Les façons de faire de l’art ont été bousculées par la pandémie, qui a volé aux artistes beaucoup de leurs outils, mais a aussi stimulé leur créativité. En matière de vidéoclip, les derniers mois ont vu naître toutes sortes de concepts inusités, témoins d’une inventivité sans limites. Survol.

Alors que le monde venait d’entrer en confinement, que les tournées et les festivals étaient annulés les uns après les autres, Drake a dévoilé les images accompagnant son dernier titre, Toosie Slide. On y voit d’abord les rues désertes de Toronto, puis une visite guidée et dansée d’une partie du manoir du rappeur. Confinement et distanciation physique obligent, Drake est seul dans son vidéoclip, tourné à la maison.

Voyez le clip de Drake en entier

C’était au début du mois d’avril. Depuis, Justin Bieber et Ariana Grande, John Legend, Weezer, Charlie XCX et bien d’autres ont présenté leur propre vidéoclip « maison ». Le médium a été revisité sous toutes sortes de formes.

Les Cowboys Fringants ont été parmi ceux qui ont plutôt lancé un appel à leurs admirateurs. Les coloriages des centaines de personnes qui y ont répondu ont été assemblés pour former le clip de Sur mon épaule. Dans Le king de la danse en ligne, de Bleu Jeans Bleu, des images de fans dansant sur la chanson ont été mises bout à bout.

Voyez le clip des Cowboys Fringants en entier

Dans la même veine, le Québécois Fuso a voulu illustrer la « tombée des barrières » due à la similarité des expériences sur la planète pendant le confinement. « J’ai parlé à mon réalisateur [Mike Raymond], qui, comme moi, a voyagé partout dans le monde, et on a invité des amis, des amis d’amis, à se filmer sur la chanson », raconte le chanteur, au bout du fil.

> Voyez le clip de Fuso en entier

Des gens de dizaines de pays différents, de tous les continents, sont réunis dans le vidéoclip. « On n’a eu besoin d’aucun équipement, à part un ordi pour faire le montage à la fin », affirme Fuso, qui se réjouit d’avoir fait éclore de la crise une création rassembleuse.

Le clip confiné de Katy Perry

D’autres artistes ont plutôt eu recours à l’animation. Comme Dua Lipa, avec Break My Heart. C’est aussi le cas de Katy Perry, pour le vidéoclip de sa chanson Daisies, réalisé par le studio québécois Vallée Duhamel.

PHOTO FOURNIE PAR VALLÉE DUHAMEL

Julien Vallée et Ève Duhamel, du studio Vallée Duhamel

La requête leur a été lancée alors que le confinement avait déjà commencé, nous expliquent Julien Vallée et Ève Duhamel, joints par téléphone. « Dès le départ, on a eu à imaginer ce qui pouvait se faire dans les circonstances », dit Julien.

Le duo, qui a fondé son studio en 2013, avait l’ambition d’essayer l’animation 2D depuis longtemps. Quand on leur a demandé un pitch pour le nouveau clip de Katy Perry, en leur donnant carte blanche, ils ont sauté sur l’occasion. Et c’est leur proposition qui a été retenue par la compagnie de disque de la chanteuse, Capitol Records.

Voyez le clip de Katy Perry en entier

Un projet de cette ampleur aurait dû nécessiter plus de 10 semaines. Les Québécois n’en avaient que quatre pour cette toute première expérience susceptible de leur ouvrir de nombreuses portes. Le travail s’est fait à distance, bien sûr, mais aussi dans plusieurs fuseaux horaires différents, demandant une coordination toute particulière. Vallée Duhamel a conçu le vidéoclip en collaboration avec les équipes de production et de création de Katy Perry, établies à Los Angeles, et 35 animateurs d’un studio situé à Buenos Aires. La productrice, elle, se trouvait à Amsterdam, tandis que leurs collaborateurs pour la conception des décors étaient à Barcelone.

« On s’est partagé les fuseaux horaires, Ève et moi : l’un qui travaillait plutôt de jour, l’autre de nuit, pour ne rien manquer », indique Julien.

Le travail a été très fluide, malgré la distance. « Zoom et Slack ont été notre vie pendant ces quatre semaines ! », lance Julien. Surtout, les deux artistes en tirent une expérience qu’ils n’auraient pas pu vivre sans les contraintes du confinement. « Ç’a été un retour aux sources, avec juste nous deux à la conception, comme à nos débuts », soulève Ève.

