La deuxième journée des Retrouvailles Osheaga, nom du rendez-vous temporaire revu à la sauce COVID-19, a mis à l’honneur les cultures hip-hop et R&B, samedi soir. Si la météo laissait présager le pire, les festivaliers ont pu voir la majorité des prestations, dont celle de la tête d’affiche Jessie Reyez, au sec. Compte rendu.

Jessie Reyez

« Jessie ! Jessie ! Jessie ! », scandaient des voix largement féminines avant que la tête d’affiche torontoise vienne rejoindre ses trois musiciens : un batteur, un claviériste et une guitariste. Coiffée d’un chapeau de pêche et vêtue d’un coton ouaté style camouflage, Jessie Reyez a ouvert le bal avec la pétaradante Dear Yessie, une hybridation manifeste de ses influences soul, R&B, pop et rap. L’écran géant derrière elle affichait des images du Joker et de manifestations antiracistes.

Vite débarrassée de son couvre-chef, Reyez a fait danser sa tignasse pour l’exutoire post-rupture Shutter Island. Blagueuse, loquace, badass, la chanteuse a défendu son répertoire féministe, ponctué de mots commençant par F et par B, avec aplomb et authenticité toute l’heure durant.

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Chevelure au vent, Jessie Reyez a offert toute une prestation samedi soir à Osheaga

« Montréal, what the fuck is up ? », a-t-elle demandé avant de s’autotraduire plus sobrement : « Montréal, ça va bien ? »

La ballade Coffin, qu’elle interprète sur disque avec Eminem – « il m’a appris l’amour maladif » –, allait être renvoyée en murmures par la foule. « I’d rather a coffin handmade for two, cause I love you to death just like a fool. »

Après avoir interprété Kill Us et Rain, trame du film The Suicide Squad – « une énorme vitrine publicitaire » –, la chanteuse de 30 ans a entonné un passage de One Kiss, succès dance de Dua Lipa dont elle a coécrit les paroles en début de carrière. « Je veux que Montréal tremble », a-t-elle souhaité. Et pas en vain.

A suivi Imported (avec 6lack sur l’enregistrement de 2018), puis la chanteuse d’origine colombienne s’est installée sur une chaise pour dédier aux immigrants la douce Sola. Une jolie ballade guitare-voix dans la langue de ses origines.

Alors que nous devions partir pour pondre ces lignes, Reyez défiait le froid, désormais vêtue d’un léger top rose et d’une chemise négligemment posée sur ses bras. Apple Juice faisait tanguer les bras des spectateurs dans les airs. Il restait assurément des tubes comme Figures et Feel It Too à offrir aux festivaliers.

Encore trop peu connue au Québec, la chanteuse R&B Jessie Reyez a fait sa marque à force d’EP et de collaborations d’envergure internationale, ce qui lui a valu un passage au Festival de jazz de Montréal en 2018.

La Torontoise a lancé son premier album studio, Before Love Came to Kill Us, en 2020, en pleine pandémie de COVID-19. Pas de doute, son passage enfiévré au parc Jean-Drapeau, samedi soir, fera augmenter sa horde de supporteurs.

Roy Woods

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Roy Woods

Le chanteur hip-hop et R&B Roy Woods, petit cousin musical de The Weeknd, a prouvé pendant 50 minutes qu’un seul corps suffit pour enlacer une foule entière.

Sac banane en bandoulière, croix dorée suspendues aux oreilles, pendentif de hibou surdimensionné, Denzel Spencer, de son vrai nom, s’est présenté doucement et sobrement avec Get You Good, tirée d’Exis (2015).

« C’est incroyable qu’on puisse faire ça après la pandémie, vous êtes incroyables », a glissé le chanteur de Brampton, ravi d’être à Montréal.

Il fallait Down Girl pour le voir s’agiter de part et d’autre de la scène. Woods, 25 ans, s’ouvrait et se refermait ainsi au gré de récits – plus ou moins originaux – d’argent, de sexe, d’amour et de cannabis : Love You, Say Less, Gwan Big Up Urself…

Nous avons surtout découvert samedi soir un interprète de haut calibre, capable de pousser la note autant que de rapper à grand débit. Capable d’introspection autant que d’ouverture, dans la voix, le visage et le geste.

Seul devant une foule composée d’initiés et de néophytes, le chanteur se multipliait grâce à des réverbérations et des bandes préenregistrées. Ç’aurait pu être des béquilles si Woods n’avait pas été aussi impliqué d’un bout à l’autre de son tour de chant. Retenez ce nom.

QCLTUR

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Une vingtaine d’artistes de la scène hip-hop franco-québécoise se sont succédé sur scène lors du concert QCLTUR.

Le rap uni jamais ne sera vaincu ? Samedi en fin d’après-midi, dans la mouillasse, rarement autant de représentants de la scène hip-hop franco-québécoise n’avaient foulé la même scène en si peu de temps. Le MC et DJ Crowd – qui arborait une veste à capuchon à sa propre effigie – a fait le pont entre une vingtaine de versificateurs, émergents ou établis.

Le court concert QCLTUR, déclinaison d’une compilation parue en mai dernier sous le giron de 7ième Ciel, a permis pendant 40 minutes d’apprécier la diversité, l’unicité et la fougue du rap queb, au micro comme aux consoles.

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Nissa Seych et Benny Adam

La délégation s’est balancée entre gangsta rap authentique – MikeZup, DawaMafia, Shreez, Le Ice – et inclinaisons diverses : soul, R&B, afrobeat ou pop. La diversité des genres s’arrêtait là. La seule exception au boys club, Nissa Seych, a néanmoins offert l’un des moments forts en compagnie de Benny Adam, tous deux emportés dans une danse lascive prescrite par Un petit peu. « Je sais qu’il fait froid, mais je vais vous amener en Martinique le temps d’une chanson », avait lancé le rappeur féru d’autotune.

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Sael et FouKi

Plus médiatisés, FouKi, Connaisseur Ticaso et Souldia ont reçu un accueil privilégié. Or, la « foule », qui n’occupait alors que la moitié de l’une des 13 zones, peinait à redonner une énergie proportionnelle à celle déployée par les rappeurs.

En fin de piste, les artisans de tout acabit de QCLTUR se sont tous réunis pour une double dose de Mami, pièce de Sael avec FouKi. L’occasion de constater que, non, jamais la scène rap francophone du Québec n’a été aussi unie.