Il n’y a pas la musique d’un côté et la vie de l’autre. Allison Russell, chanteuse montréalaise établie à Nashville, trouve que tout est lié : ce qu’elle a vécu, ce qu’elle chante, ce qu’elle défend comme femme et comme artiste. Outside Child, son premier album à paraître sous son nom, évoque le meilleur de Cowboy Junkies et de Norah Jones.

Po’Girl, Birds Of Chicago, Our Native Daughters, Allison Russell a multiplié les groupes et les collaborations depuis 20 ans. Le fil conducteur dans tout ça ? Un attachement au folk, au blues, au country, au gospel, des musiques qui se fondent dans ce melting-pot qu’on appelle communément « americana ».

Elle endosse volontiers l’étiquette qui, à ses yeux, a quelque chose d’englobant. Elle renvoie en effet au « choc culturel » qu’a été la rencontre des rythmes et des airs portés par les esclaves noirs avec différentes musiques européennes en Amérique, puis au mariage heureux de différentes traditions qui se sont développées au fil du XXsiècle, en ville comme en milieu rural.

Outside Child porte tout ça, avec poésie et sensibilité. Surtout, il donne à entendre une artiste déterminée à être une voix qui compte. « Me mettre de l’avant, raconter mon histoire, dans mes propres mots, écrire tout ce que je voulais, ça m’était nécessaire », dit la chanteuse, pour expliquer cette envie d’enfin s’afficher en solo.

Enfant de Montréal

Montréal est presque un personnage dans l’univers musical d’Allison Russell. En plus d’être le titre de la chanson qui ouvre son album, la ville apparaît à travers le nom d’une rue ou ces passages en français qu’elle glisse dans ses morceaux majoritairement en anglais.

Montréal, c’est ma ville. Je suis née là, j’ai grandi là, et c’est là que j’ai vécu toutes les expériences qui m’ont formée.

Allison Russell

Et si elle est aussi attachée à Montréal, c’est qu’elle a beaucoup de gratitude pour tous ceux — amis, artistes — qui l’y ont aidée à traverser son adolescence sans sombrer, explique en français la chanteuse établie à Nashville depuis quatre ans avec sa petite famille.

Allison Russell a vécu de la violence et des abus de la part de son père adoptif. Elle a fini par fuir vers l’âge de 15 ans. « Il y a des nuits d’été que j’ai passées au cimetière [du Mont-Royal], il y a des jours d’hiver où je dormais à l’Oratoire ou à la Basilique parce qu’il y faisait chaud », raconte-t-elle. Et il y a des nuits froides qu’elle a passées à traîner dans des cafés jusqu’au petit matin…

« Je ne racontais pas aux gens ce que je vivais, dit-elle. Je n’étais pas prête, à cet âge, à parler de ce qui m’arrivait, mais j’ai eu la chance d’être entourée de gens qui m’acceptaient comme j’étais, sans me poser trop de questions, et qui m’aidaient quand j’en avais besoin. »

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Briser le silence

Ces violences sont dites dans de nombreuses chansons d’Outside Child. Le plus souvent à demi-mot. Ce qui s’entend très clairement, c’est toutefois la force de l’interprète. « Le silence aide la violence, croit fermement Allison Russell. J’ai eu le sentiment que si je ne parlais pas, je faisais partie du problème. »

Je n’aurais pas eu la force de faire ça si je n’étais pas devenue maman. Devenir mère m’a forcée à être plus courageuse.

Allison Russell

Ce qu’elle a vécu, ce qu’elle a encaissé, ni sa fille ni aucun autre enfant ne devrait le vivre. Sa prise de parole passe par l’action directe — on aperçoit l’affiche d’une marche des femmes derrière elle au moment de l’entrevue réalisée par Zoom — et par sa musique.

« Tout est lié », assure Allison Russell, pour qui l’art est un outil capable de susciter l’empathie. « L’art aide l’être humain, de manière consciente et présente, à développer de la compassion pour les autres », insiste-t-elle.

Ça ne se fait évidemment pas en criant dans les oreilles de ceux qu’on cherche à toucher. Allison Russell adopte en effet la manière douce. Sa voix peut être puissante, mais ici, son chant demeure surtout feutré. On pense entre autres à Margo Timmins des Cowboy Junkies. Il y a plus de gospel, un peu plus de jazz aussi, chez Allison Russell, mais ses chansons ont une parenté avec ce qu’on a entendu sur The Caution Horses et Pale Sun Crescent Moon, deux des beaux disques des Cowboy Junkies datant des années 1990. Ici et là, on pense aussi à Norah Jones et à son americana tamisé.

En une phrase : tout coule de source sur Outside Child. « La musique a toujours été là dans ma vie, assure-t-elle. Ma mère dit que j’ai chanté avant de parler. Je faisais des harmonies pendant qu’elle jouait [au piano]. La musique a toujours été là, mais je ne savais pas encore que j’étais musicienne. » Ce n’est plus un secret pour elle, ce ne le sera bientôt plus pour personne.

IMAGE FOURNIE PAR FANTASY RECORDS

Outside Child

Soul, Folk
Outside Child
Allison Russell
Fantasy Records
Offert le 21 mai