C’est le disque qui a tout changé. Pour Metallica, pour le heavy metal et peut-être même pour la musique heavy en général. Retour sur le Black Album, dont le 30e anniversaire est souligné par une réédition et une collection d’une cinquantaine de reprises à paraître vendredi.

Metallica est déjà à un tournant avant même d’amorcer l’enregistrement de l’album homonyme communément appelé le Black Album. Avec… And Justice for All, le groupe a atteint un sommet. Il se vend bien – près de 2 millions d’exemplaires sont écoulés en deux mois et des poussières – et One, morceau de bravoure de plus de 7 minutes, attire l’attention au-delà des amateurs de métal grâce à un clip percutant.

James Hetfield, Lars Ulrich, Kirk Hammett et Jason Newsted jouent désormais dans des arénas devant des foules de plus en plus imposantes. Ils voient en revanche les limites de leur musique : les morceaux sont trop longs et, avec des programmes ne contenant qu’une dizaine de chansons, les musiciens ne sont pas satisfaits d’eux-mêmes et constatent que certains fans s’ennuient durant leurs concerts.

PHOTO ARCHIVES GETTY IMAGES

Les quatre membres de Metallica photographiés à Berlin en 1992. On reconnaît, de gauche à droite, le guitariste Kirk Hammett, le bassiste Jason Newsted, le batteur Lars Ulrich et le chanteur James Hetfield.

« On se trouvait dans un cul-de-sac », explique James Hetfield dans le deuxième épisode de The Metallica Podcast, une série d’entretiens dont la diffusion a été amorcée le 13 août. « On ne pouvait pas continuer dans la même direction, aller plus loin dans cette voie, aller davantage vers le progressif, être plus complaisants envers nous-mêmes. »

« Ils ont placé la barre très haut sur le plan technique. Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire après ? Aller plus loin ou revenir à la base, tranche Yanick Tremblay, qui écrit sur le métal sur le portail arsmediaqc.com. Je pense que les gars se sont dit qu’il valait mieux revenir à la base et élargir leur public. »

Bob Rock : l’ennemi

L’idée qui s’impose ? Faire des chansons plus courtes, sans perdre leur force de frappe. Et faire ce que le groupe n’avait jamais fait auparavant : inviter un réalisateur pour les aider à trouver une nouvelle voie. Leur choix s’arrête sur Bob Rock. Surtout parce que les gars de Metallica ont aimé ce qu’il a fait sur Dr. Feelgood, de Mötley Crüe, sorti en 1989.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le coup de foudre. Metallica n’a pas l’habitude de laisser qui que ce soit se mêler de sa musique. Encore moins un étranger. En plus, Bob Rock a « des idées », ce qui froisse le groupe. James Hetfield résume : le réalisateur est perçu comme l’ennemi. « Aller au studio, c’était comme aller à la guerre », dit aussi Kirk Hammett dans The Metallica Podcast.

« On voulait être meilleurs, on voulait évoluer, on voulait grandir, mais on ne savait pas comment faire et il n’était pas question [qu’il] nous dise comment faire, raconte le chanteur. On était pris. » L’attitude de Metallica se résume par le surnom que Bob Rock a donné à l’époque à James Hetfield : Mr. No.

Un son qui a du punch

La confiance a été longue à bâtir, mais a fini par porter ses fruits. Bob Rock a incité le groupe à suivre la batterie de Lars Ulrich plutôt que la guitare rythmique de James Hetfield. Il a donné du coffre à la basse de Jason Newsted et fait ressortir les subtilités mélodiques ou harmoniques dont le groupe n’était même pas conscient, selon Kirk Hammett.

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« Avec Bob Rock, ils ont rencontré un mur », affirme Paul Sarrasin, qui tenait à l’époque la barre de l’émission SolidRok, à MusiquePlus. « Leur son est devenu plus lent, plus lourd, c’était beaucoup plus appliqué comme travail, c’était du gros stock. »

De l’avis d’Éric Jarrin, guitariste du groupe deathcore Despised Icon, un sous-genre du métal extrême, la réalisation des quatre premiers disques de Metallica n’est pas très bonne. « On n’entend pas la basse, dit-il. Le Black Album est, selon moi, le premier disque métal où le son était sur la coche. » Il a montré que, même pour un groupe issu d’un courant underground, « c’était possible d’avoir un son qui rend justice à la musique ».

