David Laflèche, Myëlle et Joseph Marchand ont en commun d’être des musiciens accompagnateurs doués, qu’on peut voir depuis des années aux côtés d’une foule d’artistes tant sur scène et en studio qu’à la télé. Tous les trois osent cette année l’aventure solo en lançant un premier album. Nous avons discuté avec eux de ce vertigineux passage à l’avant de la scène.

Se donner la permission

Depuis environ 18 ans, le guitariste Joseph Marchand accompagne, compose, arrange. Très demandé, il a œuvré tant sur scène qu’en studio aux côtés de nombreux artistes, de Pierre Lapointe à Ariane Moffatt en passant par Safia Nolin. Mais c’est sous le nom de Joseph Mihalcean — le patronyme que son grand-père roumain a troqué pour Marchand en quittant son pays pendant la guerre — qu’il lance son premier album solo. Pourquoi avoir changé de nom ?

« Peut-être que c’était une façon de ne pas être tout à fait juste moi. C’est un disque très intime, mais en même temps, ça permet de transfigurer Joseph Marchand et de bien m’assumer dans ça. Je ne sais pas pourquoi, ça m’a un peu aidé. »

En travaillant sur son album, le guitariste a non seulement découvert la pression de l’auteur-compositeur-interprète — « J’ai demandé à mes amis si c’était normal que je me sente stressé, ils m’ont dit : “Ben oui, c’est ça qu’on vit chaque fois !” » —, mais il a aussi mieux compris son métier d’accompagnateur et de co-compositeur.

« Je pense que je vais être meilleur à l’avenir. J’ai acquis une sensibilité et je comprends mieux l’impact que ç’a. Je n’abandonnerai pas ce travail, j’adore ça, mais j’aimerais axer les années qui viennent sur des trucs plus personnels. » Joseph Marchand voit d’ailleurs ce premier pas, « tout petit, à peine 26 minutes », davantage comme un essai.

J’ai toujours composé pour moi. Probablement que j’avais le désir depuis longtemps d’être en avant, mais c’est la première fois que je me donne cette permission. J’ai l’impression d’être un imposteur par moments, mais en même temps, je me dis : “pourquoi pas moi ?” Il faut parfois aller au-delà des définitions qu’on se donne de soi-même.

Joseph Marchand

Le plus difficile pour lui aura été d’assumer sa voix — « C’est un work in progress ! » —, et le musicien a abordé l’écriture des chansons avec beaucoup d’humilité.

« Je me compare zéro à Philippe B ou Stéphane Lafleur, qui sont des maîtres, des vrais poètes. Moi, c’est plus des ambiances, des suggestions de mots qui sont mêlés avec la musique. Pas besoin d’être attentif comme dans une chanson de Pierre Lapointe. »

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Le musicien espère que les auditeurs curieux auront envie de visiter son album et de s’y perdre un peu. Il aimerait bien aussi l’emmener sur scène… malgré l’angoisse que ça lui procure.

« Mon rêve récurrent, c’est que j’arrive sur la scène le soir de ma première. Je dis aux gens : “Merci d’être venus, moi, je vais partir tout de suite, mais passez une belle soirée et c’est gentil de vous être déplacés, au revoir.” C’est ça, mon rêve. »

IMAGE FOURNIE PAR COSTUME RECORDS

Pochette de l’album Jospeh Mihalcean

Folk francophone

Joseph Mihalcean

Joseph Mihalcean

Costume Records

Disponible le 19 mars

Écouter sa petite voix

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

David Laflèche

Le guitariste David Laflèche a accompagné de nombreux artistes, mais il a surtout fait sa marque comme chef d’orchestre à la télévision depuis près de 30 ans.

« Quand j’ai commencé la guitare à 17 ans, je me voyais jouer dans Metallica », raconte celui qui a plutôt suivi le chemin de son père, qui a été directeur musical à la télé pendant toute sa vie. « J’avais du leadership, les choses se sont enchainées, mais jamais je ne m’étais dit : un jour, je vais faire ça. »

Après deux EP cet hiver, David Laflèche lancera un album complet en mai. À 49 ans, il a décidé d’écouter « la petite voix » qui lui disait qu’il était temps d’explorer d’autres avenues, parce que son boulot de chef d’orchestre et d’accompagnateur commençait à être « un peu mécanique ». « J’étais allé pas mal au bout du chemin que je pouvais parcourir. »

Quand il a commencé à écrire ses premières chansons il y a quelques années, le country et l’americana se sont naturellement imposés, comme une racine. « En essayant tous les styles de musique possible, j’ai compris que c’est vraiment ce qui résonne et rayonne pour moi. C’est aussi à l’image de qui je suis, je suis installé sur le bord d’un lac, dans la nature… Si je vivais aux États-Unis, c’est sûr que j’aurais un ranch ! »

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Si David Laflèche aime la simplicité du folk, le perfectionniste en lui – « c’est ma force dans mon travail, mais ça peut être ma faiblesse quand je l’applique à moi-même » – a dû lâcher prise en studio, question de ne « pas perdre l’âme » de son projet.

