Le statut de monstre sacré est rare. Ainsi, quand certains d’entre eux se rencontrent, le moment a l’obligation formelle d’être immortalisé.

Cet instant précieux, nous y avons droit avec la réunion de Diane Dufresne et d’Armand Vaillancourt pour les besoins d’une vidéo conçue autour de Comme un damné, de Cyril Mokaiesh, une chanson que l’on retrouve sur le plus récent disque (Meilleur après) de la plus marginale de nos interprètes.

À ces 3 minutes et 56 secondes de pur bonheur, il faut ajouter la présence du danseur des Grands Ballets Célestin Boutin. Les mouvements de ce dernier ont été imaginés et dirigés par Ivan Cavallari, chorégraphe et directeur artistique de la compagnie.

Avec tous ces éléments réunis, vous comprendrez que nous sommes plus près de la vidéo d’art que du clip tel qu’on le concevait à l’époque de feu MusiquePlus.

De la beauté ! Il n’y a que de la beauté dans cette œuvre vidéographique qui est une réponse magnanime à la réflexion que nous avons collectivement eue le printemps dernier sur la place et la parole que nous offrons aux personnes âgées.

Quand j’ai dit cela à Diane Dufresne, elle n’a pas dissimulé sa joie. « C’est exactement ça, dit-elle. J’ai 76 ans et Armand Vaillancourt en a 91. On est âgés, on est des doyens, mais on existe au temps présent, pas juste au passé. On est dans le nouveau. »

Il est temps qu’on se dise que les vieux représentent aussi l’avenir. Ils sont ce qui va arriver et ce qui est.

Diane Dufresne

Pandémie oblige, j’ai dû m’entretenir avec ces deux « sacrés monstres » au téléphone. J’ai joint Armand Vaillancourt alors qu’il se trouvait dans sa maison de Plessisville. Interviewer cet artiste n’est pas une mince tâche. Il vaut mieux laisser tomber les questions et accepter de simplement jaser avec lui.

« Je ne connais pas la peur, dit-il. J’ai voyagé partout dans le monde, à Harlem, à Chicago. J’ai dormi sur des bancs de parc. Même à Montréal, je n’ai pas peur. Ça ne me dérange pas de sortir la nuit. Si un gars m’attaquait, je lui dirais : ‟bonne chance, mon homme !” Encore aujourd’hui, je suis comme un tigre. »

L’artiste et militant nonagénaire refuse de s’asseoir (il veut se faire enterrer debout dans un linceul). Il m’a raconté dans un même souffle, entrecoupé de quelques jurons bien sentis, mille et une histoires. « Avec mon voisin, on a écrit dans le champ le mot ‟BIO » avec 150 ballots de foin. Chaque lettre faisait environ 50 pieds de long. Un drone est venu photographier ça. »

Vaillancourt n’a pas le temps de me dire à quoi va servir cette opération. Il avait trop hâte de passer à un autre sujet. Créer, dire des choses, faire avancer les choses, tout cela fait encore partie de la vie du peintre et du sculpteur. Mais comme l’homme sait qu’il n’est pas éternel, il y a en lui une urgence d’agir.

« Il est incroyable, dit Diane Dufresne. Il est toujours en train de créer. Son cerveau n’arrête pas. Durant le tournage, il m’a amenée voir le lit qu’il s’était fabriqué pour se reposer dans un coin du studio. Ce n’était pas un lit, c’était une performance. Il m’a dit : ‟Comme ça, je peux somnoler. Et quand je vais me réveiller, je vais me dire que je fais une vidéo avec Diane Dufresne.” Tout ce qu’il touche devient une œuvre. »

Sur le plateau de Comme un damné
  • Armand Vaillancourt et Diane Dufresne ont travaillé ensemble pour créer une vidéo pour la chanson Comme un damné.

    PHOTO CAROLE DUFRESNE, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    Armand Vaillancourt et Diane Dufresne ont travaillé ensemble pour créer une vidéo pour la chanson Comme un damné.

  • Armand Vaillancourt et Diane Dufresne sur le plateau de tournage

    PHOTO CAROLE DUFRESNE, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    Armand Vaillancourt et Diane Dufresne sur le plateau de tournage

  • Diane Dufresne dans sa loge

    PHOTO CAROLE DUFRESNE, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    Diane Dufresne dans sa loge

  • La vidéo de 3 minutes et 56 secondes est « plus près de la vidéo d’art que du clip tel qu’on le concevait à l’époque de feu Musique Plus », écrit notre chroniqueur.