Christine Fortier, spécialiste du métal qui collabore notamment à QUB Radio et Stingray, croit aussi que, sur ce plan, le Black Album a donné l’envie à plusieurs groupes heavy de miser sur un meilleur son, plus propre peut-être, et a rendu acceptable l’idée de travailler la recherche sonore. « Il n’était plus nécessaire d’avoir un son brut et violent pour faire un album brut et violent », constate-t-elle.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Metallica lors du festival Heavy Montréal, en 2014

On sait ce que le Black Album a fait pour Metallica : il l’a hissé au sommet du métal – de la scène rock au sens large, même –, lui a ouvert les portes des radios commerciales (avec une ballade comme Nothing Else Matters, mais aussi Enter Sandman) et en a fait l’un des groupes les plus influents de l’histoire, tous genres confondus : Slipknot, Machine Head, Avenged Sevenfold, Trivium, Volbeat, Sum 41, Korn, les groupes au son lourd inspirés par Metallica pullulent.

« Malgré que les purs et durs ont trouvé qu’il s’agissait d’une trahison, les gars de Metallica ont continué de cultiver l’image métal et je m’identifiais à cette image-là, se rappelle Éric Jarrin. Avec leurs bracelets de cuir noir, leurs jeans noirs serrés, ils entretenaient l’image du métalleux tough. Moi, j’avais le goût d’avoir les cheveux longs, je voulais avoir les mêmes running shoes que James Hetfield ! »

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Si le Black Album a en quelque sorte fait table rase en poussant le métal vers un sommet de popularité toujours inégalé, il a aussi stimulé une radicalisation du métal et son retour dans l’underground, par un effet de retour du balancier. Mais il a surtout normalisé le son heavy ; son impact, combiné à l’essor du grunge, n’est pas étranger aux succès énormes de groupes qui ont marqué les années 1990 : NIN, Rage Against the Machine, Smashing Pumpkins, Tool, Marilyn Manson, Limp Bizkit et tout le rap métal jusqu’à au moins Linkin Park. La voie était ouverte.

Le meilleur de la liste noire

À ce jour, Metallica a vendu plus de 30 millions d’exemplaires de son album homonyme, une œuvre colossale qui a marqué son époque et qui résonne encore aujourd’hui. À tel point que pas moins de 53 artistes ont répondu présent quand est venu le temps d’enregistrer le Metallica Blacklist, un album de reprises des 12 chansons du Black Album. Si Miley Cyrus, Ghost, Weezer, Royal Blood, Cage the Elephant et Mac De Marco sont parmi les vedettes qui ont accepté de participer à l’exercice, leurs interprétations ne sont pas les plus marquantes.

Après avoir écouté les quelque quatre heures de l’éclectique collection, 20 chansons sortent du lot, particulièrement l’Enter Sandman d’Alessia Cara et The Warning – un percutant power trio féminin mexicain –, la Sad but True country-bluegrass de Jason Isbell, le Holier Than Thou punk des Australiens The Chat, l’Unforgiven jazzy de Moses Somney, le Wherever I May Roam du duo électro hip-hop Chase and Status, le Through the Never des métalleux mongols The Hu, la version alt-country de Nothing Else Matters signée Chris Stapleton, l’Of Wolf and Man folk de Goodnight, Texas, sans oublier l’incroyable et méconnaissable My Friend of Misery, transformée par Kamasi Washington en pièce jazz à la rythmique syncopée en 7/8 – on est ici à mille lieues des pulsations binaires de Lars Ulrich !

Bref, la Blacklist est un exercice exhaustif qui aurait mérité un peu plus de discernement, on a manifestement préféré donner le choix aux auditeurs. À noter que les profits de la vente de Metallica Blacklist seront versés à parts égales entre la fondation All Within My Hands de Metallica ainsi que 50 organismes choisis par les différents interprètes qui figurent sur l’enregistrement.

The Metallica Blacklist

The Metallica Blacklist

Artistes variés

Blackened Recordings (sortie le 10 septembre)