Ils sont cinq jeunes artistes à l’aube de leur carrière, qui ont décidé de ne pas reculer devant la pandémie et de lancer quand même un premier album cet automne.

« À un moment donné, il faut que les choses se passent. Pandémie pas pandémie, le monde écoute des albums encore, et la musique enregistrée, on est chanceux, on peut se permettre de la partager. »

Raphaël Bussières lancera le 18 septembre son premier album solo, Bunny, sous le nom d’artiste de Lucill. C’était déjà la date prévue avant la pandémie, et si l’éventualité d’en retarder la sortie a été envisagée par sa maison de disques, Coyote Records, lorsque tout s’est arrêté en mars, le cap a été maintenu. Et le musicien est aussi content que soulagé.

« Je voulais sortir ça parce que tant que les tounes ne sont pas sorties, tu te ramasses avec. Et arrive un moment où tu veux juste qu’elles ne t’appartiennent plus pour passer à autre chose. »

Même si les spectacles n’ont pas vraiment recommencé et que la situation reste incertaine dans le milieu de la musique, l’important est d’aller de l’avant, croit le chanteur.

Au moins, l’album va être lancé et on va avoir l’impression qu’il se passe quelque chose.

Raphaël Bussières, alias Lucill

Sophia Bel avait également « besoin que ça sorte ». Elle lancera en novembre, avec la maison de disques Bonsound, son deuxième EP, Princess of the Dead Vol. 2, après en avoir produit un premier de manière indépendante il y a un an et demi. La production de ce nouveau mini-album a été interrompue au début de la pandémie, et la sortie qui devait avoir lieu au début de l’été a été retardée à novembre. Mais il n’était plus question d’attendre.

« Il faut avancer, parce qu’il y a autre chose qui va vouloir sortir après. » Est-ce une bonne idée ou non de sortir un album pendant la pandémie ? L’autrice-compositrice-interprète préfère « ne pas trop réfléchir » à ce genre de considération.

« Normalement, je fais avancer les choses au rythme où je suis capable, et ça sort quand c’est prêt. Il va toujours y avoir d’autres tounes. Et quand ce sera un meilleur moment, sans COVID, et qu’on pourra faire des spectacles, on aura d’autres contenus. »

Arrêter d’attendre

Zach Zoya aussi devait lancer son premier EP, Spectrum, au début de l’été. « Tout était prêt depuis février, le visuel, les clips, on était prêts pour faire le tour de la province en promo et en spectacle cet été. »

La COVID-19 en a décidé autrement, mais même si la pandémie n’est pas terminée, il a décidé avec son équipe de plonger malgré tout.

« Quand on a compris que ça n’allait pas juste être un petit truc pendant deux mois avant de revenir à la normale, on a fait OK, on n’a pas pu le sortir maintenant, mais ça va être la merde pendant un bon moment, alors c’est pas grave, on y va. »

L’album verra donc le jour cet automne — la date n’est pas arrêtée encore — parce qu’à un moment donné, « il faut arrêter d’attendre ».

On cherche toujours le parfait moment en tant qu’artiste, ce qui marche avec toi, ton momentum. Mais des fois tu n’es juste pas synchro, alors il faut pousser.

Zach Zoya

Pour l’instant, savoir que ses chansons seront enfin entendues le satisfait amplement. « C’est pour ça que mon sentiment de déception n’a pas duré longtemps. Je suis un petit gars de Rouyn qui fait du rap, je suis à une place où je n’aurais pas pensé être. Je ne peux pas me plaindre. »

À retardement

Bien sûr, les spectacles manquent à Zach Zoya, et il aurait préféré un lancement explosif pour son EP. Tout comme le groupe Comment Debord, qui a sorti la semaine dernière son premier album éponyme : si les sept musiciens ont eu droit à un lancement devant public mercredi au Village Au pied du courant, organisé par leur maison de disques, Audiogram, ils ne vivront jamais « l’expérience ultime » rêvée.

« On va le vivre à retardement quand les spectacles reprendront », dit le batteur Olivier Cousineau. Mais la sortie de l’album, qui était prêt à 95 % au début du confinement, elle, n’a pas été retardée. « Avec le label, on s’est dit que le monde avait envie d’entendre des nouveautés même si les gens ne peuvent pas aller voir de spectacles », dit le chanteur et parolier de Comment Debord, Rémi Gauvin.

Malgré toutes les incertitudes de l’automne, les membres des Comment Debord sont loin d’être découragés.

On va le faire pareil et on va essayer d’aller chercher the best out of it.

