« Vivre, c’est conjuguer sans arrêt tous les âges de la vie en soi-même », selon le sociologue Edgar Morin. Pour cette série d’été, La Presse a demandé à de jeunes artistes avec quelle personnalité d’une autre génération ils aimeraient échanger. Pour parler de leur expérience de travail, des secrets pour durer, des pièges à éviter… Et créer un pont entre les générations. Aujourd’hui, Gab Bouchard discute avec Mara Tremblay.

Dans les années 1980-1990, Mara Tremblay a fait partie des groupes Les Colocs et Les Frères à ch’val, avant de lancer sa carrière solo en 1999. Depuis, la chanteuse a signé huit albums. Révélation des Francouvertes à 19 ans, l’auteur-compositeur-interprète Gab Bouchard a sorti son premier album, Triste pareil, durant l’hiver 2020.

La Presse : Gab Bouchard, pourquoi avoir choisi Mara Tremblay, qui est la mère de votre batteur [Victor Tremblay-Desrosiers], pour avoir cette conversation ?

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

À 23 ans, Gab Bouchard est une vedette montante de la relève musicale. L’auteur-compositeur-interprète originaire du Lac-Saint-Jean a lancé son premier album, Triste pareil, en février 2020.

Gab Bouchard : Ça allait de soi, choisir Mara. Je l’ai connue grâce à mon père [il est le fils de Pierre Bouchard, le batteur du groupe Gros Mené]. J’admire sa musique depuis mon enfance. Or, même si Mara fait un peu partie de ma famille musicale, j’ai l’impression qu’on a des choses à se dire.

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Mara Tremblay a entamé sa carrière solo en 1999 avec l’album Le chihuahua, devenu un classique du rock québécois.

Mara Tremblay : Quand on a monté un spectacle pour les 20 ans du Chihuahua, j’ai vraiment senti l’amour et le respect des jeunes comme Gab, même si la plupart n’étaient pas nés quand l’album est sorti. J’ai l’impression que sa génération a une belle ouverture pour ce qui s’est fait avant…

La Presse : À vos débuts, c’était une autre dynamique entre les générations de musiciens ?

M. T. : Oui et non. Les jeunes s’ouvraient moins, parlaient moins. Or, mon père était bien ami avec Plume Latraverse et Steve Faulkner. Enfant, je les voyais à la maison et ils m’ont influencée plus tard. Tout comme Marjo. Ces artistes m’ont encouragée à faire de la musique qui vient du cœur.

G. B. : Très jeune, j’ai compris aussi que je devais apprendre des artistes des autres générations. Avec ceux qui me respectent et qui prennent mon travail au sérieux. C’est cool de fumer du pot dans le garage et de jouer à des jeux avec ses chums. Mais ça ne te fait pas évoluer.

M. T. : Dans le métier, il y a des gens qui te font douter, et d’autres, avancer… Par exemple, Gab, tu as 23 ans, mais tu aides un peu mon fils de 18 ans, Édouard, en l’invitant à travailler dans ton studio.

G. B. : Mais tous les conseils ne sont pas bons. Quelqu’un m’a déjà dit de changer mon nom, parce que ça fait trop région… Eille ! Je viens de Saint-Prime, au Lac-Saint-Jean. Mon nom, c’est mon ADN.

M. T. : Incroyable ! On m’a déjà dit que je devrais enlever Tremblay et m’appeler juste Mara. Comme Mitsou. J’y tiens, à Tremblay !

G. B. : Quand je te vois en spectacle, Mara, ça paraît que tu fais de la musique pour les bonnes raisons. Tu ne fais pas ça pour te payer une grosse maison. Tu le fais par besoin.

M. T. : À mes yeux, c’est la seule bonne raison. La musique vient d’un besoin que j’ai à l’intérieur de moi. Il faut rester honnête avec soi-même. Pas à l’image (ou au son) que les gens veulent de toi…

Regardez la vidéo deTout nue avec toi, de Mara Tremblay

La Presse : Cela explique sans doute pourquoi vous avez gardé la flamme, la passion du rock, à 52 ans ?

