Près d’un an après son album Quand la nuit tombe, Louis-Jean Cormier revient avec un quatrième album, Le ciel est au plancher. S’il est question de deuil, de non-dits et de remords, Louis-Jean Cormier n’a jamais été aussi fier de ce corpus de chansons inspirées par le deuil de son père. Entrevue dans son studio du quartier Rosemont.

« Si je n’avais pas été coach à La Voix, on ne serait pas assis ici », lance Louis-Jean Cormier.

Pour l’auteur-compositeur-interprète, parmi les grands de sa génération, son studio du quartier Rosemont est à la fois un refuge, un espace de liberté et la maison d’une communauté d’amis musiciens.

« C’est l’une des choses les plus importantes de ma vie, dit-il. Le studio représente mon cheminement, mes accomplissements et toutes les décisions que j’ai dû prendre. Avoir un studio d’enregistrement était pour moi un but. Depuis que je l’ai, c’est comme si je n’avais plus besoin de rien. »

C’est dans son studio que Louis-Jean Cormier a tourné les vidéos et les entrevues de sa plateforme numérique payante 360. Il nous apprend d’ailleurs que les membres de Karkwa écriront sous peu de nouvelles chansons.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Louis-Jean Cormier

Pendant notre entrevue, son grand complice musical François Lafontaine – depuis Karkwa – est dans l’un des locaux avec le musicien Vincent Letellier pour un projet secret.

C’est avec Lafontaine que Cormier a enregistré Le ciel est au plancher. Pour Cormier, ce quatrième album est celui dont il est le plus fier même si – paradoxalement – les circonstances qui ont rendu sa création aussi « claire » sont celles, sombres, du deuil de son père.

Le ciel est au plancher est mon disque qui a la plus belle direction artistique. On l’a réalisé comme un film.

Louis-Jean Cormier

Marcel Cormier s’est éteint en janvier 2020, sans que son fils puisse lui faire les adieux qu’il aurait voulu.

Deux mois plus tard, Louis-Jean Cormier a lancé son troisième album, Quand la nuit tombe. « Mon père est décédé après la fin de la production », précise-t-il. Il était néanmoins question de deuil sur la magnifique ballade Croire en rien. Louis-Jean Cormier avoue avoir eu l’effroyable impression d’un signe « prémonitoire ».

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Louis-Jean Cormier

Cormier a sorti Quand la nuit tombe (cinq ans après Les grandes artères) avec la volonté de se renouveler. Il a mis de côté sa guitare pour donner le champ libre à François Lafontaine aux claviers. L’inspiration était foisonnante, si bien que 10 chansons ont été enregistrées, et que d’autres ont été mises de côté…

« J’avais le sentiment qu’il y avait quelque chose d’incomplet dans certains textes et je ne savais pas pourquoi ni comment les finir. Puis à la mort de mon père, toutes les chansons inachevées ont pris forme très rapidement. »

Comme c’est le cas avec une douloureuse rupture amoureuse, le deuil engendre des émotions profondes qui ne pourraient être plus concrètes pour un auteur, explique Cormier. « C’est une puissante source d’inspiration. Les mots qui viennent sont hyper clairs. »

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Un aller-retour entre Montréal et Sept-Îles

Le ciel est au plancher est une sorte de suite instrumentale à Quand la nuit tombe, dans la mesure où il n’y a pas de guitare. Avant même d’enregistrer une note, Cormier et Lafontaine avaient en tête un plan de match musical très précis, soit 45 minutes de musique avec des arrangements orchestraux, de l’électro, du piano, de l’espace, du jazz ambiant (comme sur des albums du label ECM) ainsi que des harmonies vocales. « Mon père était chef de chœur », souligne Louis-Jean Cormier.

Rapidement, Cormier et son frère d’armes d’écriture Daniel Beaumont ont convenu que Le ciel est au plancher serait un aller-retour entre Montréal et Sept-Îles. Instrumentales, la première et l’avant-dernière pièce ont pour titre les coordonnées géographiques en longitude et latitude des villes de naissance et d’adoption de Cormier, séparées de 900 kilomètres. Puis l’album se termine avec L’au-delà, douce ballade au piano où Cormier se demande si un tel espace existe et « si c’est aussi beau qu’ici ».

Le piano est le premier instrument que j’ai maîtrisé et appris à Sept-Îles. C’est connecté à mon père. Si les sons de guitare se rapprochent plus de la forêt avec beaucoup de rythmiques, le piano est davantage ouvert et dans l’espace comme sur une plaine… Le piano permet aussi beaucoup de silences.

Louis-Jean Cormier

Marcel Cormier a étudié avec Gilles Vigneault. Sur la chanson-titre, Le ciel est au plancher, Cormier raconte que le vent de la mer lui rappelle la voix de Vigneault en vinyle. Sur la pièce Bipolaire, Cormier fait plutôt un clin d’œil à Bowie. Il s’ennuie de l’époque insouciante de son enfance où il rêvait à l’espace dans le sous-sol de ses parents.

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Bipolaire est l’une des nombreuses chansons de l’album au bridge émotif inattendu, pour ne pas dire « théâtral », dixit Cormier. On retrouve aussi de multiples soubresauts électro puissants à la Sufjan Stevens, notamment sur 138. L’une des chansons préférées de Louis-Jean Cormier est Tout croche. Une mélodie toute simple avec sa voix synthétisée par un vocodeur.

Les mots lui sont venus alors qu’il marchait dans le cimetière de Sept-Îles. Cormier promet à son père (un ancien prêtre) de ne plus s’enfuir quand le bonheur s’approche et de ne plus aimer tout croche. Il dialogue aussi avec lui sur L’ironie du sort. « C’est l’histoire universelle du petit gars qui ne pense pas s’identifier à son père, mais qui comprend en le perdant comment il lui ressemble », explique Cormier.

Sur L’ironie du sort, on peut entendre chanter en chœur Erika Angell, Marie-Pierre Arthur et Camille Cormier, fille de Louis-Jean. Sur sa chanson aux sonorités world Les lignes de ma main (écrite pour son amoureuse, l’animatrice Rebecca Makonnen), Cormier chante en duo avec La force (Ariel Engle). De plus, Robbie Kuster a accompagné à la batterie Cormier et Lafontaine en studio. Il faut aussi souligner la présence d’Andy King à la trompette et d’Erik Hove au saxophone.

Deuil et vérité

Une grande liberté artistique émane de l’album Le ciel est au plancher. Avec des textes hyper personnels, Cormier saisit l’universel. Notamment sur la pièce-titre, où Cormier affronte son deuil en marchant dans les rues de Sept-Îles. Le ciel est au plancher/Le ciel est tellement bas que si je lève le bras/J’arrive à te toucher.

« C’est l’idée que la mort est plus proche de nous qu’on le pense », dit Cormier. Or, les morts restent aussi plus près de nous qu’on le pense, ajoute celui qui converse toujours avec son père, Marcel.

Le ciel est au plancher sort le 16 avril.