Entre un automne européen chargé et un hiver qui le sera tout autant, la chanteuse Marie-Nicole Lemieux revient quelques semaines au Québec pour recharger ses batteries et participer à deux projets artistiques qui lui tiennent particulièrement à cœur. Entretien avec la pétillante contralto, qui s’est notamment vu remettre le prix Samuel de Champlain le 25 novembre à la délégation du Québec à Paris.

« J’étais super honorée d’avoir ce prix-là », se réjouit la nouvelle lauréate de la récompense offerte chaque année par l’Institut France-Canada à deux personnalités culturelles de chacun des deux pays. Elle succède entre autres au pianiste Alexandre Tharaud et au chef Bernard Labadie, qui l’avaient reçue conjointement en 2015.

« C’était très émouvant. J’étais jumelée avec Michel Franck, le directeur du Théâtre des Champs-Élysées. C’est le premier qui a eu confiance en moi, qui m’a donné un grand rôle, le fameux Orlando furioso [de Vivaldi en 2003] avec Jean-Christophe Spinosi. C’est là que tout a démarré en France. »

Pour avoir démarré, ça a démarré ! Marie-Nicole Lemieux, ou simplement Marie-Nicole pour ses admirateurs, est l’une des artistes lyriques les plus appréciées dans l’Hexagone, notamment aux Champs-Élysées, où elle a participé à une trentaine de productions et où elle était de retour pas plus tard que samedi dernier pour fêter le 30e anniversaire de l’Ensemble Matheus avec le même maestro Spinosi.

L’accueil que le public m’a réservé, c’était incroyable. C’était comme en 2003 ! C’était une soirée formidable, avec plein d’amour. On a chanté du karaoké. C’était le fun, ça a parti dans tous les sens !

Marie-Nicole Lemieux

Du fun, malgré un public masqué ? « C’est drôle, je me suis rendu compte – notamment dans les avions – qu’on sourit beaucoup des yeux. Je trouve le moyen d’avoir de petits clins d’œil avec tout le monde », avoue la chanteuse.

Même si elle adore le public, Marie-Nicole Lemieux n’en reste pas moins – comme beaucoup d’artistes – une nerveuse chronique sur scène. Elle mentionne entre autres sa participation à Samson et Dalila de Saint-Saëns aux Chorégies d’Orange, l’été dernier, alors que, pour des raisons pandémiques, « seulement » 5000 personnes étaient réunies dans le célèbre théâtre extérieur datant du Ier siècle avant notre ère.

« J’ai manqué mourir de nervosité. Je veux être à mon meilleur alors c’est l’enfer, confie l’artiste jeannoise. Mais je considère mon stress comme un respect, car je ne considère jamais les gens comme acquis. »

Après 20 ans de métier, elle a néanmoins appris à vivre avec le trac, grâce notamment à une discipline vocale à toute épreuve – « Quand je sais que la machine est en route, ça va ! » – et à ses fidèles huiles essentielles – « Ma loge sent toujours le spa ! », dévoile-t-elle en riant.

À la défense de Berlioz

Le public montréalais pourra entendre Marie-Nicole Lemieux à la salle Bourgie mercredi dans un récital de mélodies de Brahms et de Massenet interprété en compagnie de son complice de longue date, le pianiste Daniel Blumenthal.

« C’est un programme particulier, explique la chanteuse. Le fil conducteur est l’amour, maternel d’abord avec l’opus 91 de Brahms, mystique avec les Chants sérieux [du même compositeur], charnel avec Massenet. C’est l’amour entre deux êtres, “de la tête aux fesses”, comme dirait Jean-Pierre Ferland. »

Elle retrouvera ensuite le chef Hervé Niquet et l’Orchestre symphonique de Montréal le 22 décembre pour chanter dans l’oratorio L’enfance du Christ de Berlioz, un compositeur pour lequel elle ne tarit pas d’éloges.

« Je suis connue pour faire partie des défenseurs de Berlioz, précise Mme Lemieux. Mais ce n’est pas nécessairement un compositeur “vocal”. Il faut l’aimer. »

Comme [le chef] Michel Plasson m’avait déjà dit, sa musique est fragile, c’est-à-dire qu’elle demande un interprète qui comprend sa musique et qui l’aime, parce que c’est une musique qui n’est pas évidente. Mais quand on l’aime et qu’on le comprend, ça transporte des montagnes.

Marie-Nicole Lemieux

« C’est très difficile de rater un Verdi ou un Wagner. C’est de la musique qui va quasiment toute seule. Mais il y a des compositeurs comme Berlioz qui ont besoin de soin. La ligne musicale est particulière. Vous n’avez qu’à comparer la Symphonie fantastique de Berlioz avec la Symphonie “Pastorale” de Beethoven, par exemple, qui va toute seul… C’est un monde, Berlioz ! Vous entendez que je l’aime beaucoup », conclut-elle en riant.

Au menu pour 2022 : une première Carmen et une première Cassandre (dans Les Troyens de Berlioz) sur scène, respectivement à Toulouse et à Munich. Plus un projet de disque chez Erato qui enthousiasme beaucoup la chanteuse, mais dont elle ne peut révéler le contenu pour le moment.

Et après ? « J’ai des contrats jusqu’en 2025-2026… Parfois, ce n’est pas évident avec la pandémie, la quarantaine, la pression, etc. J’espère toujours aimer ça, que l’instrument soit encore digne de faire cette carrière-là et que je garde ma flamme », se souhaite la musicienne en terminant.

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