« Alanis était habitée. » Ces paroles viennent du photographe et réalisateur franco-américain Stéphane Sednaoui. C’est lui qui a réalisé le mythique clip d’Ironic d’Alanis Morissette, diffusé pour la première fois en janvier 1996.

Stéphane Sednaoui a travaillé avec Björk, U2, Madonna et Massive Attack. Le clip de Queer de Garbage ? Le Nouveau Western de MC Solaar ? C’est lui.

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C’est comme photographe qu’il a d’abord travaillé avec Alanis Morissette. « Un an avant le clip d’Ironic, j’avais photographié Alanis à Toronto pour un portrait dans le magazine Spin, raconte-t-il. C’était pratique de faire les deux métiers. Il m’arrivait de photographier une personne avant que nous ayons même l’idée de travailler ensemble sur un clip. Cela me permettait de bien la cerner. »

Dans le clip d’Ironic, Alanis Morissette se trouve, café à la main, dans une voiture Lincoln Continental Mark V noire. Sur sa route, elle fait monter ses alter ego. « Bizarrement je me souviens aussi bien du moment précis où j’ai eu l’idée du clip que du tournage, raconte Stéphane Sednaoui. J’étais dans un taxi me ramenant de l’aéroport à New York. Ma copine était assise à ma droite. J’écoutais la chanson en boucle avec mon minidisque, une merveilleuse technologie des années 90. En croyant déceler différentes intonations dans la voix d’Alanis, mon regard se portait soit vers le conducteur, soit vers ma copine, le siège passager ou moi. C’est là que j’ai eu la vision des quatre Alanis dans la voiture. »

Quand il a écouté les paroles d’Ironic pour la première fois, le vidéaste a eu l’impression que différentes personnalités prenaient la parole. « L’aînée sérieuse au volant, la révoltée, la hippie, la petite dernière timide en jaune canari », énumère-t-il.

Le clip, vu aujourd’hui près de 150 millions de fois sur YouTube, a été tourné au nord de New York. « Je voulais de la neige », se souvient-il.

Stéphane Sednaoui a réalisé une cinquantaine de clips. Aujourd’hui, il n’en aime que la moitié, blague-t-il. Soyez rassurés, Ironic figure parmi ses « bons souvenirs ».

Je pense que le clip a bien vieilli, souligne-t-il avec raison. « Le clip marche toujours, car il n’y a aucun effet. Tout est naturel. Les films vieillissent mieux quand ils sont organiques. »

Il fallait néanmoins qu’Alanis Morissette soit disposée à se prêter au jeu devant la caméra. « J’avais photographié Alanis un an auparavant, rappelle-t-il. Je savais qu’elle pouvait [le faire]. »

« C’est pourquoi j’aimais tant travailler avec des artistes au début de leur carrière », signale Stéphane Sednaoui qui a signé des clips des premiers albums de Fiona Apple (Sleep to Dream) et Red Hot Chili Peppers (Give It Away), entre autres.

« Quand un artiste commence, il a tant à donner. Il n’est pas encore influencé par le système. Il n’est pas dans le confort. La prise de risque est sa seule raison d’être. »

Stéphane Sednaoui a par ailleurs réalisé le clip de Thank U, premier extrait de Supposed Former Infatuation Junkie, l’album qui a suivi Jagged Little Pill. Une chanson où Alanis Morissette — nue dans des lieux publics — remercie tout ce qui l’a aidée à passer à travers la période sombre qui a suivi son succès monstre. L’Inde, la désillusion, la fragilité, le silence.

L’âge d’or du clip

Les années 90, c’était l’âge d’or du clip avec des chaînes comme MTV et MusiquePlus. « C’est une époque où l’on avait énormément de liberté. Jamais une maison de disque ne me disait quoi faire », souligne Stéphane Sednaoui.

Et qu’est-ce qui fait un bon clip, selon lui ? « Le plus important pour moi est de capturer ce que la personne a voulu dire inconsciemment. Le non-dit de la chanson. Son message subliminal. Cela permet de faire se croiser de multiples lectures possibles. »