L’industrie québécoise de la musique, qui présente son premier gala mercredi, souffre de la pandémie avec l’arrêt des spectacles. Les ventes de disques baissent encore, mais les revenus tirés des plateformes d’écoute en continu augmentent. Décryptage d’un milieu qui, COVID-19 ou pas, est en mutation depuis 20 ans.

Mesurer le succès

Les modèles anciens ne tiennent plus. Entre les ventes de disques, le rayonnement sur les réseaux sociaux, l’écoute en continu et les concerts, le succès ou le « rendement » d’un artiste est de plus en plus difficile à évaluer. « Le seul indicateur sonnant et trébuchant, c’est le spectacle », estime Solange Drouin, directrice générale de l’ADISQ.

Ventes en baisse

Sans grande surprise, les ventes d’albums physiques et numériques continuent de baisser : il s’en est vendu 1,2 million, selon des chiffres l’Institut de la statistique du Québec qui datent du 1er octobre 2020. Il s’agit d’une baisse de presque 42 % par rapport à la même date l’an dernier. Les ventes de disques, qui chutent depuis plus de 15 ans, demeurent-elles un indicateur fiable de l’état de santé de l’industrie de la musique ? « On en vend – on vendait – quand même 3 millions [par an] et pour certains artistes, c’est encore important », souligne Solange Drouin, citant notamment Alexandra Stréliski, qui a vendu 80 000 exemplaires de son album Inscape. Il reste que l’impact réel de cette baisse est dilué dans un monde où, de manière générale, ce n’est plus la principale source de revenus des artistes et de leurs producteurs.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La directrice générale de l’ADISQ, Solange Drouin

Spectacles : la catastrophe

L’arrêt quasi total des spectacles depuis le mois de mars a un impact majeur sur l’industrie québécoise de la musique. Ses entreprises tirent désormais entre 50 % et 60 % de leurs revenus de cette activité, précise Solange Drouin, s’appuyant sur une évaluation faite en 2018-2019 par la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). Les artistes ne sont pas les seuls à en faire les frais : les musiciens accompagnateurs, les techniciens de scène, les salles de spectacles et leurs employés sont bien sûr aussi touchés. « Le coup que ça donne, insiste-t-elle, c’est énorme. »

Hausse des revenus numériques

Geneviève Côté, chef des affaires du Québec à la SOCAN, une société de gestion et de redistribution de droits d’auteurs, constate que les revenus en provenance des plateformes numériques comme Spotify et Netflix (dans le cas des compositeurs « à l’image ») suivent une courbe ascendante et représentent désormais environ 39 % des revenus de l’organisme. « Ce n’est pas rien », admet-elle. Or, elle souligne que ça ne compense pas du tout pour ce que l’industrie québécoise a perdu par rapport à l’époque où le modèle s’appuyait sur un disque dont la vente soutenait non seulement les créateurs, mais aussi les producteurs, les distributeurs et les détaillants.

PHOTO ÉRICK LABBÉ, LE SOLEIL

Geneviève Côté, chef des affaires du Québec à la SOCAN

Concentration des revenus

L’augmentation de l’écoute de musique en continu accentue un effet qui existait déjà : les artistes les plus populaires accaparent la majeure partie des revenus. « Il y a beaucoup de gens qui ont gagné très peu [en droits d’auteur] », précise Geneviève Côté, s’appuyant sur une étude de la SOCAN réalisée il y a deux ans. Le montant moyen de redevances reçues par les ayants droit s’établissait alors à quelques dizaines de dollars – environ 67 $ par an. Les revenus tirés des plateformes de diffusion de musique deviennent « de plus en plus intéressants », convient Solange Drouin. « Mais quand tu le divises par artiste et par investissement par artiste, observe-t-elle, ce n’est pas rentable. » Les modèles d’affaires des différents services de musique en continu divergent, mais il est estimé qu’elles ne versent qu’une fraction de cent pour chaque écoute (moins de 0,005 $, en général).

L’enjeu de la découverte

Le répertoire accessible aux utilisateurs de services de diffusion de musique en continu est gigantesque. La mise en valeur du contenu local représente un enjeu majeur. Est-ce que la géolocalisation pourrait permettre à ces services d’adapter leurs pages d’accueil, leurs suggestions et leurs palmarès au marché où se trouve un auditeur en particulier ? « Rien n’empêcherait un service comme Spotify de mettre plus de contenu canadien dans ses playlists [proposées aux auditeurs canadiens], croit Solange Drouin. On pourrait forcer ces plateformes à mettre un pourcentage X de contenu local. » Comme Geneviève Côté, de la SOCAN, elle attend impatiemment un projet de loi fédéral prévu cet automne qui devrait forcer les Spotify et YouTube de ce monde à verser des redevances dans un fonds servant à financer du contenu canadien et sa « mise en valeur ».

67 $

Redevances moyennes reçues par les ayants droit inscrits à la SOCAN en 2019

200

Nombre approximatif de disques québécois francophones parus depuis le début de la pandémie

- 51 %

Au 1er octobre 2020, il s’était vendu moitié moins de disques sur supports physiques que l’an dernier.