La voie ferrée du CN, la piste cyclable des Carrières, les grandes avenues nord-sud : une foule de sentiers semblent converger vers ce lieu aussi effervescent que semi-secret. C’est aussi la croisée des chemins de nombreux musiciens, notoires ou inconnus au bataillon, venus fourbir leurs instruments, mais surtout y enchevêtrer des pistes – numériques celles-ci. Incursion au sein du Studio Dandurand, creuset social et artistique vibrant au rythme du quartier rosemontois.

« J’espèèèèère… » Rembobinage, réglage. « J’espèèèère… » Rembobinage, gossage. « J’espèèèère… » OK pour ce passage.

Mais qu’espère donc Salomé Leclerc, dont les éclats de voix résonnent en boucle dans la régie ? Nous ne le saurons pas avant la sortie de son prochain album, prévue en octobre. En attendant, postés derrière la console de mixage, la musicienne et Louis-Jean Cormier polissent minutieusement ses prises de son. « On est dans les derniers milles », assure d’une voix éraillée ce dernier, cofondateur du Studio Dandurand et intervenant ici dans la réalisation de l’opus. L’artiste polyinstrumentiste, après avoir assemblé et capté ailleurs les principaux ingrédients pour son disque, a choisi d’effectuer le travail final dans cet antre rosemontois, attirée par la touche pro et le précieux regard du karkwiste.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Salomé Leclerc avait déjà réalisé de nombreuses prises à La Traque, des studios situés tout près. Elle a choisi de finaliser le tout au Studio Dandurand, qui propose de grands espaces pour l’enregistrement de claviers et de percussions, pour bénéficier aussi de l’expertise de Louis-Jean Cormier, cofondateur.

Autour d’eux, une drôle de faune gravite. Gerbes de câbles. Claviers pour touche-à-tout. Guitares assoupies en étui. Bribes de batterie. Autant de baguettes magiques pour orchestrer la naissance d’un album ou simplement capter des prises spécifiques de piano ou de percussions. Des instruments qui passent entre de multiples mains ; car derrière ses faux airs de vase clos, le studio s’avère un véritable vivier social. Au cœur et au pied de cette bâtisse du quartier montréalais, les artistes se croisent, jasent, dînent, se prêtent du matériel – et des idées.

  • Les ressources musicales abondent, avec guitares, percussions, claviers et autres qui sont en permanence à la disposition des artistes. Les ressources humaines aussi ; Guillaume Chartrain est devenu un rat de studio, où l’on trouve aussi Alex Métivier, assistant.

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    Les ressources musicales abondent, avec guitares, percussions, claviers et autres qui sont en permanence à la disposition des artistes. Les ressources humaines aussi ; Guillaume Chartrain est devenu un rat de studio, où l’on trouve aussi Alex Métivier, assistant.

  • Les instruments peuvent passer entre de multiples mains.

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    Les instruments peuvent passer entre de multiples mains.

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Des traces de leur passage ? Guillaume Chartrain, bassiste, ingénieur du son et copropriétaire des lieux (fondés en 2016 avec un troisième larron, Marc-André Larocque), nous y conduit. Sous les salles de mixage, une sorte de crypte avec des caveaux de bois scellés et flanqués de noms : « Michaud », « Brach », « LJ », « Galaxie » … Macabre ? Au contraire, c’est ici que l’idée du studio a germé : ces casiers recèlent le matériel des musiciens et groupes pour la scène ou l’enregistrement.

  • Patrice Michaud, les sœurs Boulay, Philippe Brach : c’est un peu le Temple de la renommée musicale qui se concentre quelque part dans le sol de Rosemont, sous le studio.

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    Patrice Michaud, les sœurs Boulay, Philippe Brach : c’est un peu le Temple de la renommée musicale qui se concentre quelque part dans le sol de Rosemont, sous le studio.

  • L’avantage de ces casiers scellés : les instruments sont à portée de main pour les monter en salle d’enregistrement.

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    L’avantage de ces casiers scellés : les instruments sont à portée de main pour les monter en salle d’enregistrement.

