Leon Bridges dégageait beaucoup de candeur à la sortie de son premier album, qui a fait de lui une star, Coming Home. Une vieille âme soul, disait-on de lui. Pour son troisième album, Gold-Diggers Sound, il a eu soif de renouveau en refusant d’entrer dans un quelconque moule. Entrevue avec le Texan – au style toujours impeccable –, de sa maison de Fort Worth.

Leon Bridges le dira lui-même au cours de notre entrevue sur Zoom : il est un intraverti. C’est pourquoi le succès de son premier album lui a parfois donné le sentiment d’être pris dans une cage et pourquoi le confinement lui a donné autant d’air.

Sans renier ses racines, le trentenaire est un nouvel homme sur son troisième album, sorti vendredi dernier, Gold-Diggers Sound. « Cet album reflète le sentiment de libération que j’ai eu en faisant ce que moi, je voulais », confie-t-il.

Mais il lui a fallu du temps pour trouver le bon chemin. « J’ai creusé et cherché le son que je voulais pendant deux ans, indique Leon Bridges. Je sentais que je me heurtais à un mur d’un point de vue créatif. »

Leon Bridges a eu la chance de passer du temps sans pression dans un endroit unique de Los Angeles qui s’appelle Gold Diggers. En 2019, il avait choisi ce bar du Santa Monica Boulevard pour tenir une fête avant le gala des Grammy (où il a remporté un trophée pour sa chanson Bet Ain’t Worth the Hand).

PHOTO PAVIELLE GARCIA, FOURNIE PAR SONY

Leon Bridges devant le bar Gold Diggers, à Los Angeles

Je ne savais pas que le Gold Diggers était aussi un hôtel et un studio. Quand j’ai appris qu’on pouvait y séjourner et y enregistrer de la musique, j’étais émerveillé. Il y règne une ambiance nostalgique seventies incroyable. Nous avons été privilégiés de créer de la musique à cet endroit.

Leon Bridges

« Nous », c’est Leon Bridges, le réalisateur Ricky Reed et Nate Mercereau. « Au commencement, j’ai dit que je voulais des sonorités nocturnes et sensuelles, des synthétiseurs et un album un peu plus sombre », raconte-t-il.

Leon Bridges avait envie d’un son R & B plus contemporain, mais il voulait une base organique. « Gold Diggers était la maison parfaite pour toute la musique que j’avais en tête. Nous y avons construit un son R & B qui est unique à mes yeux. »

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Leon Bridges souligne à quel point Ricky Reed sait faire ressortir le meilleur et le vrai de chaque artiste avec qui il travaille. Tel un caméléon. Il a épaulé en studio des artistes variés comme Lizzo, Shawn Mendes ou encore Phantogram. « Il a su venir dans mon monde en saisissant l’essence de qui je suis, tout en me permettant de faire un album plus évolutif. »

Un renouveau spirituel

La plupart des chansons de Gold-Diggers Sound ont vu le jour à l’endroit où le titre de l’album fait référence. Mais la douce pièce d’ouverture, qui entremêle gospel, R & B et jazz, Born Again, a émergé pendant la pandémie, alors que Leon Bridges était chez lui, à Fort Worth.

Dans Born Again, il est question de paix, de vérité, du fait de s’ennuyer de ses proches, mais du fait de se sentir en paix dans la solitude. « Elle reflète comment je me sentais, relate Leon Bridges. Je parle de renouveau spirituel car, pour moi, c’était fantastique de déconnecter de tout. J’ai été sur la route pendant si longtemps… »

Pour un intraverti comme moi, la solitude peut être curative.

Leon Bridges

Nous pensions à tort que Leon Bridges avait déménagé à Los Angeles. Fort Worth demeure sa maison. « C’est une ville humble et groundée avec du every day people », dit-il.

Le Rosa’s Cafe, où Leon Bridges travaillait avant d’obtenir un contrat doré avec Columbia (qui appartient à Sony), est toujours ouvert. Avant de connaître un succès international et de récolter des sélections au gala des Grammy, Bridges participait à des soirées de micro ouvert à Fort Worth. Quand il a sorti Coming Home, en juin 2015, le succès a été immédiat et fulgurant. Mais Leon Bridges s’est senti prisonnier d’une image et des attentes qu’on avait envers lui.

Leon Bridges se sent plus libre qu’à ses débuts. « Pour ma paix d’esprit, la seule chose que je puisse faire est d’être moi-même », dit-il. Il trouve par ailleurs que le public et l’industrie tentent trop de circonscrire ce qu’il décrit en anglais comme la Black-self expression.

L'artiste ne veut pas entrer dans un moule et il sait le dire. « J’ai gagné en confiance et grandi comme compositeur et comme chanteur. » Cette libération se sent dans ses textes. Le ton est plus personnel et vulnérable. Le sentiment que « tout est possible » est manifeste dans le clip de l’extrait Motorbike, réalisé par nul autre qu’Anderson. Paak, où Bridges roule à moto avec sa bien-aimée scotchée à son dos. Le texte lui est venu alors qu’il fêtait son 30e anniversaire avec des amis à Porto Rico.

À l’inverse, il est question de solitude et de sentiments sombres refoulés sur Blue Mesas, qui clôt l’album. Cette chanson a vu le jour au Gold Diggers. « Honnêtement, c’était difficile pour moi d’en révéler autant sur moi-même de façon vulnérable devant d’autres musiciens et éventuellement au monde, confie Bridges. Mais dans le son comme dans le texte, cette chanson représente où est mon cœur. J’aime faire des chansons plus le fun et dansantes, mais à la base, je suis un chanteur folk. C’est ma zone de confort. »

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Steam est assurément une chanson plus pop et dansante, alors que Magnolias et le duo avec Ink (Don’t Worry) ont un son soul réconfortant. Or, il est impossible de mettre Gold-Digger Sounds dans une seule case. Et c’est ce qui rend l’album si excellent, au point d’avoir obtenu une note parfaite dans le Guardian.

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La chanson Sweeter figure sur l’album, mais elle est sortie il y a un an, peu de temps après la mort injuste de George Floyd sous le genou d’un policier. « Je l’ai écrite avant, précise toutefois Leon Bridges. Un homme noir qui meurt entre les mains de la police est un narratif perpétuel. Dans l’histoire, les artistes ont toujours su refléter leur époque, rappelle-t-il. Quand George Floyd est mort, je sentais que je ne pouvais faire autrement que de dévoiler ma chanson pour faire jaillir de la lumière sur la communauté noire. »

Si Leon Bridges a apprécié le temps passé loin des projecteurs pendant la pandémie, il a soif de remonter sur scène. Il répète et se remet en forme. « J’ai hâte de présenter Gold-Diggers Sound dans de petites salles », souligne-t-il.

Voir Leon Bridges en toute intimité, comme il l'a fait au Quai des brumes et au Corona ? Vivement une date pour Montréal.