La chanteuse et comédienne Renée Claude, qui a fait chanter tout le Québec en créant de nombreuses chansons originales au cours des années 60 et 70, s’est éteinte à 80 ans, mardi.

Depuis 2017, Renée Claude vivait à la résidence Robert-Cliche. Il y a deux semaines, son amoureux des 35 dernières années, Robert Langevin, a appris qu’en plus d’être atteinte de la maladie d’Alzheimer, l’artiste était frappée par la COVID-19.

Renée Claude au fil du temps
  • La chanteuse Renée Claude et Gilles Vigneault en août 1966

    PHOTO YVES BEAUCHAMP, ARCHIVES LA PRESSE

    La chanteuse Renée Claude et Gilles Vigneault en août 1966

  • Renée Claude le 8 juillet 1969

    PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

    Renée Claude le 8 juillet 1969

  • Renée Claude le 21 décembre 1972

    PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

    Renée Claude le 21 décembre 1972

  • Renée Claude en 1976

    PHOTO PAUL-HENRI TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

    Renée Claude en 1976

  • Les chanteurs Claude Léveillée et Renée Claude

    PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

    Les chanteurs Claude Léveillée et Renée Claude

  • Le pianiste Philippe Noireault, Renée Claude, Monique Giroux et Andrée Lachapelle lors d’une répétition en mai 2001

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    Le pianiste Philippe Noireault, Renée Claude, Monique Giroux et Andrée Lachapelle lors d’une répétition en mai 2001

  • Renée Claude en entrevue à La Presse en mai 2008

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    Renée Claude en entrevue à La Presse en mai 2008

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Joint par La Presse, Robert Langevin a tenté de trouver les mots pour parler de celle dont il a si longtemps partagé la vie. « Je veux dire à ses admirateurs que la beauté s’est envolée… On doit la remercier pour toutes les belles choses qu’elle nous a données. Renée est libérée. On doit être heureux pour elle parce qu’elle va flotter dans l’air sans tout ce poids de la maladie. En tout cas, je peux dire que j’ai eu une chance exceptionnelle de partager la vie de cette femme. »

Je lui ai dit au revoir dimanche. Lundi, je suis allé lui dire que je l’aimais sous sa fenêtre.

Robert Langevin, son compagnon

Robert Langevin réfléchit à un moyen qui permettrait aux admirateurs de Renée Claude de lui rendre un dernier hommage.

L’auteur-compositeur Stéphane Venne, qui a écrit quelques-unes des chansons inoubliables du répertoire de Renée Claude, n’était pas triste mardi. « Pour moi, elle est toujours là parce que ses chansons sont là. Et je ne suis pas triste parce qu’elle laisse quelque chose de collectif, un héritage, et c’est ce qui compte. »

Renée Claude n’incarnait rien de moins que la perfection aux yeux de Stéphane Venne. « Elle avait une qualité d’intériorité qui est le contraire du narcissisme. Ce n’était pas “regardez comme j’ai une belle voix !” »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

L’auteur-compositeur Stéphane Venne

Son interprétation, comme sa beauté, c’était parfait sans que ça paraisse. Elle m’a tout appris dans sa recherche têtue, patiente, de la perfection.

Stéphane Venne, auteur-compositeur

Sainte trinité

Depuis des années, la chanteuse souffrait de la maladie d’Alzheimer à son stade le plus avancé, comme l’avait confirmé son amoureux, Robert Langevin, au magazine Échos Vedettes en février 2019. M. Langevin avait précisé que les premiers symptômes étaient apparus il y a une dizaine d’années.

Dans les jours qui ont suivi la publication de cet article, le producteur Nicolas Lemieux a lancé le projet fou de réunir 11 chanteuses québécoises pour l’interprétation du succès Tu trouveras la paix (1971) écrit par Stéphane Venne et créé par Renée Claude. Une vidéo et une chanson ont été lancées le 8 mars 2019, Journée internationale des femmes, au profit de la Fondation du CHUM pour la recherche sur l’alzheimer.

> Écoutez la reprise de Tu trouveras la paix

Un grand spectacle, intitulé La mémoire du cœur, a suivi le 15 novembre 2019 à la Maison symphonique. C’est dire combien la chanteuse a occupé une place importante tant dans le cœur des Québécois que dans celui des membres de l’industrie musicale.

