Avec un troisième album foisonnant qui explore pour la première fois les sonorités électroniques, le quintette Feu ! Chatterton continue à créer une œuvre riche au souffle puissant, visionnaire mais ancrée dans le présent. Nous avons parlé avec trois des membres du plus littéraire des groupes français, lors d’un entretien sur Zoom à la fois léger et rempli d’interrogations métaphysiques.

Quand on écoute la chanson qui ouvre Palais d’argile, Monde nouveau, une chose nous frappe : c’est comme si elle résumait à elle seule l’année pandémique que nous venons de traverser. Pourtant, nous jurent en entrevue Arthur Teboul, Sébastien Wolf et Clément Doumic, toutes les pièces de l’album ont été écrites à l’été 2019. Seraient-ils des devins ?

« Les bons voyants sont ceux qui te montrent un miroir de toi-même », répond en souriant l’auteur et chanteur du groupe, Arthur Teboul. Et on pourrait ajouter que les bons artistes sont ceux qui savent dresser leurs antennes et saisir l’air du temps. Des signes avant-coureurs de cette crise mondiale, il y en avait déjà au moment de l’écriture des chansons, nous rappelle-t-il d’ailleurs.

« Le virus a été le deus ex machina qui nous révèle un peu plus les choses. Mais ça fait un moment qu’on se posait des questions sur les changements climatiques, le système libéral capitaliste qui montre ses grandes limites, l’exploitation de toutes les ressources… », soutient-il.

On n’invente rien, ces questionnements travaillent en nous et ressurgissent dans nos chansons. Mais c’est une astuce : quand on tend un miroir, il ressemble toujours à celui qui le regarde.

Arthur Teboul, auteur et chanteur de Feu ! Chatterton

Apaisement

Lyrique et ambitieux, Palais d’argile est un album qui ratisse très large. Les chansons s’intéressent (beaucoup) à la place de la technologie dans nos vies, mettent en scène des personnages — même Dieu ! —, parlent de la puissance des sentiments et des éléments. « On ne fait pas d’album souvent, rappelle Sébastien Wolf. Ça faisait trois ans, alors chaque fois, on essaie d’y mettre toutes les émotions, toutes les idées. »

« Pourquoi à chaque album on joue tout ? ajoute Arthur. Parce que chaque fois, c’est une aventure intime, éprouvante et totale. Quand on se lance, on est obligés d’y aller avec tout notre cœur, toute notre âme. Comme si on montait sur un petit rafiot de fortune et qu’on partait en mer tous les cinq. Tout s’exprime ! Le doute, l’amour, la joie, la peine, l’angoisse, la critique, la colère, la douceur… On y va, quoi ! »

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Musicalement aussi le spectre est large. On va du rock prog à l’électro, et les pièces, parfois très longues — jusqu’à neuf minutes ! — passent par toutes sortes de textures et de rythmes.

En fait, quand on plonge dans Palais d’argile, on a un peu l’impression d’être dans un opéra rock. Le disque, qui devait être présenté d’abord lors d’un spectacle, est en effet bâti en trois actes, confirme Arthur.

« On avait pensé à une forme de dramaturgie, précise Sébastien. Il n’y a pas de narrateur, mais des thèmes assez bien organisés.

On essaie de partir avec un constat du monde actuel, et d’aller progressivement vers une forme d’espoir. Pour répondre en gros à une question : qu’est-ce qu’on peut faire, et comment être apaisé par rapport à la complexité du monde ?

Sébastien Wolf, de Feu ! Chatterton

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L’âge de la machine

Au cœur des thèmes de l’album figurent la technologie et la machine. D’abord avec des chansons aux titres évocateurs comme Cristaux liquides et Écran total, mais aussi avec la présence du réalisateur Arnaud Rebotini, grand nom de la scène électro française qui a reçu un César pour la bande originale du film 120 battements par minute, et qui amène un nouveau son au groupe.

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« Ça fait partie de l’histoire de cet album », dit Sébastien, qui rappelle que le virtuel n’est jamais qu’une affaire de circuits et de pixels. « Maîtriser, grâce à Arnaud, ce nouveau monde des synthés et des boîtes à rythmes, ça a pu installer le son du disque exactement où on en avait envie, dans une forme de rétrofuturisme. »

Rétrofuturisme ? « Ces machines qu’on utilise pour faire de la musique, elles ont été créées pendant les années 1970. Elles étaient l’image du futur et le symbolisent toujours », répond Clément Doumic. « Ça a aussi rapport à la science-fiction », ajoute Arthur.

Si tu façonnes l’imaginaire collectif dans ce que sera le futur, le futur finira par lui ressembler.

Arthur Teboul, auteur et chanteur de Feu ! Chatterton

Clément complète : « Donc aujourd’hui, il faudrait essayer de construire une science-fiction d’apaisement, où la nature reprendrait ses droits, alors la planète serait guérie. »

Feu ! Chatterton commencera sa vraie tournée en septembre et espère revenir au Québec — le groupe a déjà joué trois fois aux Francos de Montréal depuis la sortie du premier album en 2015. Et les musiciens ne regrettent pas d’avoir décidé de sortir l’album ce printemps, même si tout est encore arrêté.

« À quoi sert un musicien s’il ne parle pas de son époque au moment où les choses arrivent ? demande Arthur. On voulait parler de maintenant. Alors c’est pour maintenant. »

IMAGE FOURNIE PAR UNIVERSAL

Pochette de l’album Palais d’argile, de Feu ! Chatterton

Indie pop
Palais d’argile
Feu ! Chatterton
Universal