L’Orchestre symphonique de Montréal vendait son concert de vendredi soir sous le titre de Mélodies envoûtantes. Avec les sublimes Nuits d’été de Berlioz et la Symphonie no 7 de Prokofiev (probablement sa plus lyrique), il est vrai que le chant était relativement à l’honneur.

L’envoûtement n’a cependant guère agi en ce qui nous concerne. Ce n’est pas faute d’avoir de bons musiciens sur scène. Successeur de Bramwell Tovey à la barre de l’Orchestre symphonique de Vancouver, le Néerlandais Otto Tausk faisait ses débuts à Montréal. Nous avions écrit un compte rendu très élogieux dans Le Soleil à l’issue d’un concert qu’il avait donné avec l’Orchestre symphonique de Québec juste avant la pandémie. Si le musicien avait brillé là-bas dans Dvořák et Richard Strauss, il n’est pas tellement dans son élément chez Prokofiev.

Tant de musiciens (pianistes, chefs, violonistes…) semblent avoir peur de sauter à pieds joints dans cette musique caustique et veulent faire du « beau » son, ce qui est contraire à l’esprit du compositeur russe. La sonorité de l’orchestre est beaucoup trop ronde tout au long de la symphonie. Les staccatos présents tout au long de la partition piccolo-percussions, qui doivent être comme des gouttes d’acide, ne sont qu’un exemple parmi d’autres.

Quant à l’Allegretto (deuxième mouvement), il s’agit d’une danse macabre. L’élégance apparente de cette valse n’est pas à prendre au premier degré. Le premier mouvement pèche également par un lyrisme déplacé là où l’on attendrait du venin, dans ce qui reste une gigantesque et grotesque grimace aux autorités staliniennes (l’œuvre a été composée juste avant la mort du chef soviétique… le même jour que Prokofiev !).

La musique de Prokofiev n’est jamais complaisante. Même quand il écrit « espressivo », comme aux premier et troisième mouvements, il ne faut pas trop forcer la dose. Prokofiev est probablement le champion de l’ironie musicale. Tout passage lyrique dans son œuvre doit donc être pris au second degré.

La conception de Tausk reste cohérente et habitée. Elle est seulement, à notre avis, passablement à côté au niveau de l’esprit. Pour entendre Prokofiev autrement, les enregistrements de Walter Weller avec l’Orchestre symphonique de Londres restent un incontournable.

Pour les Nuits d’été, données au début du concert, l’orchestre a choisi de faire appel à quatre solistes, choix surprenant puisque le recueil est le plus souvent interprété par un seul soliste, surtout des mezzo-sopranos ou des contraltos. Il y a un risque réel d’une perte de continuité, surtout quand le niveau est aussi inégal.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

La soprano Hélène Guilmette

Comme souvent lorsqu’elle chante au sein d’une brochette de solistes, la soprano Hélène Guilmette se démarque de ses collègues. Dans L’Île inconnue (no 6), mais surtout Villanelle (no 1), elle fait preuve d’une présence, d’une fraîcheur, bref, d’un vrai sens du beau, avec un chant délié et d’une éblouissante clarté.

De la mezzo-soprano Caroline Gélinas (dans la deuxième mélodie, Le spectre de la rose), on apprécie la beauté du timbre et l’expressivité, mais un certain manque de projection nous empêche, au balcon, de goûter tout le grain de sa voix.

Le ténor Frédéric Antoun ne semblait pas dans son meilleur jour dans Absence (no 4) et Au cimetière (no 5), la voix semblant avoir du mal à s’accrocher dans le masque. Mais on écoute quand même avec les oreilles grandes ouvertes, car ce chanteur fait toujours des merveilles dans le chant français, avec un timbre et une diction idéals.

Le baryton Geoffroy Salvas, au contraire, est très en forme vocalement dans Sur les lagunes (no 3), avec une jolie voix libre et malléable. Mais il est passablement indifférent au texte. Comment chanter « je n’aimerai jamais une femme autant qu’elle » de manière aussi impassible ?

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Le baryton Geoffroy Salvas

En guise de complément, les spectateurs ont pu entendre la Danse (Tarantelle styrienne) de Debussy dans l’orchestration de Ravel en tout début de concert. Même si le chef a bien cadré le tout, nous avons plus eu l’impression d’avoir assisté à un échauffement avant le Berlioz, l’orchestre ayant passé la moitié du morceau à chercher sa sonorité.

Drôle d’idée de mettre un quatuor de Mozart tiré d’un opéra de jeunesse (La finta giardiniera) après les Nuits d’été et avant Prokofiev… Entendre des fadaises comme « Que c’est beau d’aimer ! La jeunesse est si belle » après les sommets poétiques de Théophile Gautier, c’est un contraste discutable.

Le concert est repris cet après-midi à 14 h 30, puis du 8 au 22 juin en webdiffusion sur le site de l’OSM.

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