Québecor qui fait l’acquisition de l’emblématique maison de disques Audiogram : la nouvelle est tombée comme une bombe dans le milieu de la musique mercredi après-midi. Une transaction qui était nécessaire pour assurer la pérennité de l’entreprise, affirme le président et cofondateur d’Audiogram, Michel Bélanger.

« On a été approchés très souvent pendant notre existence et on a toujours pris la décision de continuer, même si l’industrie a traversé beaucoup de crises », explique Michel Bélanger, qui a cofondé Audiogram en 1984 avec son ami et partenaire Rosaire Archambault.

Mais la pandémie et ses bouleversements l’ont fait réfléchir à l’avenir de son entreprise. Et, surtout, à la façon dont il pouvait s’assurer qu’elle passe à travers ces turbulences qui touchent de front le milieu de la musique.

« C’est un catalogue magnifique, je peux continuer de le dire, nous a confié Michel Bélanger au téléphone. Une belle entreprise. J’aurais été déçu de juste réduire et réduire encore les activités. Avec tous les enjeux qui s’en viennent, et en plus avec cette nouvelle économie qu’on comprend, mais qui n’est pas stabilisée… pour les revenus c’est de plus en plus difficile. Pour passer au travers, il fallait des alliés avec de la profondeur et des moyens. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK D’AUDIOGRAM

Michel et Daniel Bélanger, en 2018

La pérennité de l’entreprise, mais aussi la volonté qu’elle reste propriété québécoise et qu’elle conserve son identité, ont été au cœur de ses préoccupations.

Quand on a commencé à discuter, on a vu la volonté de Québecor de garder Audiogram pour ce qu’il est. D’ailleurs, l’entreprise va rester dans les mêmes locaux, et tous les employés vont demeurer en place. Ç’a été encore confirmé mercredi matin.

Michel Bélanger

L’actuel directeur général d’Audiogram, Philippe Archambault, restera aussi en poste. Pour Martin Tremblay, chef de l’exploitation de Québecor Sports et divertissements, il était logique qu’Audiogram conserve son identité.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’actuel directeur général d’Audiogram, Philippe Archambault, restera en poste dans la nouvelle structure gérée par Québecor.

« C’est une voix de plus dans notre écosystème, explique-t-il. On a déjà Musicor, qui est plus dans le populaire, Mp3, le label de Mario Pelchat, et Ste-4, qui fait plus dans la musique urbaine. L’idée n’est pas de brasser tout ça dans la même soupe. On fait l’acquisition d’un catalogue, mais aussi d’une équipe, d’une liberté de création et d’une personnalité artistique. Il faut préserver ça. »

Il n’est donc pas question pour Québecor de brasser les structures, mais plutôt de tabler sur l’expérience des gens en place. Tout en se projetant dans l’avenir.

« On ne veut pas juste s’arrêter à gérer un catalogue et regarder vers le passé. Il faut aussi être capable de réinjecter l’argent pour faire de la recherche de talents et trouver de nouveaux créateurs. »

PHOTO ÉRIC MYRE, FOURNIE PAR QUÉBECOR

Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, Philippe Archambault, directeur général d’Audiogram, et Martin Tremblay, chef de l’exploitation de Québecor Sports et divertissement

Un symbole

Audiogram et sa maison d’édition musicale Éditorial Avenue sont un des fers de lance de la musique québécoise depuis près de 40 ans. Des dizaines d’artistes, dont Pierre Lapointe, Lhasa de Sela, Richard Séguin, Jean Leloup, Daniel Bélanger, Catherine Major et Laurence Jalbert, pour n’en nommer que quelques-uns, y sont passés ou y sont encore. Plus de 500 albums y ont été produits.

« Audiogram, c’est l’histoire du Québec et de sa musique. J’ai 44 ans et j’ai grandi en écoutant ces artistes », dit Martin Tremblay, qui a conscience du « privilège » d’avoir entre les mains un tel catalogue.

« Michel et Rosaire, ce sont des pionniers. On fait une transaction, oui, mais ce sont des gens qui nous confient l’œuvre de leur vie. Alors on le fait avec humilité et respect. »

Si Audiogram est devenu un symbole et un modèle, ce n’était pas l’objectif de Michel Bélanger. « Au début, je voulais juste bien faire les choses. Et je me suis engagé là-dedans. Entièrement. »

C’est probablement pour cette raison que l’avenir l’inquiétait tant : le producteur s’est beaucoup demandé ce qui se produirait si la santé n’était plus là ou s’il avait un accident. « Tout peut arriver dans la vie. Il fallait voir plus loin que maintenant, quoi. »

C’était pour lui une « responsabilité », et cette acquisition par Québecor est selon lui la meilleure chose qui pouvait arriver à Audiogram.

« Un acheteur aurait pu se présenter, une multinationale. Puis des bouleversements dans l’industrie auraient fait que tout le catalogue aurait disparu et se serait retrouvé sur des tablettes. Ça aurait pu arriver, et on ne voulait pas ça. »

On peut penser ce qu’on veut de Québecor, ne pas être d’accord, avoir des différends, mais il reste que son implication dans la culture d’ici est un engagement réel.

Michel Bélanger, président fondateur d’Audiogram

Les entreprises qui pouvaient reprendre le flambeau sont aussi plutôt rares, ajoute Michel Bélanger. « Ils ont tout ce qu’il faut pour maintenir ça. »

Indépendant

Quand on demande à Michel Bélanger s’il est plus difficile d’être un acteur indépendant en musique aujourd’hui, il répond que ce l’est « depuis toujours ».

« J’ai commencé au moment où l’industrie était au plus bas. Je n’ai jamais connu de bas aussi bas depuis ! À cette époque, Paul Piché m’a fait confiance, il a quitté la boîte où il était et il est venu avec moi. Ça a débuté comme ça, et depuis, je n’ai pas connu de moment de repos. »

Michel Bélanger ne prend pas pour autant sa retraite. « Ça ne m’habite pas, ce concept. » Celui qui a été directeur artistique de dizaines d’albums continuera à faire des productions que « de toute évidence » il va emmener chez Audiogram. Et il entend continuer à répondre aux demandes des artistes qui ont besoin « d’une idée, d’une vision ».

« Ce sera mon apport, explique-t-il. J’avais 28 ans quand j’ai lancé ce projet, c’est ce que j’ai fait de ma vie professionnelle. C’est vraiment dans moi. J’ai à cœur que ça continue et que ça soit bien fait. »

Il laisse donc partir son bébé en toute confiance. « Cette équipe est vraiment bonne. D’aucune façon je ne remettrai en question leurs décisions. J’ai tellement confiance que je n’irai même pas regarder par-dessus leur épaule ! »

Émotion

Michel Bélanger est donc en paix. Mais il admet que c’est la pandémie qui a accéléré sa réflexion sur la fragilité de son industrie, et que la transaction aurait pu ne pas arriver cette année. « Il y a trois mois, je n’avais pas ça dans la tête. »

Les conséquences de la pandémie risquent de se faire sentir dans le milieu pendant encore de nombreuses années, et après, « plus rien ne sera pareil ». Maintenant, Audiogram est en mesure « de se rebâtir, de passer à travers les contrecoups et les moments difficiles à venir », juge-t-il.

« C’est du réalisme de notre part. Il faut que ce soit d’autres qui continuent. »

Mais si la décision est assumée et réfléchie, le moment est chargé d’émotion pour lui. « J’ai l’air serein comme ça, mais ce n’est pas toujours facile. Émotivement, ça arrache. C’est quelque chose. »