« Renée a vraiment fait partie d’une espèce de sainte trinité d’interprètes, avec Monique Leyrac et Pauline Julien. Elle fait partie de cette famille-là », rappelle l’animatrice Monique Giroux, qui a aussi été une amie très proche de la chanteuse, et qui a fait partie de l’organisation de La mémoire du cœur.

« Elle a allié la chanson à texte et la pop, elle a rallié tous les publics et ça, il n’y en a pas eu beaucoup des comme ça dans l’histoire », dit Monique Giroux, qui voit Renée Claude comme un mélange parfait entre Juliette Gréco et Françoise Hardy.

Pour Isabelle Boulay, Renée Claude aura su porter les textes comme peu d’autres chanteuses. « Elle est la définition même de l’interprète », dit celle qui a elle-même eu souvent l’occasion de la « réinterpréter », et qui s’en est beaucoup inspirée à ses débuts. Elle se souvient de l’avoir vue en spectacle sur de petites scènes.

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La chanteuse Isabelle Boulay

Renée Claude était au service des chansons et des auteurs. C’était une force sur scène. Elle prenait les chansons à bras le corps, elle empoignait les textes et les tenait. Il y avait quelque chose entre elle et ses chansons.

Isabelle Boulay

Les débuts

De son vrai nom Renée Bélanger, Renée Claude est née à Montréal le 3 juillet 1939. Enfant, elle s’intéresse très vite au monde des arts. Elle suit des cours d’art dramatique au Conservatoire Lassalle, de piano à l’école Vincent-d’Indy, de chant avec le ténor Alphonse Ledoux et de théâtre avec le comédien Paul Hébert.

Elle connaît son premier succès dès 1955. De passage à la défunte radio CKVL, elle remporte le premier prix à l’émission Les découvertes de Billy Munro, un pianiste, compositeur et directeur musical alors en vogue.

La plupart des biographies publiées en ligne situent le début officiel de sa carrière en 1959. Elle chante d’abord les grands auteurs européens comme Brel, Brassens et Ferré. La boîte à chansons de Québec accueille son premier tour de chant. Son répertoire s’élargit bientôt aux auteurs d’ici, notamment Jean-Pierre Ferland.

Ce dernier écrit d’ailleurs la chanson Feuilles de gui, que l’interprète défend à l’étape canadienne du concours Chansons sur mesure en 1962. Couronnée du premier prix lors de la finale à Bruxelles, cette composition devient le premier 45 tours de la chanteuse. Quelques mois plus tard, paraît son premier 33 tours, C’est mon œil, chez Disques Sélect.

Conte, Venne, Plamondon

Dans les années 60, la carrière de Renée Claude migre peu à peu de la reprise de classiques vers l’interprétation de chansons originales écrites pour elle. Trois auteurs-compositeurs lui écriront tour à tour des pièces qui deviendront d’immenses succès : Michel Conte, Stéphane Venne et Luc Plamondon.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Luc Plamondon en compagnie de Renée Claude en 2006

Dès 1966, Stéphane Venne (paroles) et François Dompierre (musique) lui offriront la chanson Tu es noire, qui lui vaudra le 1er prix pour l’interprétation de la meilleure chanson de l’année au Festival du disque. En 1967, elle enregistre la pièce Shippagan du chorégraphe et auteur-compositeur Michel Conte, qui lui écrira plus tard Viens faire un tour, un autre immense succès.

Toujours en 1967, Renée Claude fait la première partie de la tournée d’adieu de Jacques Brel au Québec. Elle se produit également à Expo 67. 

En décembre 1968, Renée Claude signe son premier 33 tours avec la maison de disques Barclay. L’album comprend des reprises, mais aussi les pièces C’est notre fête aujourd’hui et Quand le temps tournera au beau de Stéphane Venne.

De sa collaboration avec ce dernier naîtront plusieurs grandes chansons telles que Le tour de la terre, Le début d’un temps nouveau, La rue de la montagne… Ensemble, ils feront quatre albums.

Par l’entremise d’André Gagnon, la route de Renée Claude croise aussi celle de Luc Plamondon. Au cours de sa carrière, ce dernier lui écrira 35 chansons dont, en 1973, Le monde est fou, un triptyque de 7 minutes 20 qui comprend L’hymne à la beauté du monde, repris plus tard par Diane Dufresne, Isabelle Boulay et d’autres.

