Sans trop s’éloigner de la proposition de son opus précédent, le remarquable Norman Fucking Rockwell !, Lana Del Rey offre avec Chemtrails Over the Country Club un septième album plus intimiste, moins percutant, fort d’un éventail vocal et thématique (un peu) plus large.

Sur la pièce d’ouverture, White Dress, la voix de Del Rey est déchirante et se prête magnifiquement à cette chronique mélancolique des temps révolus. Elle se rappelle de l'époque où elle était serveuse, de ses débuts, « à 19 ans seulement », tiraillée entre la fierté du chemin parcouru et la tragique nostalgie.

Let Me Love You Like a Woman, de son titre jusqu’à chacune de ses paroles, en passant par sa mélodie que l’on croirait déjà entendue, est une de ces chansons qui portent la distincte estampille Lana Del Rey. Tout comme la pièce titre et quelques autres sur Chemtrails. La Californienne ne réinvente pas sa formule, loin de là. Cela ne donne pas de mauvaises chansons, mais on se demande toutefois combien de pièces comme celles-ci la reine de la mélancolie pourra encore sortir avant l’écœurement général. Peut-être aussi qu’on ne s’en lassera jamais, il est vrai que personne ne parle de l’amour qui fait souffrir aussi bien que Lana Del Rey.

La plume de l’auteure-compositrice-interprète (récemment décrite par Bruce Springsteen comme une des plus belles aux États-Unis) a rarement été aussi acérée et constante. Del Rey s’est de nouveau accompagnée de Jack Antonoff (Taylor Swift, Lorde, St. Vincent) pour l’écriture de la plupart des titres, un choix qui n’a jamais déçu qui que ce soit.

Le poids du succès

Plus vocale que jamais, Lana Del Rey est devenue un personnage de plus en plus controversé cette dernière année. Ses déclarations sur le racisme, sur Donald Trump et sur ses privilèges, tout comme ses choix de masque en pleine pandémie, l’ont placée dans la mire de ceux qui ne pardonnent pas les vedettes qui osent être imparfaites.

Agacée par la constante critique (qui la suit depuis ses débuts) voulant qu’elle « glamourise l’abus », elle a aussi défendu ses thématiques fétiches (« se sentir belle en étant en amour, même si la relation n’est pas parfaite », notamment) en se comparant maladroitement à d’autres musiciennes.

Lana Del Rey peut être la proie de bien des critiques, mais elle se laisse de moins en moins faire, même si cela ne fait parfois que jeter de l’huile sur le feu. Comme une réaction à tout cela, elle chante ici son envie d’échapper à cette vie sous les regards inquisiteurs. « Don’t even want what’s mine, much less the fame », dit-elle sur l’excellente Dark But Juste a Game, au relief envoûtant. Elle se dit « accablée par le poids de la célébrité » sur Dance Till We Die, magnifique ballade où elle rend hommage à Joni Mitchell, Joan Baez et Stevie Nicks.

Lana Del Rey excelle dans les références à la culture et au paysage américains, ne se prive pas ici, encore une fois, d’en imbiber tout l’album. C’est une conteuse exceptionnelle qui nous fait rêver des scènes qu’elle nous décrit avec adresse.

Les amies d’abord

Il est toujours autant question de romance mélodramatique et nostalgique sur Chemtrails, mais Del Rey fait cette fois une petite place à l’amitié également. La pochette de l’album, où la chanteuse se fond dans un groupe tout féminin et tout sourire, est la première à le suggérer : dans le Country Club de Lana Del Rey, on veut se retrouver entre femmes. Parler de ruptures et de relations compliquées, mais entre femmes.

La chanteuse country Nikki Lane prête sa voix à Breaking Up Slowly. L’album se conclut sur la reprise d’une chanson de Joni Mitchell. Sur For Free, Del Rey invite les chanteuses Zella Day et Weyes Blood, une addition plaisante qui vient pousser un peu plus loin cette impression que cet album est fait pour et par les femmes (et Jack Antonoff).

Lana Del Rey ne fait que rarement place à des collaborations. Ces invitées de choix en fin d’album sont des apports judicieux, viennent donner le dernier souffle nécessaire pour compléter le 45 minutes d’écoute sans qu’on ait eu le temps d’être blasé.

ALT POP
Lana Del Rey
Chemtrails Over the Country Club
Polydor Records/Universal Music
★★★½