Rémi Gauvin, chanteur et parolier du groupe Comment Debord

Le chanteur explique que le groupe travaillait sur ces chansons depuis quatre ans dans certains cas. L’album est donc l’occasion de « cristalliser » son début de carrière et de passer à une autre étape. « On retourne en chantier et on a hâte, dit Olivier. On n’arrête pas d’en parler. »

C’est le cas de tous les autres artistes. Après avoir été un peu bloquée au début du confinement, Sophia Bel a recommencé à écrire et a « hâte au prochain album ». « Il faut déjà que je fasse un tri dans mes idées », dit-elle, alors que Raphaël Bussières est « déjà en train de composer le deuxième ». Zach Zoya, lui, est retourné en studio et promet un autre EP dans peu de temps, « for sure à 100 % ».

Philosophie

Ce qui est certain, c’est que la pandémie aura appris aux jeunes artistes à faire preuve d’imagination et d’une grande capacité d’adaptation. « On n’a pas le choix de se rouler les manches, parce que peut-être que ça ne reviendra jamais à la normale », dit Zach Zoya.

« Ça oblige à se backer davantage », constate Raphaël Bussières.

Tous prennent la situation avec philosophie : la vie continue, rappelle Rémi Gauvin, de Comment Debord, « les gens vont travailler de plus en plus et tout recommence tranquillement ».

« Si on n’a pas vécu l’expérience totale du premier album, on va garder ça pour le deuxième, en espérant qu’on ne sera pas rendu à la troisième ou quatrième vague ! », lance le chanteur.

L’idée que leurs chansons accompagnent les gens pendant la pandémie, et même qu’elles soient associées à cette période, ne leur déplaît pas non plus.

« Notre propos est porteur d’espoir et, dans le contexte où les gens sont plus isolés et fragiles, si ça peut faire du bien à du monde, tant mieux », soutient Rémi Gauvin. Sophia Bel aime bien que ses chansons puissent être « thérapeutiques » en ces moments difficiles. « Ça peut créer un lien plus fort avec la musique. »

« À la limite, c’est cool, dit Raphaël Bussières. C’est un moment marquant de l’histoire et nous, on a sorti notre premier album à ce moment-là. Il y a de quoi de poétique là-dedans. »

De nouveaux visages

Zach Zoya

À 22 ans, Zach Zoya est l’une des vedettes montantes du rap anglo. Après un mini-album en collaboration avec High Klassified, il lancera son premier EP cet automne avec 7e ciel et Universal. Le rappeur originaire de Rouyn-Noranda se définit comme un « songwriter », mais même s’il adore « trouver des rimes et des mots percutants », il estime que son meilleur atout est sa voix. « J’ai un amour pour le chant. Tous mes raps sont basés sur une mélodie. Je fais rarement du slam ou du spoken word et j’utilise ma voix comme un instrument. »

Comment Debord

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Rémi Gauvin et Olivier Cousineau, de Comment Debord

Comment Debord, c’est quatre gars et trois filles qui se sont « agglutinés » d’un projet à l’autre, et qui « essaient de groover le plus possible », dit le chanteur et parolier Rémi Gauvin. « Il y a un côté très convivial, comme un souper entre amis dans un appart dans Rosemont », ajoute le batteur Olivier Cousineau. Né il y a quatre ans, le groupe s’est fait les dents dans différents concours, et propose un rock léger aux tendances seventies et à la poésie vernaculaire. « C’est très queb et c’est assumé. Ça fait partie de notre identité. »

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Sophia Bel

En avril 2019, Sophia Bel lançait son premier EP de manière indépendante, alors que celui qui sortira en novembre sera sous étiquette Bonsound. « Ça fait du bien de ne plus devoir tout micromanager. Mais je voulais vraiment établir ma direction artistique avant de m’associer à un label. » L’autrice-compositrice-interprète, qui est née aux États-Unis et qui a grandi à Québec, distille une pop alternative très bien faite. « J’ai toujours eu une influence pop. J’aime le jazz, l’électro, mais la pop, c’est mon fil directeur. »

Lucill

Si Lucill, son nom d’artiste, a été choisi un peu au hasard, ce projet solo né il y a un an est très sérieux. « C’est la première fois que je me vois sur un avenir plus long », dit le musicien de 32 ans, qui sort d’un « parcours intense » avec le groupe Heat. « J’étais écœuré d’être en groupe. Je voulais mener mes affaires comme je l’entendais et écrire en français aussi. Je voulais repartir à neuf. » Raphaël Bussières combine ainsi ses influences musicales britanniques avec le songwriting québécois, dans une recherche de simplicité et d’introspection fort réussie.