Dans Ma délire, Myriam Gendron s’empare du répertoire traditionnel québécois et nord-américain pour lui insuffler de la vie et du sens. Un album sorti plus tôt cet automne, mais puisque le temps des Fêtes est souvent synonyme de musique trad, nous avons saisi l’occasion pour rencontrer celle qui aime bien faire du neuf avec du vieux.

La réception est plus que positive depuis la sortie de Ma délire, qui figure d’ailleurs sur de nombreuses listes des meilleurs albums de 2021. Et Myriam Gendron n’en demandait pas plus.

« C’est ce que je voulais, que ça voyage tranquillement par le bouche-à-oreille… Je ne veux pas être connue, ça m’angoisse plus qu’autre chose. C’est la musique que je veux mettre de l’avant et pour l’instant, c’est ce qui a l’air de se passer. »

Il y a sept ans, Myriam Gendron, qui a étudié en littérature et qui est libraire de son état, lançait « un peu par accident » un premier album, Not So Deep As Well, où elle avait mis en musique des poèmes de l’Américaine Dorothy Parker.

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« C’était un projet pour le plaisir. Je composais sans penser que j’étais en train de faire un album. » Mais il a connu un joli succès, en particulier à l’étranger. Et il a surtout donné confiance à Myriam Gendron, pour qui la musique était jusque-là surtout un passe-temps.

Réaménagement

Deux enfants qui l’ont tenue bien occupée et une bourse du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) plus tard, qui lui a permis de travailler à temps plein sur son projet d’octobre 2020 à avril 2022, Myriam Gendron est donc arrivée cet automne avec Ma délire, album hybride et bilingue où, dans le même esprit qu’un Michel Faubert, par exemple, elle a fait un travail de réappropriation du folklore, mais surtout de réaménagement.

« Il y a des emprunts, du collage, de l’écriture, de l’adaptation, de la traduction, des compos originales… », énumère-t-elle. Comme les compositeurs de musique électronique ou les rappeurs, Myriam Gendron a fait ce qu’on pourrait appeler des mash-up, donnant à ces pièces qui ont voyagé parfois pendant plusieurs siècles une nouvelle couleur.

Ben c’est l’époque, hein ? Moi, je trouve que c’est un processus créatif très riche. De toute façon, on travaille tous à partir de ce qui est déjà là, même quand on ne s’en rend pas compte, parce qu’on est la somme de nos influences. Ça me plaît, ce rapport au temps et au passé qui se déploie de manière explicite.

Myriam Gendron

Le folklore, rappelle Myriam Gendron, est par définition une musique qui a voyagé par tradition orale, et qui s’est transformée « avec le temps et la réalité des gens ».

Si on a tendance à voir ces chansons comme des « objets de musée », c’est que les enregistrements les ont un peu figées dans le temps. Mais il n’y a pas de raison pour que ces versions soient définitives, surtout que les chanter telles quelles n’aurait pas tant de sens aujourd’hui, croit-elle.

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« J’essaie de remettre de la vie là-dedans. Parce qu’elles ont encore des choses à nous dire ces chansons. En tout cas, elles me parlent encore, à moi. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont traversé le temps ! Il faut juste les modeler un peu. »

Mythologie

Myriam Gendron n’est pas ethno-musicologue, mais elle a fini par s’intéresser à l’histoire des chansons, à leurs racines et à leurs croisements insoupçonnés, les chemins parfois tortueux qui les ont menées jusqu’à nous. Mais c’est vraiment par « coup de cœur » qu’elle a choisi chacune des 15 chansons de l’album, pour leurs mélodies fortes qui sont souvent de « véritables vers d’oreille », pour les thèmes universels qui s’apparentent parfois à la mythologie grecque.

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Et en les ramenant à « leur essence », en enlevant les références géographiques et historiques, les mots difficilement prononçables aujourd’hui ou la morale religieuse, s’en dégage une espèce de mythologie, des archétypes qui aident à mieux comprendre le bien, le mal et tout ce qu’il y a entre les deux, estime-t-elle. Et ils lui permettent de parler d’amour, de désir féminin et d’ouverture à l’autre avec autant de pertinence.

J’ai trouvé beaucoup d’outils dans la musique trad pour parler du monde qui m’entoure. Quand tu enlèves toutes les spécificités du récit, qu’est-ce qui reste ? C’est un peu ça, ma quête. Ce qui fait que ces chansons ont traversé le temps, c’est ça. C’est leur essence.

Myriam Gendron

Née à Ottawa, la musicienne de 33 ans a grandi à Gatineau, Washington et Paris avant de s’installer à Montréal à l’âge de 16 ans. Elle est arrivée au folk par Bob Dylan et Leonard Cohen, ce qui explique qu’elle ait puisé dans le répertoire québécois, mais aussi américain.

La chanteuse préfère clairement la richesse du passé à l’obsession de la nouveauté et de l’originalité. « C’est nier l’essence même de l’art, qui est un continuum », estime-t-elle. Alors si elle fait un autre album — en fait, il y en aura un, car pour la première fois de sa vie, elle a ressenti la conviction d’être « exactement à la bonne place » —, il sera nécessairement folk, au « sens profond » du terme.

« C’est-à-dire une musique qui va puiser dans ce qui est déjà là, dans le passé, pour le modeler à la lumière du présent. » Qui fait du neuf avec du vieux.

Ma délire – Songs of love, lost & found

Folk-trad

Ma délire – Songs of love, lost & found

Myriam Gendron

Feeding Tube Records/les albums claus