    PHOTO CAROLE DUFRESNE, FOURNIE PAR LE CENTRE D’ART DIANE-DUFRESNE

    La vidéo de 3 minutes et 56 secondes est « plus près de la vidéo d’art que du clip tel qu’on le concevait à l’époque de feu Musique Plus », écrit notre chroniqueur.

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Produite par Nicolas Lemieux (GSI Musique), cette vidéo a été réalisée par Patrick Péris. Ce dernier, qui en est à sa seconde collaboration avec la chanteuse, est arrivé au studio des Grands Ballets avec un plan de travail. Mais il a vite compris qu’en face de créateurs comme Vaillancourt, Dufresne et Cavallari, il devait aussi faire preuve d’écoute.

Armand Vaillancourt est arrivé avec sa voiture remplie d’objets et d’accessoires. Il a sorti tout cela. Ce fut un beau terrain de jeu. Ils avaient plein d’idées. Ces artistes sont des électrons libres. Il faut savoir les suivre. Je l’ai fait en me disant que j’étais privilégié de travailler avec eux.

Patrick Péris, réalisateur de la vidéo

Cette chanson, telle que vue dans la vidéo, parle du désir d’une femme pour un homme. Au cœur de cette passion, il y a un jeune éphèbe « beau comme un damné », comme le dit Diane Dufresne. Célestin Boutin et Armand Vaillancourt symbolisent la beauté masculine, chacun de leur pôle, chacun avec leur bagage de vie.

« Montrer le désir d’une femme de 76 ans pour un homme de 24 ans, ça demeure de l’onirisme, dit Diane Dufresne. Je voulais aller plus loin. C’est là que j’ai eu l’idée d’inclure Armand Vaillancourt qui est, à mon avis, l’un des plus beaux hommes qui soient. »

Célestin Boutin est-il l’alter ego, en plus jeune, d’Armand Vaillancourt ? Est-ce que les deux hommes représentent les fantasmes d’une même femme ? Les créateurs refusent de répondre à cette question, préférant laisser aux spectateurs la liberté qui leur revient.

On est en train de bannir les hommes en ce moment. Je voulais aussi dire qu’ils ne sont pas tous pareils, qu’ils ont une sensualité, une sensibilité.

Diane Dufresne

Le travail d’Ivan Cavallari et du danseur Célestin Boutin est un atout majeur pour cette vidéo. « On a travaillé sur la force, la vitalité et la sensualité, explique le chorégraphe. Oui, il est question de notre rapport avec la jeunesse, mais aussi de ce que l’humain peut offrir à toutes les étapes de sa vie. »

Diane Dufresne et Armand Vaillancourt ne sont pas des amis dans la vie. Mais l’admiration qu’ils se vouent mutuellement est sans borne. « Durant le tournage, il m’a fait un chapeau, relate Diane Dufresne. Je le voyais faire et je n’en revenais pas. Je crois que je n’ai jamais ri comme ça dans ma vie. À la fin de la journée, il m’a demandé si j’étais fatiguée. Il est grandiose. C’est un maître. »

De son côté, Armand Vaillancourt voit chez Diane Dufresne une sorte d’âme sœur. « On ne peut faire autrement que d’admirer son courage, sa détermination et sa volonté. Je lisais des textes biographiques la concernant et je me disais : ‟Sacramant qu’elle en a vécu, des choses, cette fille-là !” »

Les grands personnages de l’histoire moderne du Québec sont précieux. Diane Dufresne et Armand Vaillancourt en font partie. Une vidéo les a réunis. Et nous rappelle qu’ils continuent d’exister. Comme des damnés.

Voyez la vidéo

Dans les yeux de ma sœur

La production de cette vidéo donne lieu à une exposition de photographies de Carole Dufresne (sœur de Diane). Intitulée Dans les yeux de ma sœur, l’exposition montre l’artiste en plein travail lors du tournage ou dans sa loge, un antre auquel peu de gens ont accès. On peut également voir une vidéo de la performance qu’Armand Vaillancourt a réalisée durant les prises de vue.

Dans les yeux de ma sœur, du 25 septembre au 11 avril 2021, au Centre d’art Diane-Dufresne

Consultez la page de l’exposition