Jean-Pierre Ferland a lancé vendredi Partir au vent, nouvel album en forme d’hommage aux gens qu’il a aimés, qui l’ont influencé ou pour qui il a écrit. Discussion avec un artiste reconnaissant.

L’entrevue, prévue depuis plusieurs semaines, devait se dérouler dans un restaurant de l’avenue Laurier. Coronavirus oblige, c’est au téléphone qu’on s’est finalement entretenue avec Jean-Pierre Ferland lundi matin.

Depuis que le premier ministre Legault a enjoint aux personnes âgées de rester chez elles en citant sa chanson Envoye à maison, le chanteur de 85 ans prend d’ailleurs la situation avec le sourire.

« Je trouvais que François Legault faisait du bon travail depuis le début de la crise… mais là deux fois plus ! Ça m’a fait rire. Et c’est moins difficile maintenant. »

Jean-Pierre Ferland entreprend ensuite de nous raconter dans quel contexte Envoye à maison a été écrite, se perd en chemin dans son anecdote… et se reprend vite. « Je me rappelle bien les 12 nouvelles chansons que je viens d’écrire par exemple ! »

Même si ce ne sont pas tout à fait 12 nouvelles chansons, pour lui, c’est tout comme, dit-il.

D’abord parce qu’il en remet certaines en lumière. C’est le cas par exemple de Télégramme à une folle, qui figure sur son disque Androgyne paru en 1984, et qu’il a écrite en pensant à Clémence DesRochers.

Extrait de Télégramme à une folle

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PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland

Quand j’ai commencé à chanter, elle regardait mes textes et corrigeait mes fautes. Elle parlait mieux français que moi, son père était poète, elle m’emmenait dans le bon chemin.

Jean-Pierre Ferland

C’est le cas aussi d’Un gentilhomme et un champion, hommage au coureur automobile Gilles Villeneuve qu’il a enregistré en 1992 sur Bleu Blanc Blues.

« Il était mon voisin, je l’aimais beaucoup. Et il était vraiment un gentilhomme. On s’amusait, on faisait des courses ensemble, en ski-doo, en 4x4… »

Certaines chansons étaient aussi écrites depuis un bout de temps, mais elles n’avaient jamais été enregistrées. J’ai coupé mon arbre par exemple, pour son « vrai chum » Gilles Vigneault, était dans ses tiroirs depuis deux ans. Et Mon copain Denise, sur sa relation d’amitié avec Denise Bissonnette, la femme du producteur Jean Bissonnette, depuis encore plus longtemps – dans les deux cas sur des musiques de François Cousineau.

Extrait de J’ai coupé mon arbres

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Jean-Pierre Ferland se réapproprie également pour la première fois des chansons qui ont été d’immenses succès populaires portés par de grandes vedettes. Comme Rouge de Ginette Reno — « Je l’ai écrite pour la consoler alors qu’elle vivait un grand chagrin d’amour, c’est une chanson de consolation et ça me touche encore aujourd’hui de la chanter » —, et Ma chambre de Céline Dion, qui figurait sur Incognito et dont la musique a été écrite par Daniel Mercure.

Extrait de Ma chambre

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J’ai rencontré Céline quand j’animais Station Soleil à Radio-Québec, elle avait 15-16 ans. J’ai tout de suite su qu’elle ferait de grandes choses. Quelques jours plus tard, j’écrivais cette chanson pour elle.

Jean-Pierre Ferland

Étrange quand même d’interpréter un texte destiné à une adolescente ? « Non, parce que j’ai corrigé et recorrigé la chanson pour que ce soit plausible. »

Un hommage 

Quand on ajoute à ce florilège Chanson pour Félix, écrite pour Félix Leclerc il y a 40 ans, le panthéon personnel de Jean-Pierre Ferland est impressionnant.