« En temps normal, on n’aurait pas autant mis la main à la pâte, affirme Julien. On s’est mis à dessiner plus que jamais. Pour montrer aux animateurs comment on voulait que la caméra bouge, on faisait des maquettes. On a appris à utiliser un logiciel 3D pour mieux exprimer les angles qu’on avait en tête. On sort finalement de cette expérience avec plus d’outils. »

Revoir le tournage

Le DJ montréalais Christophe Dubé, alias CRi, fera paraître à la fin du mois son vidéoclip pour la chanson Never Really Get There, une collaboration avec Jesse Mac Cormack. Les images ont été tournées au mois d’avril par sa sœur, la cinéaste et réalisatrice Alexa-Jeanne Dubé.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le DJ CRi (Christophe Dubé, à droite) et sa sœur, la réalisatrice Alexa-Jeanne Dubé, sortent à la fin du mois un vidéoclip tourné au mois d’avril, en plein confinement.

Pas de studio ni de grande équipe, mais plutôt un concept adapté à la pandémie, tant dans le fond que dans la forme. « J’avais l’idée depuis longtemps de filmer des gens à travers les fenêtres de chez eux, mais c’était quelque chose à développer, affirme CRi. J’ai appelé ma sœur et elle a vraiment créé une histoire. »

Assis côte à côte lors de notre entretien par visioconférence, Christophe et Alexa-Jeanne expliquent que le vidéoclip fait écho à la situation provoquée par la crise sanitaire, sans nécessairement être un « clip de confinement ». Après que la première tentative de vidéoclip pour sa chanson, avec un autre réalisateur, n’a pas fonctionné, CRi a trouvé le plan B parfait. Les artistes ont pu tirer avantage d’une situation a priori moins qu’idéale.

« J’ai lancé un appel sur Facebook et Instagram pour des gens avec de grandes fenêtres, explique Alexa-Jeanne. Le casting s’est fait comme par magie, […] les neuf personnes qu’on a choisies, des acteurs connus et quelques non-acteurs, sont toutes venues à moi. Et personne n’avait d’indisponibilité. »

  • Image du tournage du clip de CRi

    PHOTO ÉMILIE MERCIER, FOURNIE PAR CRI

    Image du tournage du clip de CRi

  • Image du tournage du clip de CRi

    PHOTO ÉMILIE MERCIER, FOURNIE PAR CRI

    Image du tournage du clip de CRi

  • Image du tournage du clip de CRi

    PHOTO ÉMILIE MERCIER, FOURNIE PAR CRI

    Image du tournage du clip de CRi

  • Image du tournage du clip de CRi

    PHOTO ÉMILIE MERCIER, FOURNIE PAR CRI

    Image du tournage du clip de CRi

  • Image du tournage du clip de CRi

    PHOTO ÉMILIE MERCIER, FOURNIE PAR CRI

    Image du tournage du clip de CRi

1/5
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Le tournage a aussi été une expérience positive. Accompagnée seulement de la directrice photo Lena Mill-Reuillard, Alexa-Jeanne a capté des images des gens chez eux, en n’exploitant que leur éclairage intérieur et leur décor. Des moments « organisés, mais organiques », résume-t-elle. « Je voulais un moment où ils dansent, un moment plus nostalgique où ils regardent à l’extérieur et une scène volée du quotidien, explique la cinéaste et réalisatrice. Le fait qu’on ne soit que deux, plutôt qu’une grosse équipe, était moins intimidant pour ceux qui n’étaient pas acteurs. Il y avait cette notion d’intimité, tout était plus simple et spontané. »

« Aussi, parce que c’est ma sœur, on a une connexion quasiment métaphysique, dit Christophe, qui raconte n’avoir jamais eu un vidéoclip terminé avec autant d’efficacité et de rapidité. Je n’étais pas impliqué dans le processus, mais je savais qu’elle allait comprendre exactement ce que je voulais. Avec un autre artiste qu’elle n’aurait pas pu rencontrer, ça aurait peut-être été plus compliqué de comprendre sa sensibilité. » Contre toute attente, ajoute-t-il, « toutes les limitations ont été bénéfiques la plupart du temps ».

Peu à peu, les tournages reprennent ces jours-ci au Québec. Le confinement n’aura certes pas été facile pour les artistes qui ont voulu lancer des clips, mais il aura certainement été une période très créative.