Le visage de Rafael Payare semblait habité à la fois par la fatigue et le sentiment du devoir accompli au terme du concert d’ouverture de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), mardi soir à la Maison symphonique. La sonore ovation du public, deux fois plus nombreux qu’au printemps, a été une juste récompense pour une soirée d’exception.

Point de soliste pour ce premier concert de la saison d’automne. L’orchestre figurait en majesté dans un programme sans compromis. Seul Kaléidoscope, du Québécois Pierre Mercure, œuvre de la fin des années 1940 souvent jouée par nos orchestres, a apporté quelque légèreté en cette soirée où la Valse de Ravel et la Symphonie no 5 en ré mineur, opus 47, de Chostakovitch, deux œuvres marquées au fer rouge – par la Grande Guerre pour la première, par le stalinisme pour la seconde –, nous ont plongé dans des gouffres effrayants.

Pour Aristote, la catharsis est une purgation des émotions du spectateur par celles vécues par les artistes sur scène. On peut dire que les mélomanes qui se sont déplacés pour entendre l’OSM ont vécu une sorte de catharsis musicale, thérapie on ne peut plus nécessaire en ces temps d’angoisses sanitaires et climatiques.

Le compositeur peut bien mettre tout le pathos possible dans sa partition, il faut tout de même un interprète capable de lui rendre justice. Il y a bien sûr l’aspect technique. Payare a brillamment assuré à ce chapitre, magnifiant la matière orchestrale dans Ravel, avec des alliages sonores de première qualité. Le chef parvient également à assurer la difficile continuité au sein de la partition de Mercure, succession d’impressions fugaces (d’où le titre de Kaléidoscope) pas nécessairement faciles à coordonner.

Le clou de la soirée fut évidemment la monumentale Symphonie no 5 de Chostakovitch. Rafael Payare, qui la dirige de mémoire, a une relation charnelle avec la partition. Il en connaît chaque recoin et communique efficacement chaque intention musicale à chaque section de l’orchestre.

Observer le chef à la Maison symphonique – et non sur le web – permet de bien voir comme il interagit avec ses musiciens. Chaque chef évolue dans une « cage » imaginaire dont il ne dépasse généralement guère les bornes. Celle de Nagano est assez étroite. Celle de Payare est beaucoup plus ouverte. Il n’hésite pas, par exemple, à s’avancer vers les violoncelles, pour dynamiser tel phrasé. Il est en symbiose avec l’instrument orchestre.

Dans Chostakovitch, cela donne des résultats extrêmement probants. Son approche est somme toute pondérée : sa Cinquième dure quelque 47 minutes contre les 42 minutes de Kondrachine, ou à l’autre extrême, les 51 minutes de Bernstein ou Sanderling. Cette relative lenteur se manifeste notamment dans le premier mouvement, un moderato que le chef commence dans une apparente mollesse, mollesse qui se révèle finalement comme une intelligente économie de moyens pour mener au climax qui suit. Payare comprend qu’il faut ménager ses munitions.

Ainsi armé, il sort l’artillerie lourde pour le scherzo qui fait office de deuxième mouvement, et pour le mouvement final, un redoutable allegro qu’il dirige à l’arraché. Entre les deux, le largo nous fait entendre des cordes d’une irréelle beauté et des passages d’une intensité telle qu’on saisit mieux la réaction viscérale de ceux qui ont assisté à la création en 1937.

Le concert sera repris en salle le 16 septembre (19 h 30) et le 18 septembre (14 h 30 et 19 h 30), de même que sur la chaîne Mezzo le 18 septembre (concert de l’après-midi en direct) et sur le site de l’orchestre du 5 octobre au 2 novembre.