« Quand tu connais Félix, que tu lui parles, que tu vas chez lui… tu te penses plus fin que tout le monde ! Félix, c’était vraiment un amour filial que je ressentais pour lui. »

Extrait de Chanson pour Félix

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Cet album, c’est donc un hommage qu’il rend à ces gens qui ont fait de lui ce qu’il est. « Ils m’ont rendu heureux et je voulais leur dire merci. »

Figure aussi sur Partir au vent la chanson Les noces d’or, écrite pour le 50e anniversaire de mariage de ses parents, Anna et Armand, « une des premières chansons que j’ai écrites » dit-il, et Le monde de Benjamin, probablement sa plus récente, inspirée par le fils de Patricia Paquin et de Mathieu Gratton, qui vit avec un trouble du spectre de l’autisme.

Extrait de Le monde de Benjamin

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PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Pierre Ferland

Ce garçon m’a ébranlé. J’ai de l’estime pour lui. J’ai voulu entrer dans sa tête, comprendre comment il pense, ce qui lui fait de la peine, de la joie. Je pense que j’ai réussi à l’exprimer.

Jean-Pierre Ferland

Il admet aussi que plusieurs d’entre elles sont un peu curieuses. « Mais cette année, je peux me permettre d’être curieux. » Pourquoi ? « Parce que j’ai l’âge pour ça. » Serait-il rendu à l’heure des bilans ? « Non, je ne perds pas de temps avec ça ! » Il fait une pause et lance : « J’ai l’âge pour faire ce que le premier ministre a dit : Envoye à maison ! »

En tout cas, celui qui a annoncé sa retraite il y a 13 ans déjà y a renoncé depuis longtemps. « J’ai essayé, mais je trouvais ça plate », dit le chanteur, qui donne encore plusieurs spectacles par année. Se retrouver en studio pour l’enregistrement de cet album a d’ailleurs été un moment précieux.

PHOTO FOURNIE PAR TANDEM

Jean-Pierre Ferland

« Le studio le plus sympathique et le plus extraordinaire, il appartient à mon ami André Leclerc. C’est lui qui a fait les orchestrations. J’ai dû y aller au moins 25 fois pour ce disque, et ça me faisait toujours plaisir, même si c’était à deux heures et demie de chez moi. »

Comme si c’était une autre maison ? « Plus que ça. C’était… comme une église dans ma tête. »

Comme un rêve

Jean-Pierre Ferland raconte que lorsqu’il a écouté son album, il a été touché. « Par ce que j’avais écrit, par ceux qui m’avaient inspiré. C’est extraordinaire, après en avoir fait 25, d’en faire un nouveau et de l’aimer encore. » D’ailleurs, quand on lui demande quelle vie il souhaite à l’album, il répond ceci : « Ce que je souhaitais, je l’ai eu. Je l’ai fait. »

Puis il nous raconte la genèse de la chanson Partir au vent, qu’il a écrite pour Étienne Cotton quand il était coach à La voix — parler avec Jean-Pierre Ferland, ça signifie aussi ne pas avoir le plein contrôle de la conversation.

« À un moment, quelqu’un de la production m’a dit : n’oubliez pas que vous devez écrire une chanson originale pour la semaine prochaine. J’ai paniqué ! Puis je me suis installé chez moi avec le chef d’orchestre [David Laflèche], et on l’a faite, lui la musique, moi les paroles », explique le chanteur. 

Extrait de Partir au vent

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Mais quand on a fini, j’étais tellement nerveux, à bout, qu’à un moment, je suis tombé en pleine face, je me suis cassé les dents, un bras…

Jean-Pierre Ferland

On ne pensait pas qu’il était si dangereux d’écrire des chansons ! Il rigole. « Mais je ne me suis jamais fait casser la gueule par personne, par exemple. »

Mais pourquoi Partir au vent est-elle devenue le titre de l’album ? « Parce qu’elle n’a pas de sens. Que c’est juste un rêve, léger léger. Quand je la chantais pour m’amuser dans mon salon, elle me faisait quelque chose : c’est ce que je voudrais faire, partir au vent. Et veux, veux pas, de c’temps-là, avec ce qui nous arrive, on aimerait tous ça. »

IMAGE FOURNIE PAR LA MAISON DE DISQUES

Pochette de l’album Partir au vent, de Jean-Pierre Ferland

Chanson, Partir au vent, Jean-Pierre Ferland, Tandem