L’accent québécois est encore là et la passion pour la musique coule plus que jamais dans ses veines. À 69 ans, il dit même entamer un nouveau chapitre de sa carrière. Daniel Lanois lance un nouvel album, Heavy Sun, à l’âme gospel. Si Lanois a travaillé avec U2, Neil Young ou Peter Gabriel, c’est maintenant un directeur de chorale de la Louisiane qu’il veut faire connaître au monde entier.

Parler avec Daniel Lanois (le double du temps prévu), c’est prendre part à une classe de maître. C’est aussi la preuve que les grands noms de la musique bossent avec générosité, gentillesse et une passion indéfectible pour leur métier.

Nous sommes jeudi matin, 10 h. Daniel Lanois est déjà dans son studio de Toronto aménagé dans un ancien temple bouddhique. « Je vais à mon studio tous les jours depuis que je suis enfant, dit-il. J’adore autant cela encore aujourd’hui. Il y a toujours des surprises qui surviennent. »

Mon studio est un refuge.

Daniel Lanois

Au milieu de notre entretien, Lanois nous fait même écouter le motif musical au piano qu’il a enregistré la veille avec une boîte à rythmes (beatbox) et des claves.

Si nous avons la chance de parler à Daniel Lanois, c’est qu’il lance un album, Heavy Sun, le premier de sa « Maker Series » qui lui permettra de sortir rapidement tout ce qu’il enregistre avec le label eOne. « Quand c’est fraîchement sorti du four », illustre-t-il. Pour lui, c’est carrément un nouveau chapitre de sa carrière.

Heavy Sun a des influences à la fois gospel et contemporaines puisque Lanois – éternel visionnaire et explorateur sonore – a incorporé des sons électroniques et du dub à l’instrumentation plus traditionnelle de l’orgue, par exemple. Il faut honorer le passé, mais tenter d’inventer quelque chose de nouveau pour appartenir au futur », dit-il.

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Ce n’est pas un album solo, précise-t-il, mais bien celui du groupe que ses acolytes Rocco Deluca et Jim Wilson et lui voulaient former avec un chanteur afin de faire un album axé sur les harmonies vocales. Mais il fallait trouver le chanteur.

Son nom : Johnny Shepherd. Et il a fallu aller le chercher en Louisiane, à Shreveport, dans l’église baptiste Sion, où il dirige la chorale.

« Le pasteur de l’église, Brady Blade, est le père de Brian Blade, qui joue parfois de la batterie avec moi, raconte Daniel Lanois. Quand j’ai entendu Johnny chanter, je me suis dit, mais quel talent ! Or, il n’avait jamais chanté en dehors de l’église […] Quand je lui ai demandé de venir dans mon studio à Los Angeles, il était hésitant. Je lui ai dit de faire comme si l’église n’avait plus de murs et que l’esprit de l’église le suivait. »

Johnny Shepherd partageait la scène avec Daniel Lanois en 2018 quand il s’est produit au festival Mile-Ex, à Montréal, sous le viaduc Rosemont. « Quand je suis à Montréal, le Canadien français en moi se réveille », dit-il avant de parler quelque peu en français comme il l’a fait pendant les 10 premières années de sa vie.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Daniel Lanois au festival Mile-Ex en 2018

Écouter notre mère

Avec son message inclusif et rempli d’espoir, difficile de croire que Heavy Sun a été enregistré avant la pandémie dans les studios de Lanois à Los Angeles et Toronto.

Après la dernière année marquée autant par les luttes sociales que par le virus, disons que ses chansons à l’âme gospel sont plus que bienvenues. Surtout sur l’extrait Power, qui va comme suit : People Got The Power/Why Can’t We Be Together.

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« C’est une chanson sur le contrôle qu’on peut avoir sur sa vie (self empowerment). On peut changer des choses dans sa rue, dans son quartier et tout simplement en traitant mieux son entourage. Comme nos mères nous disaient de le faire. »

Parlant de l’importance des mères, Daniel Lanois a perdu la sienne il y a six mois. C’est pourquoi la chanson Mother’s Eye le touche particulièrement. Une ballade sur la bienveillance maternelle.

Il admire beaucoup sa mère qui a quitté son mari alcoolique à Gatineau pour aller s’établir à Hamilton avec ses quatre enfants. Daniel Lanois avait alors 10 ans. Il ne parlait pas anglais. « Elle nous a laissés, mon frère et moi, aménager un studio au sous-sol. »

« Mes valeurs et mon éthique de travail viennent d’elle », dit Daniel Lanois. Plusieurs fois pendant l’entrevue, il nous dira que le monde serait meilleur si tous écoutaient ce que leur mère leur a appris.

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L’expérience du groupe

Lauréat de 11 prix Grammy (dont des coréalisations), Daniel Lanois a réalisé des albums marquants de l’histoire du rock pour U2, Neil Young, Bob Dylan, Peter Gabriel, ainsi qu’Emmylou Harris, avec qui il a partagé la scène de la salle Wilfrid-Pelletier dans le cadre du Festival de jazz en 2004 (avec Trixie Whitley). Il a aussi souvent collaboré avec son grand ami Brian Eno.

En 2010, un grave accident de moto a failli lui coûter la vie, mais il a ensuite pris part à un tas de projets (à la fois comme réalisateur et comme musicien). Il a formé le groupe Black Dub. Il a sorti l’album Flesh and Machine (2014) et Goodbye To Language (2016). En 2018, il a enregistré un album instrumental en collaboration avec Venetian Snares (Aaron Funk) et il a composé la bande musicale du jeu vidéo Red Dead Redemption 2.

Avec son nouvel album Heavy Sun, le voilà de retour au micro avec une soif de chanter en harmonie avec d’autres musiciens. Sur la pièce-titre, il est d’ailleurs question de laisser son ego à la porte. « Il n’y a rien de mieux que de s’oublier dans la musique et de fusionner en groupe », dit-il.

La chanson Dance On raconte comment on peut être possédé par son art. Dans Every Nation, Daniel Lanois se met dans la peau d’un autochtone qui quitte la Nouvelle-Écosse pour aller travailler à Toronto.

Daniel Lanois demeure un folkie dans l’âme. Malgré son parcours parmi les grands, il est resté humble. La scène lui manque, mais il se réjouit de pouvoir se rendre à son studio tous les jours. « Je suis sur un grand panneau publicitaire de Spotify rue Yonge Street devant l'Eaton Center. Je suis là-haut dans la lumière… et je suis chanceux. »