Alors qu’elle vient à peine de recevoir le prix Victoire de l’artiste féminine de l’année en France, c’est au Québec que Pomme est venue se réfugier pour écrire de nouvelles chansons. Nous avons discuté avec elle de l’effet de ce prix et de sa prise de parole pour faire du milieu de la musique un endroit plus sécuritaire pour les femmes.

« C’est beau ici, on est comme sur la Lune. C’est tout blanc. » Pomme, de son vrai nom Claire Pommet, nous parle de l’île d’Orléans, où elle fait sa quarantaine. Comme elle est plutôt volubile, on sent qu’elle ne parle pas beaucoup depuis qu’elle est arrivée ; elle nous raconte comment elle a quitté la France quatre jours seulement après la cérémonie des Victoires du 12 février.

« J’ai fait un peu de promo et je suis partie, alors je n’ai pas eu trop le temps de me poser mille questions ! Et parce que l’ambiance est tellement différente ici, je ne "processe" rien de tout ce qui est arrivé… C’est même presque une manière de contourner, parce que là, je n’ai plus aucun contact avec ce milieu et cette vie. »

Son objectif en traversant l’Atlantique : n’avoir rien d’autre à faire que manger, dormir et écrire, dit l’autrice-compositrice-interprète de 24 ans. « Dans mon quotidien parisien, je n’y arrive pas vraiment. C’est plus facile quand je suis coupée du monde. Quand j’ai fait Les failles, en 2018, je m’étais isolée deux semaines et j’avais écrit tout l’album. J’écrivais deux chansons par jour ! »

En ce moment, le rythme n’est pas le même, on parle plus d’« une chanson tous les deux jours », et Pomme ne s'impose aucune pression.

Je n’ai pas besoin de sortir un album dans les prochains mois. C’est moi qui regarde où j’ai envie d’aller.

Pomme

Même si elle essaie de ne pas lui accorder trop d’importance, ce prix de l’artiste féminine, qui arrive un an après celui de la révélation, est quand même symbolique. Et vient confirmer à quel point Les failles a réussi à résonner chez les gens, bien au-delà des attentes de sa créatrice. « Son succès est inattendu », dit Pomme, qui a aussi offert une performance spectaculaire lors de la cérémonie, flottant dans les airs sur une plateforme à près de trois mètres du sol, seule avec son mini-piano.

« C’était moi qui lévitais dans le cosmos. Cette performance était importante, parce que j’avais fait toute la direction artistique et que j’y travaillais depuis décembre », explique la chanteuse, qui fonctionne de manière indépendante et, chose rare, sans agent. « J’ai un label et une assistante qui gère toute ma vie, mais c’est moi qui prends toutes les décisions. Alors j’étais émue d’arriver à l’aboutissement de ça, parce que la veille, on ne savait toujours pas à quoi ça ressemblerait ! »

Si elle a pleuré en recevant son prix, ce qui est rare chez elle – même en entrevue, Pomme est sérieuse et réservée –, c’est donc à cause de la fébrilité de la performance, de la pandémie qui a fait tomber des barrières et, un peu, de la surprise : elle s’attendait à voir Aya Nakamura, « la plus grosse vendeuse d’albums dans le monde », l’emporter. « Si le public avait voté, c’est elle qui aurait gagné haut la main ! C’est pour ça que j’ai mis le maximum d’énergie, de vérité et de concentration dans ma perfo. Je voulais que les gens me découvrent vraiment. »

Changement

Pomme, qui avait signé la veille de la cérémonie une lettre dénonçant les violences structurelles dans le milieu de la musique, a aussi vu ce prix comme un signe d’espoir pour changer de l’intérieur « un système qui opprime les femmes et les minorités ». Dans son discours, elle a d’ailleurs appelé à ce que l’industrie devienne davantage un safe space.

> Lisez le texte de Pomme publié sur le site de Mediapart

« Ça m’a confirmé que je ne dois pas me tasser et que je dois continuer à mener mes combats. J’ai l’intention que ce prix soit celui de l’espoir du changement. » Quand on voit le ressac qu’a subi Yseult après avoir reçu le trophée de la révélation de l’année, subissant sur les réseaux sociaux des injures racistes, grossophobes et sexistes, qui ne sont pas sans rappeler ce que subit ici Safia Nolin, amie et ex-amoureuse de Pomme, on se dit qu’il y a encore du chemin à parcourir.

PHOTO BERTRAND GUAY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Claire Pommet, aussi connue comme Pomme

Oui, il y a des similitudes entre Yseult et Safia, deux artistes au talent incroyable et qui dérangent énormément juste parce qu’elles assument ce qu’elles sont. Moi, j’ai le privilège de ne jamais être critiquée pour mon physique et la couleur de ma peau, alors autant utiliser ce privilège pour essayer de faire changer les choses.

Pomme

Et elles pourront changer si les femmes font front commun, croit-elle, comme c’est le cas en ce moment en France, où le mouvement #musictoo est né en 2020, où les musiciennes échangent de plus en plus entre elles. « On n’avait jamais vu ça avant », souligne Pomme, qui dit avoir fait en quelque sorte son « éducation féministe » au Québec et qui entend continuer à parler maintenant que sa voix porte plus largement. C’est d’ailleurs pourquoi, dans sa lettre, elle a reparlé de son propre #metoo.

« J’en avais parlé en 2018, mais ça n’avait pas eu d’impact et je trouvais ça dommage. C’est une histoire que j’ai vécue de 15 à 17 ans, dont je suis guérie, mais pour moi, c’est un point de départ pour raconter ce que toutes les femmes vivent dans l’industrie de la musique – le harcèlement, les agressions, les viols – sans avoir aucun espace pour en parler. »

La suite

Grande amie du Québec qui partage son temps entre ses « deux maisons », Pomme restera probablement ici jusqu’en avril – elle fera d’ailleurs partie des invités de Star Académie le 7 mars. En plus d’écrire, elle en profitera pour réfléchir à l’après-Failles, d'autant qu’elle « n’a pas la certitude » de pouvoir reporter tous les spectacles de la tournée prévus en 2020-2021.

J’avais trois Olympia, mais je pense que je ne les ferai pas. Il y a plein de villes où je n’irai pas. C’est frustrant, mais je ne peux plus attendre après une tournée de 150 dates qui n’arrivera jamais comme j’aurais voulu et qui m’empêche de passer à une nouvelle étape.

Pomme

Elle songe plutôt à faire paraître un album en 2022, et à une nouvelle tournée qui inclurait les chansons de Failles ainsi que les nouvelles. « Secrètement, dans ma tête, je me dis qu’on pourrait avoir de plus grosses ambitions en termes de taille de salle. Mon rêve serait de faire de la lévitation durant tous mes concerts ! »

De toute façon, c’est elle qui décidera du chemin à prendre, et cet « entre-deux un peu étrange » est surtout plein de possibilités.

« Je n’ai pas d’angoisse pour la suite. Ce Victoire me donne une confiance précieuse, des gens vont attendre l’album. Ça me donne envie de faire mieux que Les failles, mais c’est à double tranchant, parce que ça me met de la pression. Mais ça me fait aller de l’avant et m’empêche de stagner. »