Aussi régulier qu’un métronome, Francis Cabrel lance vendredi son 14e album, au terme d’un habituel intervalle de cinq ans avec son disque précédent. Sur À l’aube revenant, celui qui, depuis 40 ans, chante l’amour, l’histoire ou ses préoccupations sociales, rend hommage aux troubadours, ces « rock stars du Moyen Âge », et, par le fait même, à son pays, l’Occitanie. Fidèle à ses multiples facettes, il chante aussi pour son père, pour l’environnement, et rend encore une fois hommage au rock américain qui ne cesse de l’inspirer.

Il n’est pas difficile de saisir le lien entre les troubadours et Francis Cabrel. Il y a évidemment la musique, la poésie, la chanson d’amour. Il y a aussi l’Occitanie, la région natale de Cabrel, dans le sud de la France, là où les premiers troubadours sont apparus, vers le XIe siècle.

Alors, quand le musicien occitan Claude Sicre lui a offert des livres sur la poésie des troubadours, qu’il appelle les « rockstars du Moyen Âge », Francis Cabrel a été interpellé. « Ça m’a touché parce que j’avais enfin la porte d’entrée pour parler de mon pays, ce magnifique pays du Sud, qui a une longue histoire presque d’autonomie par rapport au nord de la France », nous explique le chanteur, au bout du fil.

Il tenait ainsi le filon de son prochain album. Rockstars du Moyen Âge est devenu le titre d’une chanson, que Cabrel et Sicre ont écrite ensemble et sur laquelle il chante en occitan. Le sujet inspire quelques autres morceaux, dont la pièce titre, À l’aube revenant.

Finalement, l’album est imprégné de cette inspiration initiale du début à la fin, mais s’ouvre sur plusieurs autres thématiques. « Je ne suis pas allé au bout parce que je devais écrire un album complet sur [les troubadours] et leur œuvre, mais je me suis un peu épuisé au bout de la cinquième chanson », confie Francis Cabrel.

Ce qui se crée en cinq ans

La genèse de l’album remonte à il y a deux années environ, à mi-chemin dans cet entracte de cinq ans que Francis Cabrel s’accorde entre ses parutions. C’est le même cycle depuis Sarbacane, sorti en 1989. Et depuis Sarbacane, le processus créatif durant ces cinq années reste à peu près le même, indique le musicien. « Pendant deux ans, je récolte des idées, j’écris constamment, mais je m’arrête au bout de trois lignes et je me dis qu’un jour, je prendrais le temps pour développer, dit-il. Et les trois dernières années, c’est de l’écriture quotidienne. Je me concentre sur ces petits bouts d’idées, ces petites bribes, et j’essaie d’en faire des chansons. »

Quand le sujet des troubadours s’est essoufflé, il a rouvert ses horizons pour finalement composer un album aux thèmes aussi larges que le reste de son répertoire. « J’ai écrit 15-16 chansons pour ce disque, et il y en a 13 à l’arrivée », dit-il.

Au mois d’août, il a publié le premier extrait de ce nouveau disque, la pièce Te ressembler (dont le vidéoclip est sorti mercredi). Elle s’adresse à son père disparu, rend hommage à son parcours, à son dur labeur, à ses valeurs dont le fils a hérité, mais aussi à l’amour qui ne s’exprimait pas dans les gestes ou les mots. « Pourquoi maintenant ? Parce que je n’ai jamais osé avant, confie Francis Cabrel. Parce qu’après, ça va être trop tard. Un jour ou l’autre, ça va être trop tard […], il peut arriver n’importe quoi dans la vie. »

J’aurais regretté de ne pas avoir parlé de façon assez directe de mon père, de celui qui m’a montré comment il fallait vivre.

Francis Cabrel

Sur le morceau, une trompette mime l’intonation de la voix tout au long, tandis que la cadence entraînante des guitares et de la batterie emprunte sa saveur aux rythmes latins. On est en terrain inconnu pour du Francis Cabrel. « Justement, je voulais sortir de mes habitudes, indique-t-il. Je voulais une musique un peu joyeuse, parce que je savais que le thème était grave, sentimentalement assez marqué. »

L’importante écologie

Te ressembler est, musicalement, l’exception de l’album, sur lequel on retrouve Francis Cabrel comme on le connaît. Sur ses mélodies, de la ballade au folk acoustique en passant par le blues, le chanteur du Lot-et-Garonne parle de son héritage, donc, mais aussi de ce que la génération actuelle laisse en héritage à la future, soit une planète « dans un état désastreux ». Le titre Jusqu’aux pôles aborde ainsi l’écologie, sans que ce soit frontal, mais avec un message clair.

Extrait Te ressembler

« Je pense que c’est [un thème] vital, primordial, commente Francis Cabrel. Je voulais au moins mettre le sujet sur la table. Dans la forme, la chanson permet d’alléger le propos. Ce n’est pas un discours politique ni savant sur l’écologie, mais j’en parle, avec un brin d’ironie, et ça reste musical. »

En 14 albums, le chanteur a déjà effleuré le thème de l’environnement (L’arbre va tomber), comme plusieurs autres sujets sociopolitiques, de l’immigration (Saïd et Mohammed, par exemple) à la dérive politique (Dur comme fer). Un musicien engagé, Francis Cabrel ? « Je dis toujours que je suis plus préoccupé qu’engagé, répond-il. Je ne veux pas que mes chansons soient juste des chansons d’amour. J’ai voulu que mon répertoire reflète ma vie. Et ma vie, ç’a été des inquiétudes sur plein de thèmes, des observations, des intérêts. »

Le chemin des très grands artistes

Parlant d’intérêts, ce grand passionné de la musique de Bob Dylan, de Leonard Cohen et de Neil Young, qui leur a rendu hommage (et à quelques autres) à maintes reprises, s’est cette fois penché sur une pièce du chanteur folk bostonien James Taylor, Sweet Baby James. « J’ai rencontré James Taylor il y a 15 ans et j’avais déjà fait une adaptation de son répertoire, raconte Cabrel. Il m’a dit : “Un jour, si tu peux, adapte Sweet Baby James.” J’ai mis tout ce temps à trouver une façon de la chanter sans traduire le texte américain, qui a des références 100 % américaines et qui est incompréhensible pour un Européen. Avec sa permission, je me suis éloigné du texte pour faire une histoire à ma façon. »

Lorsqu’il parle de ces musiciens nord-américains qu’il admire et qui l’influencent, le Français souhaite se trouver sur le même chemin que ces « très grands artistes et faiseurs de chansons » et « suivre leur voie ». Quant à la voie que lui-même ouvre depuis 40 ans, accrochant au fil du temps plusieurs générations, il la considère avec humilité. Questionné sur l’ampleur et l’impact de son œuvre, il se dit toujours surpris de la portée de sa musique, avoue ne jamais avoir vraiment trop analysé « ce qui [lui] est arrivé ».

« Quand j’ai fait mon premier album, j’avais seulement dans l’idée de peut-être en faire un second. Et après le second, peut-être un suivant, etc., dit-il en riant. Je n’ai eu aucun plan de carrière, chaque fois. Une chose qui est constante chez moi, c’est que quand je finis un disque, je n’ai plus aucune chanson dans mes tiroirs. Chaque fois que j’écris quelque chose, c’est ce qui m’est arrivé en deux, trois ans. C’est peut-être une façon de rester dans l’air du temps. »

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

À l’aube revenant

Francis Cabrel. À l’aube revenant. Sony Music. Sortie le 16 octobre.