Solange Drouin a trouvé en l’ADISQ une passion et une cause. Pour le milieu de la musique, elle est sans cesse montée au front, souvent contre vents et marées. Après 29 années, la directrice générale tire sa révérence. Retour sur trois décennies de missions accomplies.

C’est un cliché, certes, mais Solange Drouin décide de l’assumer : en se joignant à l’ADISQ, en 1992, elle est arrivée sur son X. Avocate de formation, le « besoin de défendre une cause » l’a menée à délaisser la pratique du droit individuel. Quand l’occasion d’intégrer l’ADISQ comme conseillère juridique s’est présentée à elle, l’année de ses 30 ans, tout s’est emboîté dans sa vie professionnelle.

« Le droit collectif, où il est question de grands enjeux comme le droit d’auteur, la loi sur la radiodiffusion, ça m’a beaucoup parlé », dit Solange Drouin, dont la toute première passion a été la danse. L’ADISQ a été l’occasion « merveilleuse » de réunir deux essentiels de sa vie : « ma passion pour le domaine des arts et une cause à défendre ».

Depuis, Solange Drouin a contribué à la création de l’Observatoire de la culture et des communications du Québec. Elle siège au conseil d’administration de Musicaction et elle a été directrice générale de la Société de gestion collective des droits des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes du Québec, entre 1995 et 2001. Elle a aussi participé au lancement, il y a 20 ans, de la Coalition pour la diversité des expressions culturelles, qu’elle copréside et qui joue un rôle majeur à l’étranger.

Maîtresse-ouvrière de moments tournants

Solange Drouin récite par cœur et avec verve l’historique des dossiers marquants qu’elle a pilotés à l’ADISQ. La directrice sortante a gagné d’importantes batailles pour les intérêts de l’industrie de la musique. D’une équipe de 6 personnes à son arrivée, elle a bâti un groupe de 17 employés, engagés sur tous les fronts.

Il y a eu « la grande bataille » pour faire modifier la loi canadienne sur les droits d’auteur à la fin des années 1990, qui a « changé la face des choses ». Le financement public du secteur et des entreprises, « pour qu’elles aient les moyens d’offrir des albums ou des spectacles en mesure de rivaliser avec les artistes internationaux », est un cheval de bataille « qui n’a jamais connu de répit ». L’ADISQ sous Solange Drouin a aussi veillé à ce que ces entreprises soient formées adéquatement pour s’adapter à un marché qui a drastiquement changé au cours des dernières décennies.

À son arrivée, il était déjà question des quotas francophones pour la radio et la télé, un dossier toujours sur la table aujourd’hui. L’ADISQ a participé depuis à des centaines de consultations devant le CRTC. Elle déposera lundi son « énième mémoire » pour la révision de la politique de la radio commerciale, en chantier depuis 2015. Sa position est ferme : il faut aménager un espace pour notre musique si on veut la voir s’épanouir.

Aucun regret, quelques usures et des championnes

Si Solange Drouin ne traîne aucun regret de parcours, un manque de continuité dans certains dossiers qu’elle a portés lui laisse un léger goût amer. « Ça fait partie du travail, mais d’avoir à reconvaincre chaque fois, ça devient dur et épuisant, reconnaît-elle. Ça devient usant. »

Cette lenteur « inhérente au fait de travailler avec des gouvernements et de grosses structures » a pu être décourageante. Tout comme ces victoires qui ne sont pas vraiment passées pour des victoires.

Parfois, on a gagné parce qu’on a maintenu des droits acquis. Et ce n’est pas le fun de se dire qu’on a gagné parce qu’on n’a rien perdu.

Solange Drouin, qui tire sa révérence comme directrice générale de l’ADISQ

Ses meilleurs alliés dans ce perpétuel recommencement ? Solange Drouin préfère ne pas donner de noms, de peur d’en oublier. Mais elle note le travail des « championnes » qui ont souvent été des partenaires de choix. « Souvent, les ministres [de la Culture] ont été des femmes, soulève-t-elle. Il faut choisir de prendre le parti de la culture, de sa mise en valeur contre des intérêts plus commerciaux. Et il y en a qui ont choisi ce camp-là, il y a eu plusieurs championnes. J’ai plein de femmes en tête, au Québec et au fédéral, sur plusieurs niveaux. Plein, plein, plein. »

Vision d’avenir

« N’eût été la pandémie, je serais partie l’an passé », lâche Solange Drouin, lorsqu’on aborde les raisons de son départ. Elle ne s’en cache pas, cela fait quelque temps déjà que l’idée de passer le flambeau à quelqu’un d’autre germe dans son esprit.

Mais quatre jours après l’annonce d’une aide financière historique de 50 millions pour le milieu (une immense victoire), la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, ordonnait la fermeture des salles de spectacle. On connaît la suite. Et une capitaine ne quitte jamais son navire en péril. « Je n’ai plus repensé à mon départ depuis. On a retroussé nos manches avec l’équipe pour passer au travers », raconte Solange Drouin.

Si elle a le sentiment du devoir accompli, elle ne quitte pas l’ADISQ parce qu’il ne reste plus de travail à abattre. Au contraire, les années à venir seront les plus dures, prévoit-elle. Et, de toute façon, il ne faut jamais cesser de ramer, car les vents et les marrées auront tôt fait de faire reculer la cause.

Les gouvernements ont été là dans la dernière année. Des artistes ont souffert, mais il y a aussi eu un effort particulier pour la culture. Mais si ça s’arrête ce soir, il va y avoir énormément de problèmes.

Solange Drouin, qui tire sa révérence comme directrice générale de l’ADISQ

Elle s’attend à des engagements à long terme, notamment dans le numérique, point névralgique « qui va changer la donne dans le milieu de la musique » : « Les astres sont bien alignés en ce moment », dit-elle avec espoir.

La personne qui lui succédera n’aura pas le temps de s’ennuyer. Quant à elle, elle prendra « une pause pour faire place à autre chose » dès que la transition sera faite à la direction de l’ADISQ (la nomination devrait se faire à l’été).

« Je suis fébrile, triste par moments, car j’ai des deuils à faire. Même si on se dit que c’est pour le mieux, il faut toujours malheureusement laisser des choses », confie-t-elle. « Le bonheur du quotidien » avec son équipe si stimulante lui manquera le plus. « Ça va devenir de beaux souvenirs. »