La pandémie a servi de révélateur à Philémon Cimon, qui lance ce vendredi un album pour conjurer la mort et le temps qui passe, et où l’amour est la seule réponse possible à la violence du monde. Entrevue avec un artiste qui veut parler vrai.

Tous les jours pendant l’automne 2020, Philémon Cimon s’assoyait sur son divan et composait une chanson, propulsé sur le chemin de la création par une sorte de « rétention pandémique ».

« C’était très agréable de commencer le matin en écrivant, en me donnant la permission de dire ce que j’avais à dire », raconte Philémon Cimon, qui nous accueille justement dans son appartement de la Petite Italie. « Quand j’étais seul ici, j’aurais voulu parler à quelqu’un, mais il n’y avait personne, alors il me restait juste la création. Et j’en étais très heureux. »

Enregistré ensuite dans une espèce d’urgence spontanée avec une équipe d’amis musiciens, L’amour est un album de 13 chansons qui dure plus d’une heure, dans lequel l’auteur-compositeur-interprète a décidé de « tout mettre » et qui « va dans tous les sens et tous les styles », de la « protest song » avec harmonica à l’ode joyeuse à la vie en passant par la confession émouvante.

J’avais envie de faire un album qui allait trop loin. Qui en donne peut-être trop, mais sinon il n’aurait pas représenté cette explosion, ce sentiment que j’ai eu en le faisant.

Philémon Cimon

C’est que les sources d’inspiration ont été nombreuses, des dénonciations d’inconduite sexuelle dans le milieu de la musique aux morts tragiques de George Floyd et Joyce Echaquan – ce dernier évènement ayant été le véritable déclencheur de l’album.

« C’est venu réveiller une certaine insatisfaction par rapport à l’état de ma vie, mais aussi du monde, et l’envie que quelque chose change. »

Face à ces « conflits complexes » comme le racisme, et « surtout le racisme systémique », ou cette violence insidieuse dans les rapports homme-femme que parfois « on ne sait même pas repérer », Philémon Cimon n’a su trouver qu’une « réponse d’amour ». Mais un amour sans ego, « ce qui est plus facile à dire qu’à faire ».

Ce cheminement, il l’avait amorcé au printemps 2019 avec l’album Pays et poursuivi avec le EP Philédouche l’an dernier, tournant le dos au personnage de dandy ironique qui l’a mis au monde. Il a été accéléré par son travail comme aide de service dans un CHSLD au début de la pandémie. Un boulot qu’il a adoré, mais qui l’a confronté à son rapport à la mort, ce qui aide grandement à « prendre un pas de recul sur l’ego », ajoute-t-il.

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« Je l’ai fait parce que je voulais m’impliquer et quand j’étais avec eux, j’avais du plaisir. Mais je revenais ici et je me disais : wow, c’est dans pas long pareil… et quessé je vais faire de ma vie d’ici là ? Et qu’est-ce qui s’est passé depuis 15-20 ans, où le temps est allé ? J’ai fait des albums, mais j’ai aussi le sentiment qu’il y a tellement plus que j’ai envie de faire. Et la mort qui est juste à côté. »

Trouver sa vérité

Une certaine candeur se dégage de ces 13 chansons à la forme simple. On sent que le chanteur a voulu retrouver la pulsion de la jeunesse, celle qui peut être « gênante », parfois, mais qui aide à créer. Dans le dépouillement et l’authenticité, il n’a pas eu peur des émotions et de se rapprocher de « sa » vérité.

« Ça, c’est une grande découverte. Au lieu de s’appeler L’amour, l’autre nom que j’aurais pu donner à cet album… bon ça aurait pu être Pandémie, ha ha, c’est vrai ! Mais la première idée, c’était La parole. Parce que c’est imbriqué dans l’amour. »

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Écouter et accepter ce qu’on nous dit, parler en se révélant vraiment, « ça aussi c’est de l’amour ». Parce que c’est un risque qui nous rend vulnérables, estime Philémon Cimon, qui juge que ses bonnes chansons sont justement celles où il a eu « quelque chose à dire » pendant assez longtemps.

J’ai écrit cet album dans un moment où j’étais très heureux. C’était enivrant parce que je me donnais la parole.

Philémon Cimon

La parole, il l’a aussi prise publiquement au début de la pandémie en lançant avec son agente, Fannie Crépin, le mouvement Musique bleue pour une meilleure diffusion de la musique québécoise à la radio, qui a fait boule de neige. Fannie Crépin s’est ensuite aussi beaucoup engagée pour la parité pour les artistes féminines.

« C’était un cri qu’on avait envie de pousser, parce qu’on ne se croirait plus si on ne l’avait pas fait. Je ne sais pas si je suis fier, mais je suis content vraiment. Ç’a été une jouissance d’exercer ma parole, et pendant cette période, c’est devenu aussi important que mon projet de chanson. »

Faire la paix

Philémon Cimon retient une image en particulier de la pandémie. Il se revoit à la fin de l’été 2020, errant sans but dans Charlevoix au volant de sa voiture en écoutant du Jacques Brel, un chanteur qui l’a beaucoup accompagné vers la fin de son adolescence, mais dont il s’était détourné depuis.

« J’ai pleuré beaucoup. Ce n’était pas désagréable, mais j’étais complètement dépassé par le temps qui passe, par cette sensation que quelque chose d’important m’avait échappé. »

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Il pense à toutes les occasions ratées et il est porté maintenant par le désir de ne plus « manquer de respect » envers sa parole. Et alors que ce nouvel album sort, il dit être encore dans un élan de création.

« Pour faire une sorte de paix avec cette étrange chose de disparaître, la seule réponse que j’arrive à trouver, oui, c’est l’amour, pis créer. Parce que je laisse une trace, mais aussi parce que le moment où je crée est un moment où déjà, je suis dans l’infini. Et la mort ne fait pas peur dans ce temps-là. »

L’amour

L’amour

Philémon Cimon

Les Disques du Règne