(Paris) « Comment est-ce qu’on arrive de l’autre côté ? » : Sting revient avec un nouvel album, The Bridge, métaphore de l’élan pour enjamber l’adversité.

Cet Anglais, citoyen du monde, a particulièrement mal vécu la décision du Royaume-Uni de couper les ponts avec l’Europe.

« Pour moi, le Brexit est une tragédie. Je suis triste pour mon pays. Nous savions que ce serait un désastre », confie-t-il à l’AFP, de passage à Paris, au milieu d’une série de concerts d’Athènes à Las Vegas.

« On a dérobé aux jeunes Britanniques l’opportunité de vivre des expériences en Europe. C’est complètement insensé », peste-t-il encore.

Lui qui parcourt le globe de scène en scène voit aussi les nuages s’accumuler bien au-delà du ciel du Royaume-Uni, avec la montée des mouvements populistes.

« Nous vivons dans un climat politique très dangereux en ce moment avec des classes laborieuses qui se sentent abandonnées par celles qu’elles appellent les élites ». Les couches « vulnérables » de la société sont « à la merci des démagogues », des colporteurs de « fake-news », enchaîne celui qui a fêté ses 70 ans en octobre et ne fait toujours pas son âge.

Celui qui est aussi acteur (on a pu le voir récemment dans le film français Kaamelott) ne goûte pas les tirades des anti-vaccins. « Je ne comprends pas cette science de l’objection. Je n’ai pas hésité à me faire vacciner. Je suis assez vieux pour me rappeler ces enfants dans ma rue qui étaient paralysés par la polio. Et cette maladie a été éradiquée grâce aux vaccins ».

« Aller ailleurs »

PHOTO FOURNIE PAR A&M/INTERSCOPE/CHERRYTREE RECORDS

The Bridge

L’isolement et la pandémie n’ont pas directement inspiré son nouvel album qui sort vendredi, mais ils trouvent un écho dans les thèmes abordés.

« Toutes les personnes sur qui j’écris sont dans une étape transitoire, dans leurs relations, entre la vie et la mort, entre la maladie et la pleine santé ». « Nous cherchons tous ce pont pour aller ailleurs, dans un endroit meilleur ».

Un pont, c’est aussi créer du lien. Même si, dans ses morceaux, les passerelles peuvent s’avérer piégeuses dans une histoire sentimentale. « J’évite toujours d’écrire des chansons d’amour qui disent “je t’aime et tu m’aimes aussi”, car on tourne en rond. Alors que “je t’aime, mais tu aimes quelqu’un d’autre”, c’est un scénario intéressant pour un auteur ».

« À mon âge, j’ai expérimenté le spectre entier des émotions, du plus grand bonheur jusqu’au plus profond mal-être, alors quand j’écris sur l’amour, je sais que je peux être authentique », poursuit ce musicien aux 100 millions d’albums vendus.

Un pont, c’est aussi ce qui peut relier les générations. Parmi ses six enfants, cinq ont suivi comme lui la voie artistique, avec deux acteurs, deux musiciens et un réalisateur.

Mais le dernier veut devenir « un flic », dit en français dans un sourire l’ancien leader de Police. « Il dit “vous êtes tous créatifs, moi je veux être utile” », s’amuse-t-il.

« Sur la route depuis 1976 ! »

Un pont, c’est aussi un terme musical (transition mélodique), art que maîtrise celui qui, comme dans The Bridge, varie sans heurt les colorations jazz, rock ou folk. Et question musique, n’était-ce pas trop dur d’enregistrer ce nouvel opus en plein confinement avec des musiciens jouant parfois par écran interposé ?

« Ce n’est pas si nouveau d’enregistrer à distance. Souvent, le batteur peut être à Los Angeles, moi je peux être à Paris, un autre en Italie. Le secret est d’instaurer malgré tout une sorte d’intimité, d’avoir des liens chaleureux entre musiciens, qu’on peut entendre ».

Mais maintenant, place aux concerts avec un public bien présent. « Je dois remplir tous mes engagements reportés par la crise sanitaire, ça peut prendre 18 mois, mais c’est ma vie, je suis sur la route depuis 1976 ! ». Il va donc encore traverser bien des ponts.