Je ne voulais voir ni la console ni l’ordi. Je voulais être dans ma bulle. Je me suis entouré de gens de confiance et je me suis abandonné à eux, comme les artistes qui se sont abandonnés à moi. Je l’ai vécu à l’inverse et wow, c’était l’fun ! J’ai réalisé à quel point les gens m’avaient fait confiance.

David Laflèche

Il y a quelque chose de la mise à nu dans le fait de se lancer en solo, dit-il. « C’est comme être 20 pieds en avant sur le stage ! » Même que l’idée de faire des spectacles le « terrorise » plus qu’autre chose, lui qui en a pourtant vu d’autres. « J’ai peur d’oublier mes paroles… Quand je joue de la guitare, c’est naturel, mes doigts voyagent sur mon instrument. Mon nouveau muscle à exercer, c’est la mémoire. »

Mais le défi est surtout stimulant, tellement que le musicien a décidé de délaisser la télé. « J’ai décidé de me mettre en danger comme à 19 ans, quand tu te lances dans la vie. Mais est-ce que c’est le premier album d’une série ? Peut-être, mais pas nécessairement. »

Pour l’instant, il espère seulement que ses chansons qui parlent du passé et des liens qui nous unissent à ceux qu’on aime sauront « se déposer » dans la vie des gens.

« J’espère qu’elles leur feront du bien et qu’ils auront envie d’en écouter une, puis une autre. C’est juste une petite doudou de laine. »

IMAGE FOURNIE PAR DLP MUSIK

Pochette de l’EP Every Day Son – Part 1

Country-folk

Every Day Son – part 1 (EP)

David Laflèche

DLP MUSIK

La deuxième partie sortira le 26 mars. L’album complet sera en vente le 7 mai.

Une boîte de Prismacolor

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Myëlle

Lors de son passage au festival en chansons de Petite-Vallée en 2010, la chanteuse et multi-instrumentiste Myëlle (Marie-Michèle Blain, de son vrai nom, « mais il y a juste le gouvernement qui m’appelle comme ça ») a raflé six prix, dont celui de la meilleure chanson et le coup de cœur du public.

Mais dans les années qui ont suivi, à part la sortie d’un EP en 2014, c’est plutôt comme accompagnatrice qu’elle s’est fait connaître, de Galaxie à Richard Séguin en passant par Amylie et Tire le coyote.

« Ça a commencé de fil en aiguille, des occasions qui se sont présentées à moi. Je ne sais pas à quel point je tenais à avoir une carrière solo quand je me suis rendu compte qu’accompagner, ça me remplissait. J’ai aussi fait des gros stages, que je n’aurais jamais faits dans une carrière de relève », assure-t-elle.

Accompagner lui permettait aussi de toucher à tous les styles de musique, du folk, du soul, du rock. Et puis celle qui a été élevée dans un milieu où la chanson était à l’honneur ne se sentait pas à la hauteur quand elle écrivait. « En plus, quand tu travailles avec des poètes de course, quand tu te mets au crayon et au papier, la pression est grande et l’autojugement vient vite. »

C’est quand elle s’est séparée du père de sa fille que Myëlle a commencé à écrire les chansons de l’album qui est sorti il y a quelques semaines. Pas parce qu’elle brûlait de dire quelque chose, mais pour passer à travers la douleur. « La première chanson que j’ai écrite, c’est Enchantée. J’ai décidé d’aller vers la lumière, ç’a été le refuge nécessaire, où la création a pris le dessus sur la détresse. »

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Toutes ces années à travailler avec d’autres artistes l’ont cependant nourrie et Myëlle se voit aujourd’hui comme une belle boîte de Prismacolor.

Je me suis laissée traverser par eux, c’est tatoué dans mon corps, mon cœur… J’entends tous leurs accents quand je chante. Mais j’ai l’impression que ça fait en sorte que je suis plus authentique et intime. Je ne suis pas dans une recherche, je l’ai faite déjà avec d’autres.

Myëlle

Dans un monde idéal, Myëlle continuerait à accompagner des artistes tout en se consacrant à sa carrière solo. « Je ne m’arrêterai jamais à un seul projet, et si oui, c’est parce que je serai vieille et fatiguée ! » Elle espère être là pour de bon, et que le public aura envie de la voir sur scène. En attendant, elle souhaite que ses chansons se rendent à eux malgré la pandémie.

« J’ai l’impression que le monde a besoin de chaleur humaine, et ça, je suis capable d’en donner », dit la chanteuse qui avait envie du scintillement de la pop dans sa musique.

« J’aime ça avoir mes chansons dans le corps, dans les épaules, les chanter dans la douche. C’est catchy et c’est ce que j’aime, le gros smile que ça me met dans la face, même si on est en train de parler d’un sujet super lourd. »

IMAGE FOURNIE PAR QUARTIER GÉNÉRAL

Pochette de l’album Enchantée

Pop

Enchantée

Myëlle

Quartier Général