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« C’est ce qui nous a convaincus de faire le studio ici. Avec Louis-Jean, on y avait notre locker d’instruments et on s’est dit que ce serait beaucoup plus facile et efficace que tout soit à portée de main », explique Guillaume Chartrain, qui venait d’y croiser les sœurs Boulay. Salomé Leclerc abonde : « C’est la première fois que tous mes instruments sont à dix secondes à pied. Avant, c’était la ronde de lait, il fallait louer un camion, c’était beaucoup de gestion. »

Entre micros et microcosme

Dans l’équation, il y a aussi la proximité du studio La Traque, où on répète, compose, enregistre. « On aime bien appeler ces lieux le quartier général de la chanson à Montréal, pour le bassin francophone, indique Louis-Jean Cormier. Rien que la présence du studio La Traque fait en sorte qu’en bas des marches, on rencontre 10 millions d’amis qui partent en tournée, se préparent, sont en projet. »

Que de grands noms de la chanson ? C’est un gros non : les jeunes pousses se mêlent aux arbres matures du milieu. « On voit pas mal de jeunes de la relève. Quand ils arrivent pour la première fois et qu’ils croisent en bas la gang à Klô Pelgag, ils se disent : “Wow, c’est vraiment ici que ça se passe !” », raconte Guillaume Chartrain.

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Guillaume Chartrain, dans une salle de mixage annexe

Une fourmilière active, semi-souterraine, où l’on puise inspirations et interactions. C’est d’ailleurs un travail de fourmi que Salomé Leclerc et son acolyte reprennent dans la régie principale ; un espace crucial que les cofondateurs ont voulu « vaste, vivant, qui respire ». « On passe tellement de temps dans cette salle, c’est là où on cogite le plus », insiste Guillaume Chartrain.

Pour vivre heureux, vivons cachés

Il y a certes du passage, mais on n’entre pas pour autant au Studio Dandurand comme dans un moulin. Il est volontairement nappé d’une aura de mystère, et seuls les initiés hériteront du sésame pour accéder à ce repaire de Rosemont. « On aime être un secret bien gardé. Si un inconnu me contacte pour louer le studio, il m’arrive de ne pas répondre. À moins que j’aie un coup de cœur pour le projet », précise Guillaume Chartrain, justifiant notamment ce voile d’obscurité par le libre accès des locataires aux nombreux équipements sur place. « Si on commence à tout barrer, ça devient une logistique épouvantable ! », fait-il remarquer, précisant qu’ils ne cherchent pas à louer à guichets fermés.

Studio discret, mais certainement pas coupé de son quartier, avec lequel il vit en résonance mutuelle.

Le quartier, on l’habite. La track de chemin de fer avec la piste cyclable, ça se retrouve jusque dans des chansons, c’est notre grande artère pour venir ici. On y a nos endroits préférés, on fait partie des locaux, les gens nous connaissent. On sent que la bâtisse où on est joue un rôle.

Louis-Jean Cormier

Autre vocation inattendue du studio : zone de repli en temps de pandémie. Après un passage à vide où, face à l’incertitude, les artistes se montraient frileux à l’idée de se lancer dans la production, le studio a fait salle comble une fois la confiance revenue et les subventions allouées, pour immortaliser des créations accumulées en confinement. Et ce faisant, maintenir un contact social minimal. « Je pense que le studio a fait en sorte qu’on n’a pas vécu une pandémie aussi violente que d’autres, ça nous a donné un semblant de normalité », estime Louis-Jean Cormier. « C’est comme un bar, mais sans alcool, où tout le monde est masqué ! », badine Guillaume Chartrain.

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Quand ils ne vont pas dehors retrouver les amis de la bande locale, les artistes partagent des tranches de pain et de bonne humeur dans la cuisine du studio.

Après une pause-dîner animée dans la cuisine du studio, Salomé Leclerc et son comparse se remettent aux manettes. Mais dans l’album en gestation, « il ne sera pas du tout question de pandémie, c’est un élan très intime et personnel », annonce la musicienne. « De la chanson-folk-orchestrale-bricolée, précise Louis-Jean. C’est comme une ode à Rosemont–La Petite-Patrie ! »

Leurs adresses préférées du quartier :

Le café-disquaire 180g, MaBrasserie, le pub Brouhaha, le café Nigelle, les Demoiselles… et la petite épicerie au coin de la rue, tout simplement.

À découvrir

Une œuvre murale à partir de l’œuvre de Rabagliati

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

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Le chalet du parc Beaubien a pris des tons joyeusement orangés lorsqu’il s’est paré, en 2013, des personnages animés dessinés par Michel Rabagliati. L’œuvre murale a été réalisée par le peintre et sculpteur Jérôme Poirier à partir d’une maquette commandée au bédéiste montréalais reconnu pour son personnage de Paul, et qui a grandi dans le quartier Rosemont.

Laila Maalouf, La Presse

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La Plaza Saint-Hubert

Après tous les travaux majeurs qui ont perturbé ses activités pendant deux ans, il est temps de redécouvrir l’emblématique artère commerciale de Montréal qu’est la Plaza Saint-Hubert. Sa cure de jeunesse est fort réussie. Il y a des trottoirs plus larges pour aller bouquiner chez Raffin, choisir sa robe de mariage et prendre un espresso chez Café Crème.

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