Thomas Chapin a succombé à la leucémie à 40 ans, au moment où il commençait à s’affirmer comme l’un des leaders de la scène jazz du New York de la fin des années 1990. Vingt ans plus tard, le batteur montréalais Ivan Bamford a eu le privilège de mettre la main sur des pièces inédites jamais enregistrées par le jazzman disparu en 1998. Ces morceaux se retrouvent sur le plus récent album de l’Eyevin Nonet, Thomas Chapin III : Unearthed, mettant un point final à un triptyque hommage commencé en trio il y a trois ans.

« Chapin s’est éteint en pleine ascension, mais il reste encore trop obscur par rapport à la qualité de son œuvre, nous affirme Ivan Bamford au téléphone. Je me suis mis à repiquer plein de ses chansons, il y a six ou sept ans, avant d’en parler à mes amis Aurélien (Tomasi, saxophone) et Stéphane (Diamantakiou, contrebasse). Ils ne connaissaient pas Chapin, mais ils ont vraiment trippé. Ils se sont mis à travailler là-dessus à fond. »

Les musiciens ont aussi rapidement établi le contact avec Terri Castillo, veuve de Thomas Chapin. À l’occasion de deux voyages distincts à New York, Ivan Bamford en a profité pour ramasser deux boîtes de matériel et de notes du défunt musicien, en plus de suivre une formation avec Mike Safin, l’ancien batteur de Chapin. De son côté, Aurélien Tomasi a acheté le saxophone alto avec lequel jouait le compositeur jazz.

Un tremplin

Le premier album, enregistré en trio en 2018, se veut ainsi un hommage aux pièces les plus connues du répertoire de Chapin. Le deuxième, enregistré en octet sous le nom Apocalypse 8, met en valeur les morceaux que le jazzman new-yorkais a composés pour de grands ensembles. Il s’agissait en fait d’un tremplin vers l’Eyevin Nonet, qui allait plancher sur des pièces inédites que Chapin n’avait lui-même jamais eu la chance d’interpréter.

« C’est en 2019 que Terri Castillo Chapin nous a confié les partitions originales encore inachevées », se rappelle Ivan Bamford, aussi batteur pour le Gypsy Kumbia Orchestra (GKO), de nouveau sélectionné aux prix Junos, cette année. « Les compositions de Chapin étaient faites pour une orchestration avec flûte, deux clarinettes, cor anglais, basson, hautbois, mais tout fonctionnait néanmoins avec la gamme des instruments du Apocalypse 8. Il s’agissait simplement d’ajouter le piano. J’ai joint Yannick Anctil, et l’Eyevin Nonet est ainsi devenu une extension du Apocalypse 8. »

On retrouve ainsi au sein du groupe quelques membres de GKO — le trompettiste Bertrand Margelidon et le tromboniste Étienne Lebel —, mais aussi l’altiste James Anett, vétéran de la scène de l’impro montréalaise, de même que la tubiste Julie Houle et la flûtiste Marilène Provencher-Leduc, deux références en la matière au Québec.

Les pièces inédites enregistrées sur Thomas Chapin III : Unearthed sont Fallen Angel, Oracle of the Night et Lense.

Les trois chansons n’étaient pas tout à fait finies, mais deux d’entre elles surtout avaient besoin de plus de travail. On a enregistré tout ça en novembre 2019, trois jours seulement après la naissance de ma fille Maëlle, née un peu plus tôt que prévu le 5 novembre. J’ai passé pas mal de nuits blanches, ç’a été trois jours remplis d’émotions !

Ivan Bamford

La quatrième pièce de l’album, Maëllia, est justement une pièce du batteur composée pour sa fille, écrite en respectant le style des dernières créations de Chapin. Justement, l’album se veut un coup d’œil à la tangente que l’œuvre de Chapin aurait pu prendre. « Le jazz des années 1990 était un peu le miroir de ce qui se passait à l’époque, soutient Ivan Bamford. C’était le début de la mondialisation, le jazz commençait à trouver des inspirations de partout dans le monde. Chapin allait lui-même puiser dans le punk, la musique du monde. Mais pour ses dernières pièces, il emprunte davantage à la musique classique contemporaine du XXe siècle. C’est certainement un jazz qui n’a pas peur de puiser des influences d’un peu partout. »

Si Ivan Bamford a bouclé la boucle de son hommage à Thomas Chapin, ce n’est certainement pas la fin du projet Eyevin. « La prochaine étape sera de retourner en trio pour enregistrer des compositions influencées du style de Chapin, avance le batteur virtuose. J’ai déjà cinq compositions et je compte en ajouter trois autres pour faire un nouvel album en trio. Après quoi, j’aimerais aussi élargir le répertoire du nonette. Mais avant de me remettre à la composition, je veux vraiment avoir la chance de jouer live avec le nonette. Là, j’ai juste hâte de jouer ça avec cette gang-là ! »

IMAGE FOURNIE PAR CORNE DE BRUME

L’album Thomas Chapin III : Unearthed, de l’ensemble Eyevin Nonet