Au milieu des années 1970, le rock progressif a perdu de sa superbe, se retrouvant coincé dans un carcan qui ne répondait plus aux élans créatifs qui l’avaient propulsé quelques années plus tôt. Cinquante ans plus tard, de jeunes musiciens reprennent librement les codes, mais surtout, l’esprit original du mouvement.

« Le prog a perdu un peu de sa crédibilité artistique parce qu’on dirait que les gens se forçaient pour créer quelque chose de super élitiste et de compliqué, soutient avec justesse David Marchand, guitariste du groupe québécois zouz. Ça perdait de sa valeur et de sa portée, on dirait que ça plaisait juste aux autres musiciens. Le plus gros piège est de comploter pour faire un bémol 9 ou un accord 13e, fuck that shit, man ! Au pire, tu t’en aperçois après et c’est une belle surprise, mais si tu planifies ça, tu enlèves toute la magie et la surprise qui fait que c’est excitant autant pour nous que pour les gens qui peuvent nous écouter. Il faut laisser la place pour de beaux accidents. »

« Le rock progressif a vécu une révolution esthétique qui correspondait à une vision du monde, à partir du moment où cette motivation a cessé d’exister, l’industrie l’a pris en charge, illustre de son côté l’ethnomusicologue Gérald Côté, professeur à l’Université Laval. Le disco est ensuite venu tuer le prog ; les styles évoluent comme un balancier, quand on va trop sur la gauche, ça rebondit sur la droite. »

Essaie de danser sur de la musique progressive… les planchers de danse avaient besoin d’une nouvelle musique.

Gérald Côté, ethnomusicologue

Le rock progressif a connu quelques soubresauts dans les années 1980 avec la vaguelette néo-prog portée par des groupes comme Marillion et Saga, après quoi il a repris du poil de la bête du côté métal avec des groupes comme Dream Theater et Voivod. C’est au tournant du nouveau millénaire que les succès populaires de groupes comme Radiohead et Muse donnent la mesure d’un phénomène nouveau qui est en voie de définir la niche post-prog, qui s’affirme de plus en plus, avec de moins en moins de complexes.

« On a aujourd’hui accès à tout simultanément, il n’y a rien de dominant, on entre aujourd’hui dans le Walmart de la musique, illustre en riant Gérald Côté. Aujourd’hui, chaque point de vue musical est un espace identitaire particulier. On a tous des personnalités musicales, c’est la réalité postmoderne. Tout est accessible, il n’y a plus de courant majeur, sauf ce qui est soutenu par la grosse industrie. »

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Le groupe néo-prog québécois Mystery jouit d’une belle notoriété en Europe, notamment aux Pays-Bas, où il a enregistré son album live Caught in the Whirlwind of Time, lancé en novembre 2020.

« Aujourd’hui, le public est beaucoup plus accessible, plein de gens nous disent qu’ils nous ont découverts par Apple Music ou Spotify, corrobore de son côté Michel St-Père, du groupe québécois Mystery. Ils écoutent deux ou trois tounes de Genesis et de Dream Theatre et ils cliquent ensuite sur la suggestion de Mystery à côté. Ça joue certainement sur le renouveau du progressif. On tape “rock progressif” dans notre moteur de recherche et il y a tout un nouveau monde qui s’ouvre à nous. »

Post-prog

C’est ainsi que des groupes comme Porcupine Tree, The Pineapple Thief, Tool et The Mars Volta ont commencé à se réapproprier certains aspects du rock progressif en affichant clairement le désir d’expérimenter dans un large spectre sonore, à la manière des pionniers du genre.

Créée en 1999, l’étiquette de disques indépendante KScope se consacre justement à faire la promotion d’artistes de la scène progressive contemporaine. « Ces groupes ont rétabli le désir d’expérimenter avec des sources musicales éclectiques afin de produire quelque chose de significatif ici et maintenant, soutient Johnny Wilks, directeur du recrutement des artistes chez KScope. Je pense aussi qu’il y a moins de snobisme entre les genres musicaux, et les fans de musique sont davantage ouverts à la nouvelle musique.

« Aussi, il y a de grands magazines et des émissions de radio qui soutiennent le genre, alors qu’il était auparavant confiné à une page ou une chronique dans une publication mensuelle, poursuit Johnny Wilks. Le magazine Prog, par exemple, met en valeur de grands artistes émergents du monde entier. »

Le Québécois Alex Henry Foster est l’un des artistes qui ont justement été mis en valeur par le magazine Prog, qui a diffusé en mai dernier une prestation en direct du musicien et de son groupe The Long Shadows.

« On ne parle pas d’un phénomène comme tel, mais il y a bel et bien une scène qui se crée, soutient le musicien de Drummondville. De leur côté, les amateurs sont en train de redécouvrir des sensations nouvelles, des choses qu’ils avaient oubliées, ça se fait souvent en direct étant donné que le rapport au disque est aujourd’hui moins probant. Tout ça ramène une certaine liberté créatrice à l’avant-plan ; il n’y a plus de genres, de courants musicaux, on se fait suggérer des trucs un peu à cheval entre les catégories, il y a une véritable démocratisation des genres. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Francis Ledoux et David Marchand, du groupe montréalais zouz, en tournée dans plusieurs villes du Québec jusqu’à la mi-décembre

Le jeune auteur-compositeur-interprète n’a lui-même jamais songé à caractériser sa propre musique, mais il est à l’aise avec le fait que l’on intègre son post-rock truffé de longues improvisations éthérées dans la nébuleuse post-prog.

« Les gens commencent doucement à se réapproprier le terme ‟progressif”, soutient-il. Tu ne veux jamais être associé à quelque chose de très figé, mais le terme s’est démocratisé, il s’est dédouané. Maintenant, des jeunes musiciens ont envie de partager leur musique et elle prend racine dans King Crimson ou Genesis, même si c’est parfois inconscient. Il y a une nouvelle génération de kids qui débarque et qui découvre des sensations sans avoir à retourner dans les collections de disques de ses grands-parents. C’est après ça que des jeunes réalisent que Pink Floyd, ce n’est pas juste un t-shirt chez Walmart ! »