Gilles Vigneault lancera vendredi Comme une chanson d’amour, nouvel album de chansons originales qui ne ressemble à rien de ce qu’il a déjà fait, et dans lequel il pose un regard inquiet et aimant sur l’univers qui nous entoure. Nous avons rencontré celui qui vient tout juste de fêter ses 93 ans.

« J’aurais pu faire un énième disque… mais ça ne me satisfaisait pas. »

Lorsqu’on demande à Gilles Vigneault s’il est content de ce nouvel album, qui arrive 60 ans après son premier enregistrement et 7 ans après son précédent disque de chansons originales, son visage s’éclaire.

« Je suis très content. Et un peu surpris d’être content. Ravi qu’on ait réussi à faire autre chose. Et à 93 ans, c’est peut-être mon dernier, hein ? Donc j’ai toutes les permissions. Je ne peux pas faire n’importe quoi, mais je n’ai pas l’obligation de refaire La danse à Saint-Dilon ou Jack Monoloy. Elles sont déjà écrites. »

L’entrevue est commencée depuis près de 20 minutes déjà, il s’arrête un instant. « Si je me taisais, vous pourriez me poser vos questions ! Mais c’est un si… »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Le poète est aussi disert et volubile que d’habitude : pendant la séance photo, il tient difficilement la pose pendant plus de 20 secondes sans parler, et nous raconte une anecdote avec… Tino Rossi ! Mais ce sera son seul retour en arrière pendant l’heure et demie que nous avons passée dans son atelier de Saint-Placide où il a aussi sa maison, tout près d’Oka. Gilles Vigneault est ici et maintenant, et a envie de parler de cet album ancré dans le présent, tourné vers l’avenir, beau comme la poésie, vaste comme le cosmos, ouvert comme sa pensée.

Il raconte les premières chansons écrites il y a deux ans avant même de savoir qu’il y aurait un album. Il explique le thème des éléments – l’eau, le feu, la terre, l’air – qui s’est imposé peu à peu, auquel il a greffé la lumière « à cause de son influence sur toute la vie sur terre », et le langage « qui est un élément intérieur, mais constitutif de la nature humaine ». Il évoque aussi sa quête du titre parfait, celui qui représenterait le mieux l’ensemble.

« On a tergiversé, on a souvent changé d’idée. Il y a une chanson qui s’appelle Comme une chanson d’amour et je me suis dit que ça pourrait être le titre, comme une chanson d’amour que j’écrirais pour la planète. Et là ça prenait du sens, d’autant plus qu’il y a une seule chanson d’amour sur l’album alors qu’il y en a davantage dans un album normal. Donc c’est un album anormal. »

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« Anormal » dans la mesure où il a décidé de traiter essentiellement d’un sujet, l’écologie, tout en se demandant si « cela pourrait intéresser du monde ». Et aussi « anormal » musicalement, tellement que l’album a failli s’intituler Ailleurs, le mot que Gilles Vigneault a dit à Jim Corcoran lorsqu’il lui a demandé de réaliser l’album. « Emmène-moi ailleurs », lui a-t-il dit, ce qui est devenu leur leitmotiv.

Je me disais, avec les chansons que je propose à Jim, je suis en train de bâtir un bateau, une structure. Et quand on bâtit un bateau, c’est pour aller ailleurs.

Gilles Vigneault

Il ne savait pas qu’il le dirigerait vers une voie plus contemporaine, avec très peu de piano, plus proche de la poésie chantée ou même narrée, et pas du tout dans la structure classique de la chanson couplet-refrain-couplet qu’il maîtrise à la perfection.

« C’est le principal ailleurs dans lequel on m’a emmené », explique Gilles Vigneault, qui s’est plié à l’exercice parfois avec des doutes, qui a trouvé Jim Corcoran « bien malin », et qui assume complètement le résultat.

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« Le monde n’écoute pas les disques de la même manière qu’autrefois. Les disques ne se vendent pas et ne passent pas à la radio commerciale de la même façon non plus. On met tout ça ensemble et on se dit : on a le droit de faire autre chose, allons-y… Liberté ! »

Jeunesse

S’il y a un autre titre que l’album aurait pu porter, c’est Le veilleur, qui est aussi le titre d’une chanson. Félix Leclerc parlait de lui-même dans Le tour de l’île en nommant ce « grand-père au regard bleu qui monte la garde ». Mais c’est Gilles Vigneault, avec ses yeux bleus toujours aussi vifs, qui veille ici.

