(Paris) En France, « il a inventé la chanson moderne », assure Valentin Schmite, auteur de La révolution Trenet. Disparu il y a 20 ans, l’artiste est toujours célébré et cité par les chanteurs, des Français Thomas Dutronc à Orelsan en passant par le Britannique Robbie Williams.

Le « Fou Chantant » s’est éteint le 19 février 2001, à 87 ans. Mais son œuvre est toujours bien vivante. Pour son dernier album-concept Frenchy, Thomas Dutronc a choisi l’été dernier des titres iconiques du répertoire français, dont La mer, chanté en anglais (Beyond the Sea).

Comme l’avaient fait avant lui Robbie Williams, Stevie Wonder ou encore George Benson. Et pour la réédition enrichie du disque, pour les Fêtes de fin d’année, Dutronc junior s’est associé à son compatriote Philippe Katerine pour réinterpréter, sur une idée de ce dernier, Il y avait des arbres. Mais comment ces chansons passent-elles l’épreuve du temps ?

« Il a inventé une façon de parler, un langage », éclaire pour l’AFP Valentin Schmite dont l’ouvrage est paru en janvier chez EPA Éditions. Avec Il y avait des arbres, cet enseignant à Sciences-Po Paris écrit d’ailleurs que « le poète laisse un chef-d’œuvre exemplaire, en forme de leçon de prononciation », un morceau « au rythme soutenu de train pressé traversant la montagne ».

Une « démonstration » qui ne laissera pas insensible, poursuit-il, « de Johnny Hallyday à Booba, en passant par Alain Souchon ou Orelsan ». Booba ? Le poids lourd du rap français citait « Bob Marley, Trenet, Renaud, Nas, Public Enemy, des flashs, des univers, des ambiances » parmi ses références dans le quotidien Libération en 2013.

« Pas de limite »

Orelsan ? Bertrand Dicale, auteur du Dictionnaire amoureux de la chanson française (Plon) confirme à l’AFP : « beaucoup de générations connaissent Trenet, c’est la base de la base, je ne cite pas Orelsan (clin d’œil à Basique, NDLR) par hasard, c’est un immense admirateur, Orelsan l’a découvert en voiture avec son père et sa mère ».

Trenet, ils sont nombreux à l’avoir encensé ou chanté, de Jacques Higelin, Georges Brassens, Serge Gainsbourg, Anne Sylvestre à Benjamin Biolay.

« Qu’est-ce qui les relie ? La langue, on est aux origines du pouvoir des chansons, nous emporter quelque part », poursuit Bertrand Dicale.

« Il n’y a pas de limite avec Trenet, c’est un souffle de liberté dans la chanson française, comme “Y a d’la joie, la tour Eiffel part en ballade/Comme une folle, elle saute la Seine à pieds joints” », acquiesce Valentin Schmite.

« Trenet, c’est le libérateur, quand “la tour Eiffel part en balade”, on n’est pas loin du psychédélisme de Lucy in the Sky with Diamonds, des Beatles, c’est totalement révolutionnaire », abonde Bertrand Dicale.

« Pendu cette nuit »

Et puis derrière le sourire du chanteur, il y avait la part sombre des textes de l’auteur, un homme pas épargné par les coups. Valentin Schmite relate dans son ouvrage « un mauvais procès tenu par un comité d’épuration » à la fin de la Deuxième Guerre mondiale et une « rumeur abjecte et infondée d’une pédophilie présumée » dans les années 1960. Condamné d’abord à un an de prison, il écopera en appel d’une amende et sortira au bout d’un mois. Il est « en fait victime d’homophobie, tout simplement », résume Valentin Schmite.

Alors, la noirceur sert souvent de décor. Dans Je chante, on entend ainsi « Je me suis pendu cette nuit ». « Montaigne disait que philosopher c’est apprendre à mourir, chez Trenet la libération peut passer par la mort », dépeint Valentin Schmite. « J’ai compté, il y a une trentaine de morts chez Trenet, ça fait beaucoup (rires) », rebondit Bertrand Dicale.

Et puis il y a le Trenet pionnier, un des premiers auteurs-compositeurs-interprètes. Aurait-il été artiste-entrepreneur aujourd’hui comme la nouvelle génération ? « Je ne sais pas, mais il aimait mettre en valeur d’autres chanteurs, dans une émission de radio, par exemple, alors je pense qu’il l’aurait fait sur (des réseaux sociaux comme) Twitch ou TikTok aujourd’hui », s’amuse Valentin Schmite.