Dire que le choix d’un directeur musical est crucial pour un orchestre relève de l’euphémisme. Il s’agit d’opter pour quelqu’un qui donnera une direction particulière à un ensemble, tant en matière de répertoire que d’esthétique sonore et d’interprétation. Une mauvaise décision, et le conte de fées attendu peut vite se transformer en cauchemar.

Après 15 ans de règne de Kent Nagano, qui a amené l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM) dans de nouvelles contrées tout en lui insufflant une éthique artistique faite de rigueur et de dépassement, le comité de sélection a jeté son dévolu sur un pur produit du programme vénézuélien d’éducation musicale El Sistema.

Où Rafael Payare amènera-t-il l’OSM au cours des prochaines années ? Au vu de son deuxième concert avec l’ensemble depuis sa nomination récente — le premier était diffusé le 10 janvier et est offert sur Medici jusqu’en avril —, l’héritage de Kent Nagano est en mains très sûres.

Au chapitre du métier, le jeune quadragénaire n’a plus rien à apprendre de personne. La suite Ma mère l’Oye de Ravel, mais plus encore le rare et splendide Conte-poème de Sofia Goubaïdoulina, qui fait judicieusement écho à la première, demandent un très grand savoir-faire autant en ce qui concerne la mise en place que l’équilibre sonore. Les possibles sceptiques auront été confondus : Payare nous offre en début de concert un Conte-poème coupé au scalpel, avec un vrai sens de l’architecture et des contrastes en clair-obscur avec une alchimie sonore presque irréelle.

Mais il y a plus. L’essentiel, en fait : la spontanéité. Au-delà de la simple exécution (faire jouer les bonnes notes aux bons moments), toute musique est parcourue de subtils mouvements de flux et de reflux s’inscrivant dans une hiérarchisation bien comprise du temps musical.

C’est le sel de toute interprétation. Et cela ne se calcule pas. Cela se vit. D’où, pour les plus grands musiciens, des interprétations qui ne sont jamais fixées, qui changent au gré des humeurs, des partenaires sur scène, de la nature du public, etc.

PHOTO ANTOINE SAITO, FOURNIE PAR L’OSM

Le nouveau chef de l’Orchestre symphonique de Montréal, Rafael Payare, est issu du programme vénézuélien d’éducation musicale El Sistema.

C’est peut-être là la plus grande différence entre Nagano et Payare. Là où le premier avait tendance à préméditer — magnifiquement, il va sans dire — ces subtiles inflexions du texte musical, le second les ressent dans l’instant. On le constate dans l’accompagnement orchestral du Concerto pour piano en do mineur no 24 de Mozart. Les tempos choisis dans les trois mouvements sont plutôt conservateurs : un Allegro initial qui n’a rien de trop excité, un Larghetto bien assis et un Allegretto final plutôt posé. C’est la souplesse des phrasés et la qualité de présence des différentes entrées qui rend la musique si expressive.

La suite Ma mère l’Oye de Ravel (dans sa version courte) est un autre exemple de cette magie qui opère. Le chef laisse couler les choses, mais c’est lui qui contrôle les vannes : les paysages musicaux se succèdent les uns après les autres dans une constellation de couleurs, qui sont la preuve d’une qualité d’écoute exceptionnelle de la part tant du chef que des musiciens.

Ce sens de la complicité est à son zénith dans le concerto de Mozart. Le nouveau directeur musical et le pianiste Charles Richard-Hamelin semblent évoluer comme un seul organisme. Ce qui n’empêche pas chacun de faire entendre sa propre voix. Aux interventions orchestrales musclées répond un piano tout en dentelles (soulignons l’intéressante cadence composée par l’interprète pour le premier mouvement, parcourue d’agréables surprises harmoniques).

Le conte de fées ne fait que commencer. Et nous réserve à coup sûr d’exaltantes rencontres !

Le concert est offert jusqu’au 2 février.

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