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Il regarde l’horizon en évoquant la peur de l’autre qui est le « vrai nom du danger ». Il observe la nature autour de lui et nous rappelle les liens qui nous unissent viscéralement à l’univers. Il joue avec les mots et magnifie le langage, son « doux pays ». « C’est chez toi que je sais mieux/offrir mon feu et mon lieu/Et dire à chacun : je t’aime. »

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Et il écoute ce qui se passe à propos des changements climatiques, et il s’inquiète. « La mer monte… et le temps court… », chante Gilles Vigneault dans Monsieur l’air.

Oui, admet-il, Comme une chanson d’amour est l’album d’un écoanxieux. Mais qui refuse l’abattement, parce qu’il voit aussi « des enfants » qui s’unissent « sur des airs de fin du monde/en parlant de l’avenir ». Vigneault a toujours aimé et cru en la jeunesse, ce n’est pas aujourd’hui que ça va changer.

Les jeunes qui sont allés manifester et chanter pour le bien de leur planète future et immédiate, ils sont déjà alertés sur ce sujet. Et certains vont devenir des savants alertés, des experts, des chercheurs et des trouveurs. Un homme de mon âge qui se décourage en voyant comment ça va, il a tort. Il peut regarder les motifs d’encouragement, et ils viennent rarement des gens de son âge. Ce sont les jeunes qui poussent.

Gilles Vigneault

Notre responsabilité est de leur laisser une maison « en ordre et vivable ». Mais Gilles Vigneault est optimiste, et lucide.

« Ce ne sont pas les complotistes qui vont sauver la planète. Ce n’est pas la peur qui va sauver la planète. C’est la connaissance de soi, de l’espace, de ce qui nous entoure. Le soleil devrait s’éteindre dans une demi-douzaine de milliards d’années. On a quand même du temps pour réfléchir et faire quelque chose. »

Planter son arbre

Au début de la pandémie, Gilles Vigneault espérait que l’humanité allait apprendre de ses erreurs. Dix-huit mois plus tard, il constate surtout qu’on en sait maintenant beaucoup… sur la pandémie. Qu’elle est « possible, dangereuse, et qu’on ne rigole pas avec ça ».

On en sait plus sur les vaccins peut-être, qui sont un moyen de continuer à vivre avec moins de peur, en somme. Un moyen de poursuivre la vie, le voyage, en nuisant le moins possible à ceux qui nous entourent.

Gilles Vigneault

Nous sommes au bout de l’entrevue. Son assistante Suzanne Baucaire, qui veille à ce que le poète ne se fatigue pas trop, nous annonce tout doucement que c’est terminé. Il s’exclame. « Ah, mais je suis certain qu’il lui reste encore des questions ! On va voir s’il me reste des réponses maintenant. »

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On en profite pour le faire parler quelques instants de l’acte d’écrire, « qui est le plus précieux ». « Après, le moment de chanter est extrêmement enivrant…. Surtout si je chantais ! » Il s’emballe à propos des mots monosyllabiques, récite un vers de Racine, « Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur », « une phrase absolument admirable et d’une simplicité remarquable ».

Que souhaite-t-il pour ce nouvel album ? « Je ne m’attends pas à grand-chose. À tout ce que ça peut donner, ou ne pas donner. Un jour peut-être, cet album sera utile à un enfant qui en aura fait un outil, mais ce n’est pas moi qui le découvrirai. J’ai mis quelque chose à la disposition, comme du matériau. Du bois. Du fer. De l’aluminium. »

Du matériau qu’il fournit à « qui voudra bien s’en servir ». Comme on plante un arbre, ajoute-t-il, racontant la fois où il a récupéré 70 plants de noyers noirs, « des fouets » qu’il a plantés sur son terrain et qui, 40 ans plus tard, sont devenus des géants qui donnent « de très grosses noix ». Il chantonne la chanson de Brassens… « Auprès de mon arbre je vivais heureux, j’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre. »

« Si on écrit J’ai planté un chêne, on se doit de se souvenir de ça quand on plante des noyers noirs. » Quand on plante des chansons aussi. « Ah c’est ça. Il faut planter des chansons comme on plante des noyers noirs, ou des sapins baumiers. D’ailleurs, il en est question dans Monsieur l’air. »

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C’est vrai, et c’est une des plus belles strophes de l’album. « Les arbres sont mes vigiles/Plantez-en quelques milliards/Aux abords des grandes villes/Avant qu’il ne soit trop tard. »

Le veilleur veille. On ne pourra pas dire qu’il ne nous avait pas avertis.

Comme une chanson d’amour

Chanson

Comme une chanson d’amour

Gilles Vigneault

Tandem