(West Horsley) « Polonium, polonium », entonne un chœur en blouses médicales. Au Royaume-Uni, le meurtre de l’ex-espion russe Alexandre Litvinenko est devenu un opéra, qui se joue pour la première fois jeudi.   

Alexandre Litvinenko, exilé au Royaume-Uni et devenu opposant au Kremlin, est mort le 23 novembre 2006 à la suite d’un empoisonnement au polonium-210, une substance radioactive extrêmement toxique. Alors qu’il agonisait, il a pointé du doigt la responsabilité du président russe Vladimir Poutine.

Inspiré de son histoire, l’opéra du compositeur britannique Anthony Bolton, Vie et mort d’Alexandre Litvinenko, sera joué à partir de jeudi au festival d’opéra de Grange Park dans le Surrey, au sud-ouest de Londres.  

Après avoir été repoussée d’un an en raison des restrictions liées à la pandémie de COVID-19, la première représentation affiche complet.

C’est en lisant une biographie de l’ancien agent des services de renseignement russes (FSB, ex-KGB) écrite par sa veuve Marina et son ami Alex Goldfarb, qu’Anthony Bolton a décidé de se lancer dans cet opéra qui lui a demandé trois ans de travail.  

Le compositeur a expliqué à l’AFP avoir été « très ému » par la souffrance de Litvinenko, mort après que son corps a été « dévoré de l’intérieur » par le poison.

Amour, tragédie, trahison… son histoire « avait tous les ingrédients pour faire un opéra », selon M. Bolton.

Marina Litvinenko, 59 ans, a confié être bouleversée par cette œuvre.

« C’est très émouvant parce que je ne vois pas seulement mon histoire, j’écoute la musique et cela provoque des sentiments très forts. Cela me replonge dans ma vie […] et je suis vraiment heureuse que les gens voient ce qui nous est arrivé en 2006 », a-t-elle décrit à l’AFP.

« Justice »

La veuve d’Alexandre Litvinenko voit dans cet opéra une « forme de justice », car il mentionne les noms des « gens qui ont commis ce crime, qui ont tué mon mari ».  

Dix ans après la mort de Litvinenko, une enquête menée au Royaume-Uni avait conclu à la responsabilité de l’État russe, qui dément, dans cet empoisonnement et établi la culpabilité de deux exécutants, les Russes Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun. Ceux-ci avaient pris un thé avec la victime au Millenium Hotel, dans le centre de Londres.

Mais les tentatives d’extrader les deux hommes ont échoué.  

Désormais député nationaliste, Lougovoï a jugé « peu probable » de voir l’opéra.

« L’idée de faire un opéra basé sur le “scandale du polonium” est pour moi semblable à toute l’affaire liée à la mort d’Alexandre Litvinenko : un spectacle bien mis en scène », a-t-il déclaré à l’AFP.

Et d’ajouter : « Le fait que le metteur en scène britannique me voit à l’image d’un “méchant d’opéra” ne m’empêchera certainement pas de dormir ».  

L’empoisonnement de Litvinenko a détérioré les relations diplomatiques entre Londres et Moscou, qui se sont envenimées davantage avec l’empoisonnement au Novitchok de l’ex-agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille à Salisbury, dans le sud-ouest de l’Angleterre, en 2018.  

Litvinenko est tombé malade le 1er novembre 2006, et son état s’est rapidement détérioré jusqu’à son décès le 23 novembre. Dans une lettre publiée à titre posthume, il s’adressait à Poutine : « Vous avez réussi à faire taire un homme, mais le hurlement de protestation du monde entier se répercutera, M. Poutine, dans vos oreilles pour le reste de votre vie. »

L’histoire de Litvinenko a déjà inspiré une pièce de théâtre intitulée A Very Expensive Poison  (« Un poison très cher ») de Lucy Prebble, basée sur un livre de l’ancien correspondant du quotidien britannique The Guardian à Moscou, Luke Harding.  

Dans Vie et mort d’Alexandre Litvinenko, la musique emprunte des passages aux compositeurs russes Rachmaninov, Chostakovitch et Tchaïkovski, mais aussi aux chants de soccer et de l’armée russes, ainsi qu’à l’hymne tchétchène.

Parmi les moments forts de la pièce, la mise en scène recrée dans cet opéra de 700 places la prise d’otages d’un théâtre de Moscou en octobre 2002 par un commando tchétchène.

Le compositeur de 71 ans a dit à l’AFP espérer que les spectateurs soient « émus » par la mort de Litvinenko et que son œuvre « fasse vivre longtemps l’histoire de sa vie ».