Parmi les tubes enregistrés par Renée Claude avec Luc Plamondon, on compte Ce soir, je fais l’amour avec toi, Un gars comme toi, Cours pas trop fort, cours pas trop loin, Si tu viens dans mon pays, etc.

Spectacles-hommages

Au début des années 80, Renée Claude s’éloigne de la chanson originale et entame une série de spectacles-hommages à trois grands de la chanson, une formule qui l’accompagnera le reste de sa carrière.

Le premier de ces spectacles est consacré à Clémence DesRochers, à qui la chanteuse voue une grande admiration. C’est d’ailleurs sur le plateau de l’émission Chez Clémence qu’elle avait fait ses débuts à la télévision, en 1960. Le spectacle s’intitule Moi c’est Clémence que j’aime le mieux.

Suivront des spectacles-hommages, et des disques, dédiés à Georges Brassens (J’ai rendez-vous avec vous ; 1981) et Léo Ferré (On a marché sur l’amour ; 1993).

Entre ces deux évènements, Renée Claude enregistre un nouvel album de chansons originales, qui comprend la pièce Le futur est femme, en 1986, et fait ses premiers pas à titre de comédienne.

Ainsi, en 1990, elle devient Robertine Barry, journaliste et amie proche du poète Nelligan dans l’opéra du même nom créé par Michel Tremblay et André Gagnon (mise en scène d’André Brassard).

À titre de comédienne, on la retrouve autant à la télévision (L’amour avec un grand A, Triplex), qu’au théâtre (Marcel poursuivi par les chiens du tandem Tremblay-Brassard) et au cinéma (C’t’à ton tour, Laura Cadieux, Station Nord).

Prix et hommages

Sa fructueuse carrière est marquée par des hommages et récompenses de toutes sortes. Il y aura La clé d’or, en 1970, pour la chanson Viens faire un tour, de nombreux voyages pour représenter le Canada dans des concours de chansons (Grèce, Pologne), le prix Hommage Quebecor, en 2008, et l’Ordre du Canada en 2010.

Mais sa récompense la plus prestigieuse demeure le Grand Prix du disque de la chanson française de l’Académie Charles-Cros, qu’elle reçoit en 1996 pour son album dédié à Léo Ferré.

Atteinte de fibromyalgie et de fatigue chronique, Renée Claude a vécu avec des problèmes de sommeil toute sa vie. À partir de 2012, la maladie d’Alzheimer l’a forcée à quitter peu à peu la vie publique. Après ses derniers spectacles cette année-là, elle a fait quelques émissions de télévision, dont En direct de l’univers, en 2013 et 2015.

Une biographie

Au cours de sa longue carrière, d’aucuns ont évoqué la beauté et le charme tout comme le côté plus réservé de Renée Claude. Louise Forestier, qui a été son amie, mais aussi sa voisine pendant plusieurs décennies, se souvient de la première fois qu’elle a vu Renée Claude. « J’étais ouvreuse à la Place des Arts, elle était là au bras de Stéphane Venne, les cheveux noirs, la taille de guêpe, le look incroyable. Elle était éblouissante. »

Au sujet de la beauté, Renée Claude confiait à André Ducharme dans L’actualité (en 1994) : « Je veux qu’on m’en parle juste assez pour me rassurer, pour que je conserve la certitude que je ne suis pas trop moche, mais à la condition que ça ne prenne pas le dessus sur tout le reste. »

À la suite de l’annonce de sa maladie, le chroniqueur Mario Girard de La Presse s’est lancé dans l’écriture d’une biographie de la chanteuse.

Intitulé Renée Claude - Donne-moi le temps, l’ouvrage est paru en mars 2020 aux Éditions La Presse. En entrevue avec Alexandre Vigneault, M. Girard affirmait, en parlant du feu sacré de la chanteuse : « Ce feu sacré, il est devenu rare. Elle l’avait et l’a conservé toute sa vie. C’est ce qui a mené toute sa carrière. L’autre chose que son parcours montre, c’est que lorsque tu es interprète, tu dois tenir les guides et faire les bons choix. Ce qu’elle a fait. Du premier au dernier de ses disques, elle a fait des choix artistiques incroyables. »

— Avec la collaboration de Josée Lapointe, La Presse, Mario Girard, La Presse et Daniel Rolland, collaboration spéciale