casquette, c’est à peine si on reconnaît Mika lorsqu’il se présente au rendez-vous mercredi.

Vêtu d’une veste rouge et de jeans, baskets aux pieds, le chanteur se promène incognito dans le centre-ville de Montréal. Son dernier passage chez nous remonte à septembre 2019, lors de deux spectacles mémorables au Théâtre Corona, prélude à une tournée mondiale des grands arénas… qui n’a jamais eu lieu pour cause de pandémie.

« J’avais deux mois de tournée aux États-Unis qui étaient vendus full », nous raconte-t-il lors d’un entretien charmant, assis sur un banc de parc. « Lollapalooza, Coachella, l’Amérique du Sud… Mais j’ai pris la décision, dès le départ, de tout annuler et de ne pas reporter. Je voyais ce qui se passait en Asie, je voyais ce qui s’en venait et je me disais : c’est pas possible, ce truc est trop gros. »

La supervedette est au Québec pour participer à Star Académie et passera deux semaines avec les concurrents – il montera deux numéros, dont un avec ses propres chansons –, contrairement au plan initial qui prévoyait plutôt quatre fois en trois mois. « Ça devait être plus long et plus dispersé. J’arrive, je m’en vais, je reviens, pour voir le progrès », explique-t-il.

Les restrictions sanitaires ont bien sûr changé les plans. Mais Mika n’a pas voulu se désister de sa participation à la populaire émission, même si elle impliquait deux semaines de quarantaine à son arrivée, entre autres parce que, parmi ses spectacles annulés, il y avait ceux prévus au Centre Bell et au Centre Vidéotron.

« Ça signifiait que cette région que j’aime et à laquelle je dois beaucoup, qui m’a toujours amené de l’énergie au cours des 14 dernières années, eh bien, j’aurais pu ne pas y aller pendant trois ans, potentiellement. C’est trop. »

Ligne de beauté

L’année 2020 a été émotivement éprouvante pour Mika, mais il n’a jamais arrêté de travailler. « Je ne suis pas un héros pour avoir fait ça. Mais pour moi, c’est une sorte de douce résistance. »

Le chanteur d’origine libanaise a entre autres organisé un grand spectacle caritatif virtuel pour venir en aide aux sinistrés de l’explosion de Beyrouth – « Je reconnais que c’est un petit truc par rapport à l’ampleur de la crise là-bas, mais ce n’est pas parce qu’on se sent impuissant qu’on ne peut pas faire de bruit quand même » –, composé la musique du feu d’artifice du 31 décembre au château de Versailles, offert un concert classique de ses grands succès dans la salle somptueuse de l’Opéra royal de Versailles (qu’on peut toujours regarder sur le site de France Télévision, et dont l’album est offert sur les plateformes d’écoute en continu).

Dans une période de crise, on ne peut pas répondre avec des banalités.

Mika

Il a donc voulu créer des projets signifiants, question d’y trouver chaque fois une « ligne de beauté ». « Il y a différentes manières de regarder le monde, qui permettent de mettre du sens et de l’ordre dans la vie autour de nous et en nous, explique Mika. Une de ces règles, c’est la règle de la beauté. Parce qu’il y en a même dans la tristesse. Même dans la peine. Il y a de la beauté même dans la mort. »

Cette quête est justement inspirée par la mort de sa mère, qui a été emportée il y a deux mois par un cancer après avoir aussi attrapé la COVID-19 et y avoir survécu. C’est sa mère qui l’a aidé à trouver sa voix et à se construire, se souvient-il, et tout ce qu’il fera dans cette « ligne de beauté » lui sera toujours dédié. « Je n’ai pas honte de le dire », avoue doucement Mika, qui estime que ce concept lui « donne du courage ».

« Cette idée aide à la survie et à la créativité, et rester créatif sera important dans la prochaine phase de ma vie, alors que j’approche de la quarantaine. »

Valeur

Cette année qui vient de s’écouler a aussi permis à l’auteur-compositeur-interprète de réfléchir à son rôle comme artiste. Lui qui se sentait souvent « perplexe » et « hors contexte » lorsqu’il comparait sa musique à celle de la scène urbaine, comme le rap et le R&B, affirme avoir réalisé pendant la crise que c’était en fait sa « plus grande valeur ».

« Je me suis dit : c’est OK, ça va, c’est la raison pour laquelle je peux toujours travailler, autant avec de grands moments de succès commercial que des moments plus discrets. Et ça, c’est une force, pas une faiblesse. J’espère que ça m’aidera à assumer encore plus, pour être encore plus fort dans ma réponse créative. »

Alors qu’il a recommencé à écrire pour un prochain album et pris goût aux happenings et aux évènements ponctuels, Mika ne cultive aucun regret par rapport à sa tournée annulée.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Mika

C’est passé, ça, la frustration. Et puis, c’est intéressant aussi, une interruption. Il y a un côté un peu oriental dans ça. Un peu inch Allah. Qui le sait, tu vois ?

Mika

Ce qui est certain, par contre, c’est que même si 2020 a été terrible et « étouffante », il prêche pour le devoir de mémoire : l’oubli serait une énorme erreur, croit-il.

« Ce serait insultant pour les gens qui ont souffert le plus. Si t’as pas eu d’argent, pas eu le soutien du gouvernement comme il fallait, si t’es mort sans ta famille, si t’as perdu quelqu’un sans lui dire au revoir… et on t’efface ? Ou, au contraire, on souligne, on rend honneur à la souffrance qui a été vécue, et on change au moins quelque chose. Oui, il y a des choses que j’aimerais oublier. Mais 2020, non. »