Pendant que le monde des arts est sur pause, La Presse prend des nouvelles d’auteurs, de musiciens et d’artisans qui ont vu leurs projets chamboulés par la pandémie.

Entre la mise en scène, la composition musicale, les tournées et la vie de famille à orchestrer, le printemps d’Alexia Bürger, en théâtre, et Philippe Brault, en musique, s’annonçait occupé. Le programme a changé, mais l’agenda du couple ne s’est pas pour autant vidé. Discussions sur la création en temps de confinement et sur l’avenir des arts vivants.

Leur vie était réglée comme du papier à musique. Alexia Bürger peaufinait sa mise en scène pour le spectacle J’ai cru vous voir qui devait se déployer à la mi-avril sur les planches de l’Espace Go. Philippe Brault planchait sur la musique de la pièce Lysis, coécrite par Alexia, qui s’amenait au TNM, en plus de travailler étroitement avec le chanteur Pierre Lapointe et le chorégraphe Frédérick Gravel. Leur fils de 6 ans et la fille de Philippe, âgée de 14 ans, étaient à l’école. Bref, les choses allaient bon train chez les Bürger-Brault au début du mois de mars.

Le confinement est arrivé comme une douche d’eau glacée.

Philippe Brault est revenu en catastrophe du Danemark, où il était du spectacle Some Hope for the Bastards de Frédérick Gravel. « Ma blonde m’a accueilli avec deux semaines d’épicerie et m’a dit : tu t’en vas au chalet ! Pendant cette quarantaine, j’ai pris le temps de faire de la musique juste pour le plaisir. Mais depuis, je réalise que j’ai de la misère à me concentrer longtemps sur quelque chose… »

Le musicien, arrangeur, réalisateur et concepteur sonore a pourtant encore des projets à livrer. Le premier disque francophone de Charles Lavoie, des Dear Criminals, à réaliser. La musique du film Maria Chapdelaine à créer.

Un vrai défi

Alexia Bürger, de son côté, continue de travailler sur la mise en scène d’une pièce dont la première est prévue en novembre. Elle ne peut révéler le titre – les programmations théâtrales n’ont pas été dévoilées – mais elle souligne tout de même qu’il s’agit du « plus grand défi de [sa] carrière. » « La présentation du spectacle est grandement remise en question. Je travaille pour être prête, mais l’adrénaline n’est pas la même. Je suis privilégiée de pouvoir travailler, mais en même temps, c’est étourdissant de penser que je mets toute cette énergie sur un projet qui n’aura peut-être pas lieu. Il faut savoir qu’une pièce exige au minimum deux mois de répétitions et de travail collectif… »

C’est un vrai défi, car si on ouvre les théâtres, il n’y aura pas de show du jour au lendemain, sauf si ce show existe déjà, qu’il n’a pas besoin de répétition et qu’il n’y a pas plus de deux acteurs sur scène.

Philippe Brault

Pour le couple, la crise de la COVID-19 est arrivée à un moment où il s’interrogeait déjà sur la vie professionnelle. Les questions étaient déjà posées : comment faire son travail et y trouver la satisfaction désirée ? Comment être productif quand tout va trop vite ? « Avec le confinement, on voit ce qui nous manque vraiment », dit Alexia Bürger.

Et pour les deux créateurs, c’est le contact humain qui est au cœur de tout. « Le dialogue avec le spectateur, se retrouver tous ensemble, dans un même lieu… Pour moi, la crise a redonné son sens premier à l’art vivant, estime la dramaturge et metteure en scène. J’aime que mon travail se métamorphose tous les jours, au contact des acteurs, du public… »

« Même en dehors des arts vivants, c’est difficile de travailler actuellement, ajoute Philippe Brault. Oui, un disque peut se faire en confinement, les collaborateurs peuvent m’envoyer du matériel enregistré chez eux, mais je n’aime pas travailler comme ça. Il y a un moment où la création se passe et c’est souvent lorsqu’on se retrouve quatre personnes dans la même pièce à penser à la même chanson. Un sourire, une phrase peut avoir de l’influence sur le produit final. Je réalise que ces moments passés ensemble à créer me manquent davantage que de présenter mon travail à des gens. J’ai zéro envie de faire un disque si personne n’est réuni dans mon studio… »

« Tout le monde essaie de s’adapter, mais moi, je n’ai pas d’intérêt pour plus de 10 secondes pour un spectacle en live sur Facebook. Je fais de la scène depuis toujours et je sais qu’il y a quelque chose qui nous manque, qui n’est pas remplaçable. »

Alexia Bürger abonde dans le même sens. « Tout le monde veut faire quelque chose, mais c’est une réaction sur le coup. Ce n’est pas une façon de faire qui sera viable à long terme. Rien à mes yeux ne peut remplacer la rencontre humaine. Si elle ne se fait pas dans une salle, peut-être que des artistes trouveront sous quels nouveaux paramètres cette rencontre peut se faire. »

« Il faut seulement être patient, croit Philippe Brault. Il y a des gens qui craignent que le spectacle vivant perde de sa valeur, moi je crois au contraire qu’il va prendre de la valeur. On va réaliser la chance qu’on a de se rassembler devant un humain qui va nous chanter quatre ou cinq chansons au Quai des brumes. On oublie souvent toute la valeur que ça a… »

Suggestions culturelles pour le confinement

Alexia Bürger

« Chaque jour, je lis de courts textes pour me déconfiner dans la tête. J’ai besoin de ma dose de culture. Je n’ai pas la concentration pour me plonger dans une longue lecture, alors je lis des poèmes de Neruda qui réfléchit sur le silence. J’ai aussi lu un livre qui s’intitule La voix sombre, de Ryoko Sekiguchi ; le livre parle de l’importance d’archiver la voix humaine de ceux qu’on aime. J’ai aussi vu le film Happy as Lazzaro, tourné par une réalisatrice italienne Alice Rohrwacher. Ça faisait longtemps qu’un film ne m’avait pas autant bouleversée. Le mode narratif éclaté au cinéma, c’est inspirant pour moi ! »

Philippe Brault

« Comme je cours beaucoup, j’écoute beaucoup de podcasts. J’écoute principalement Broken Records, un podcast tenu entre autres par Rick Rubin où il anime des discussions avec des musiciens. J’aime aussi beaucoup Settling the Score, où un duo de compositeurs décortique différentes musiques de film. »