Avant d’être le rappeur Skiifall, il s’appelait simplement Shemar Mckie et fréquentait l’école secondaire Saint-Luc à Montréal. Son succès naissant, il le doit en partie à l’intervenante musicale Marianne Beaupré LaPerrière. La Presse leur a parlé à tous les deux.

Le premier souvenir de Marianne Beaupré LaPerrière concernant Shemar Mckie est celui d’un garçon timide, discret. Assis tout au fond du local de musique, il ne manquait jamais une répétition. Les années ont passé depuis leur première rencontre, et voilà que son ancien élève devenu Skiifall séduit Londres, plaque tournante du hip-hop.

Lorsque nous l’appelons, c’est là-bas qu’il se trouve, justement. Skiifall avait posé ses valises la veille et déjà, son gérant devait faire des acrobaties pour le libérer le temps d’une entrevue. Sessions en studio, défilés, rencontres professionnelles… Ce sera comme ça pour les trois prochaines semaines, avant son retour à Montréal.

« Depuis un an, chaque jour est plus fou que le précédent. Ça a finalement marché », raconte l’artiste anglophone au bout du fil.

Avec sa chanson Ting Tun Up, sortie discrètement en octobre dernier, l’aspirant rappeur de Notre-Dame-de-Grâce a percé l’une des scènes les plus compétitives du hip-hop. Le morceau est un exercice bien exécuté de drill. Le sous-genre hip-hop né à Chicago, qui se reconnaît à ses paroles sombres, violentes et son débit irrégulier, a explosé au Royaume-Uni dans la dernière décennie, mais reste très peu exploité au Québec.

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L’artiste de tout juste 20 ans a attiré l’attention de la populaire chanteuse R&B Jorja Smith et de l’influent animateur Benji B à la BBC. Des maisons de disques au Royaume-Uni se l’arrachent. Même Virgil Abloh, directeur artistique chez Louis Vuitton, lui a personnellement demandé de signer la trame sonore de l’une de ses dernières campagnes publicitaires.

Skiifall nous rassure tout de suite : Londres peut être aussi accueillante qu’elle le veut, il n’a aucune intention de s’y installer, ce qui ne l’empêche pas de profiter de son succès outre-mer.

Les derniers mois ont été vraiment excitants pour moi. Je sors en boîte et j’entends ma musique. Je marche dans la rue et j’entends ma musique dans une voiture. Je suis complètement stupéfait.

Le rappeur Skiifall

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Quand une prof fait la différence

Marianne Beaupré LaPerrière se rappelle la première chanson que Shemar Mckie et elle ont composée ensemble. Le texte parlait de la guerre dans le monde. C’était en 2015. Marianne venait tout juste de fonder les Ateliers Speech, un organisme qui offre des programmes de création musicale à des élèves en adaptation scolaire.

« Il avait juste 13 ans et il voulait écrire sur la guerre ! Shemar voulait aborder tous les sujets. Il avait une volonté de s’ouvrir à sa propre sensibilité et vulnérabilité, ce que je ne voyais pas nécessairement chez d’autres jeunes », se souvient-elle, sourire aux lèvres.

Depuis le temps, Marianne a accompagné des dizaines d’élèves en difficulté. À Shemar, qu’elle aura suivi pendant plusieurs années, elle réserve toutefois une place particulière dans son cœur.

PHOTO FOURNIE PAR HÉLIO PHOTOGRAPHIE

Marianne Beaupré LaPerrière, fondatrice des Ateliers Speech

Il est une belle leçon de persévérance. Il a surmonté beaucoup de difficultés. Le voir s’épanouir comme ça, ça me rend fière de lui, fière qu’il ait persévéré et qu’il n’ait jamais cessé d’y croire.

Marianne Beaupré LaPerrière, professeure du rappeur Skiifall

Originaire de Saint-Vincent, dans les Caraïbes, Skiifall a immigré à Montréal à l’âge de 8 ans. Au primaire, sa mère l’a inscrit dans une école à concentration musicale. Pas parce que le petit Shemar exhibait un talent ou un intérêt particulier pour la musique, mais simplement parce que c’était l’école la plus proche de la maison. Certains diront tout de même que c’était destiné : dès les premiers cours, l’enfant a démontré une habileté pour l’écriture.

« En classe, j’avais l’habitude d’écrire mes vers et d’aider les autres à écrire les leurs. Parfois, je donnais mes vers aux autres parce qu’ils n’étaient pas aussi bons et je devais en écrire un autre pour moi ! », dit en rigolant Skiifall.

Avec les années, les problèmes ont commencé. Difficultés d’apprentissage, ennuis à l’école, mauvaises influences… Rien pour décourager Marianne Beaupré LaPerrière et son enthousiasme contagieux.

Quand j’avais de la difficulté à me concentrer en classe, Marianne venait me retirer quelques heures pour composer de la musique. Je dirais que si ce n’était pas d’elle, je n’aurais jamais su comment écrire de la musique et encore moins être intéressé à en faire.

Le rappeur Skiifall

Elle qui, très tôt, avait deviné en lui un talent brut, qui l’encourageait à chanter malgré sa timidité, parfois jusqu’à se demander si « elle ne le poussait pas trop loin ».

« Parfois, dans le système scolaire, les professeurs n’ont pas le temps d’accompagner les élèves. Shemar était talentueux, persévérant, volontaire. Il fallait juste lui donner le temps de se déployer », croit-elle.

On peut dire que c’est chose faite. Ce qui a le tour d’émouvoir son ancienne tutrice, qui le suit de près, de son côté de l’Atlantique.

« Il est toujours là »

Son patois, son accent indiscernable qui glisse sur des mélodies accrocheuses ne ressemblent à rien que l’on fait ici. À la première écoute, on ne devinerait même jamais qu’il est un gars de chez nous.

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Ses fans devront toutefois s’armer de patience, car l’artiste n’entrevoit pas d’album dans un avenir proche, bien qu’il leur promette de nouveaux morceaux à se mettre sous la dent bientôt.

Oui, Marianne Beaupré LaPerrière reconnaît bien son ancien élève dans Skiifall.

« Comme à l’école, il est toujours là. Il est prêt, il veut. Au-delà de son talent, ce que je vois, c’est sa volonté d’avancer, de se donner des objectifs et de les atteindre. »