M. T. : Mon corps est usé. J’ai fait deux burn-out. J’ai de la misère à écrire parce que mes coudes me font mal, tellement j’ai joué de la guitare. Mais je n’ai jamais perdu la flamme. C’est impossible. J’aime trop l’ivresse de la scène.

La Presse : Quels conseils donneriez-vous à Gab pour durer dans le métier ?

M. T. : De rester lui-même. Le secret pour durer, c’est l’authenticité. Mais il le sait déjà. Il s’est battu pour travailler avec Olivier Langevin [le réalisateur de Triste pareil], même si on lui disait que ce n’était pas une bonne idée. Parce qu’Olivier avait 41, 42 ans…

G. B. : On me disait qu’Olivier n’était pas assez « Yo » ! J’ai répondu : « Je pense que ça va marcher plus avec Langevin qu’avec vous, les jeunes. »

M. T. : Votre génération est plus ouverte au dialogue. Plus consciente des revers de l’industrie. Quand j’avais ton âge, j’étais avec Les Colocs, Les Frères à ch’val. C’était facile de se perdre dans le mythe du rock. J’ai vécu de GROSSES années ! Des tournées très « sexe, drogue et rock’n’roll ». Je pense qu’aujourd’hui, le milieu est plus ouvert, plus conscient du dommage que ça peut faire sur des vies. Vous essayez de trouver un équilibre. Moi, ça m’a pris des décennies pour trouver un certain équilibre.

G. B. : On a plus d’informations. Tout va très vite. Avec les téléphones intelligents, les réseaux sociaux, etc. Un artiste n’a plus trois jours pour se préparer avant que le journal publie une photo compromettante. C’est direct sur Instagram. Aujourd’hui, un band peut moins se permettre de ne pas être cool. Tout le monde va le savoir en deux secondes si tu as dit une connerie. Et tu ne vendras plus de billets…

M. T. : Il faut aussi mesurer l’impact qu’on a sur le public, ceux qui nous suivent.

G. B. : Je voulais aussi te parler de choses en dehors de la musique. Du côté humain de la business : les revers du succès, les lendemains de shows, les moments de lourde solitude après les gros highs…

M. T. : Pas juste le lendemain. LE soir du show, quand tu arrives toute seule dans ta chambre d’hôtel, après avoir vécu un moment absolument magique, unique. C’est pour ça que certains se maganent autant.

G. B. : Tu ne veux pas que le high s’arrête. Alors tu peux boire jusqu’à 5 h du matin. Et recommencer après le show du lendemain.

M. T. : Il faut prendre un recul face au vedettariat. Ne pas dépendre de cette lumière-là. Ce n’est pas normal qu’un humain soit admiré et applaudi par autant de monde en même temps. De recevoir autant d’amour de gens qui ne te connaissent pas vraiment. Ils écoutent tes chansons, ils aiment ta musique, sans te connaître intimement. C’est malsain psychologiquement.

G. B. : J’ai vu un documentaire des Red Hot Chili Peppers. Le groupe est suivi par un psychologue en tournée. C’est vrai que ce n’est pas normal d’être adulé par 75 000 personnes chaque soir. Malgré ça, je veux faire de la musique depuis que je suis tout petit. Je suis vraiment content de gagner ma vie avec ma musique. Même si l’avenir est incertain et que j’écris de meilleures tounes quand je suis down, j’aspire à être heureux dans ce milieu ben spécial.

La Presse : Le métier est délicieux et fragile. Pour paraphraser l’une de vos chansons, « le bonheur, c’est pareil à un bol de crème glacée qui fond au soleil. Prends pas des grosses bouchées, tu sais c’que ça fait ».

Écoutez Yé passé où l’soleil ?

G.B. : C’est imagé, mais pas super poétique.

M. T. : Au contraire, Gab, je trouve ça extrêmement poétique ! Il y a peu d’auteurs-compositeurs de ta génération (pourtant bourrée de talent) qui sont capables de venir me chercher comme tu le fais avec tes paroles. Ça me rentre dedans !

G. B. : C’est une poésie du quotidien, très simple alors…

M. T. : À mon avis, la vraie poésie, c’est la simplicité. C’est pouvoir juxtaposer deux mots dans un couplet et produire une émotion universelle. Deux mots qui changent nos vies.

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